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Colombie-FARC-Venezuela: syndrome de Paris et fausse paix de Rio

par Christian GALLOY, directeur de LatinReporters

MADRID, mercredi 12 mars 2008 (LatinReporters.com) - Depuis le 1er mars, l'attaque de la Colombie contre la guérilla des FARC en Equateur, la mobilisation passagère aux frontières colombiennes de bataillons vénézuéliens et équatoriens, les débats de l'Organisation des Etats américains (OEA) saisie d'urgence et la fausse paix conclue au sommet latino-américain du Groupe de Rio ont définitivement internationalisé le conflit colombien. Les Etats-Unis et la France y avaient déjà contribué.

L'aide financière de Washington et l'envoi de matériel et conseillers militaires américains en Colombie pour y combattre culture de coca, trafic de cocaïne et guérillas d'extrême gauche financées notamment par le narcotrafic sont depuis longtemps des facteurs potentiels de l'internationalisation du conflit intérieur. Ils prédisposent les pays du sous-continent sud-américain, la plupart conquis démocratiquement par diverses gauches au cours de la dernière décennie, à s'immiscer dans les affaires intérieures colombiennes au nom de la résistance à "l'impérialisme" politique et économique américain. A cet égard, le Venezuela du président Hugo Chavez exerce sans complexe un droit "bolivarien" d'immixtion et pas seulement en Colombie.

La France, elle, zigzague sur ce terrain miné poussée par le drame d'Ingrid Betancourt. La célèbre Franco-Colombienne est séquestrée depuis le 23 février 2002 par la guérilla des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie, autoproclamées marxistes).

Les principaux otages des FARC seraient les ingrédients d'un nouveau type de trafic d'esclaves et de douleur humaine organisé de concert par cette guérilla et leur principal allié idéologique, Hugo Chavez. Sous réserve d'authentification confiée aux experts d'Interpol (1), les disques durs des ordinateurs de Raul Reyes, numéro deux des FARC abattu le 1er mars au nord de l'Equateur, révèlent en effet, selon Bogota, que la libération au compte-gouttes d'otages de la guérilla (6 depuis janvier) remis à Hugo Chavez vise explicitement à conférer à ce dernier une image d'artisan de la paix servant ses ambitions internationales et domestiques. En échange, le président vénézuélien finance la guérilla, lui offre des facilités au Venezuela, réclame sa reconnaissance semi-diplomatique comme force belligérante et demande à l'Union européenne de l'effacer de la liste officielle d'organisations terroristes. Bref, acculées militairement et menacées de déliquescence (un autre de leurs sept principaux chefs, Ivan Rios, vient d'être abattu... par sa garde personnelle!), les FARC survivent grâce à Caracas.

Cherchant la libération d'Ingrid Betancourt, le président français Nicolas Sarkozy, comme son prédécesseur Jacques Chirac, négocie avec Hugo Chavez et négociait avec Raul Reyes. Paris a regretté la mort de Raul Reyes et même condamné implicitement l'action militaire colombienne au cours de laquelle il a été tué. Aux yeux de l'équipe de Bernard Kouchner, ministre français des Affaires étrangères, "Monsieur Raul Reyes" avait ouvert un dialogue humanitaire. Un chef de preneurs d'otages négociant la rançon politique de ceux qu'il séquestre était considéré au Quai d'Orsay comme un philanthrope ou presque, pourvu qu'il parle d'Ingrid Betancourt. Rudolf Hommes, ex-recteur de l'Université des Andes à Bogota, baptise cette perversion des valeurs "le syndrome de Paris". Le dialogue Sarkozy-Chavez en relèverait aussi, compte tenu de la stratégie commune et planifiée unissant les FARC à Chavez.

Gestes d'Alvaro Uribe sans contrepartie

Torpiller cette stratégie "bolivarienne", fût-ce au prix de violer la souveraineté de l'Equateur voisin pour y abattre Raul Reyes, est un objectif logique du président colombien Alvaro Uribe. S'opposer au trafic politique de séquestrés revient-il à se déclarer hostile à leur libération? Les adversaires du président Uribe, la famille Betancourt et de nombreux médias français téleguidés par le département Amériques du Quai d'Orsay l'affirment. Pourtant, le gouvernement de Bogota a invité plusieurs fois et en vain les FARC à donner les noms de tous les guérilleros emprisonnés qu'elles disent vouloir échanger contre leurs principaux otages, dont Ingrid Betancourt. Alvaro Uribe a indiqué qu'il est disposé à relâcher unilatéralement ceux dont la justice autoriserait la mise en liberté (2) [et qui n'auraient donc pas commis de crimes graves; ndlr]. En demandant une liste que les chefs de la guérilla lui refusent, probablement parce qu'ils ignorent combien de prisonniers leur sont restés fidèles, le président colombien veut éviter d'être à nouveau accusé de libérer de "faux guérilleros", comme l'ont prétendu les FARC en juin 2007 lors de l'élargissement unilatéral de quelque 150 rebelles détenus. A la même date et à la requête de Nicolas Sarkozy, Alvaro Uribe libérait Rodrigo Granda, considéré avant son incarcération comme "le ministre des Affaires étrangères" des FARC.

Ces gestes de Bogota n'ont pas eu de contrepartie. Parallèlement à leur stratégie de libération au compte-gouttes d'otages élaborée avec Hugo Chavez, les FARC continuent à réclamer, pour y négocier l'échange dit humanitaire de prisonniers, la démilitarisation des municipalités de Florida et Pradera. Elles couvrent dans le sud-ouest colombien 800 km², sept fois la superficie de Paris intra-muros, et comptent plus de 110.000 habitants. Pareille démilitarisation, unilatérale car ne devant pas, selon les FARC, concerner les guérilleros, laisserait cette population à la merci des insurgés. Mais Yolanda Pulecio, mère d'Ingrid Betancourt, n'y voit "aucun inconvénient" (3). Devant tout, elle et sa famille, Ingrid Betancourt y comprise, au régime que symbolise Alvaro Uribe, l'ex-reine de beauté colombienne Yolanda Pulecio n'en est pas moins aujourd'hui courtisane de Hugo Chavez. Les images d'actualité la montrent constamment à ses côtés et même, parfois, lui tenant affectueusement la main. Des témoignages d'otages libérés font en revanche état de la noble fermeté d'Ingrid Betancourt face à ses geôliers.

Le bombardement d'un camp des FARC et la mort de Raul Reyes en Equateur ont rebondi devant l'Organisation des Etats Américains (OEA) et l'Assemblée des chefs d'Etat et de gouvernement du Groupe de Rio (4), réunie la semaine dernière à Saint-Domingue. Enquêtant in situ, sur le lieu de l'attaque, l'OEA a déjà constaté, selon son secrétaire général, le socialiste chilien José Miguel Insulza, que le camp des FARC bombardé avait des structures durables datant d'au moins plusieurs mois. Cette constatation confirmerait les liens entre les FARC et le président de l'Equateur, Rafael Correa, socialiste radical et allié de Hugo Chavez. A Saint-Domingue, le président colombien Alvaro Uribe avait lu devant les chefs d'Etat latino-américains des messages extraits des ordinateurs du numéro deux des FARC, Raul Reyes. Ils attestaient non seulement d'une complicité actuelle entre la guérilla colombienne et l'Equateur, mais aussi du financement partiel, par les FARC, de la campagne électorale qui porta Rafael Correa à la présidence de son pays en novembre 2006.

Alors que des troupes équatoriennes et vénézuéliennes se massaient aux frontières colombiennes et que Caracas et Quito, ainsi que Managua, avaient rompu leurs relations diplomatiques avec Bogota en représailles de l'attaque du 1er mars contre le camp des FARC en Equateur, le Groupe de Rio faisait taire de manière inattendue les tambours de guerre. A la stupeur de la majorité des observateurs et sous les applaudissements de ses pairs, le Colombien Alvaro Uribe serrait la main et tapait amicalement l'épaule du Vénézuélien Hugo Chavez, de l'Equatorien Rafael Correa et du Nicaraguayen Daniel Ortega.

Déclaration du groupe de Rio et conclusions

Avec ces paragraphes clés, la déclaration du Groupe de Rio déblayait les frontières de troupes prêtes au combat et facilitait le rétablissement de relations diplomatiques fraîchement rompues:

"Nous rejetons la violation de l'intégrité territoriale de l'Equateur et réaffirmons par conséquent le principe de l'inviolabilité du territoire d'un Etat, qui ne peut être objet d'une occupation militaire ni d'autres mesures de force prises par un autre Etat, directement ou indirectement, quel qu'en soit le motif, même de manière temporaire... [La Colombie est ainsi avertie; ndlr]

...Nous rappelons aussi les principes, consacrés par le droit international, de respect de la souveraineté, d'abstention de menace ou d'usage de la force et de non-ingérence dans les affaires internes d'autres Etats... principe excluant non seulement la force armée, mais aussi une autre forne d'ingérence ou de tendance attentatoire à la personnalité de l'Etat, des éléments politiques, économiques et culturels qui le constituent... [Avertissement à Hugo Chavez et, dans une moindre mesure, à Rafael Correa; ndlr]

...Nous réitérons notre engagement ferme de combattre les menaces contre la sécurité de tous les Etats, provenant de groupes irréguliers ou d'organisations criminelles, en particulier celles liées aux activités de narcotrafic. La Colombie considère ces organisations criminelles commes terroristes."
[Condamnation des FARC et avertissement indirect au Venezuela et à l'Equateur, dans la mesure où, comme le prétend la Colombie, ces deux pays soutiendraient la guérilla colombienne; ndlr].

Conclusions? L'internationalisation du conflit intérieur colombien, vieux de plus de 40 ans, est désormais consacrée. Elle ne favorise pas le président conservateur colombien Alvaro Uribe, très populaire dans son pays mais isolé dans un environnement géo-politique sud-américain dominé par diverses gauches. Sa dénonciation, appuyée sur des messages des ordinateurs de Raul Reyes, de l'appui du Venezuela et de l'Equateur à une guérilla reconnue en Occident comme terroriste met toutefois Caracas et Quito sur la défensive. L'administration américaine menace même déjà de classer le Venezuela parmi les Etats soutenant le terrorisme international, ce qui entraînerait des conséquences défavorables pour Caracas, malgré sa puissance pétrolière. En Equateur, la justice, quoique relativement soumise au régime semi-autoritaire en place, sera contrainte d'évaluer si le président Correa a bénéficié ou non d'un financement illégal octroyé par les FARC.

Mais le plus important est que le sommet de Saint-Domingue n'a pas réglé les problèmes de fond. La fausse paix issue de l'assemblée du Groupe de Rio laisse entier le soutien de l'Equateur et surtout du Venezuela aux FARC. Ingrid Betancourt est toujours l'otage de cette guérilla et le conflit intérieur colombien, compliqué par les appétits qu'il aiguise, n'est pas près d'être résolu.

"Nous nous sentons aussi Colombiens, comme appartenant à une seule et même patrie... Nous partons du principe bolivarien que nous sommes une seule nation, avec diverses républiques", déclarait le 11 mars Nicolas Maduro, ministre vénézuélien des Relations extérieures... Une confirmation de l'ambition que la Colombie devienne tôt ou tard, comme le prétendent les FARC et Hugo Chavez, la République bolivarienne du Sud. Le Venezuela est déjà celle du Nord.

En attendant, ce Venezuela riche en pétrole, mais où il faut faire longuement la queue dans l'espoir d'acheter du lait, du sucre, de la farine, de l'huile ou de la viande, a besoin des importations colombiennes. Cette nécessité, plus la chute vertigineuse de popularité intérieure de Hugo Chavez, battu en décembre dernier au référendum visant à instaurer sa réélection illimitée et un socialisme d'Etat, ainsi qu'enfin les délais [à l'horizon 2012; ndlr] de réception et de déploiement opérationnel de tous les avions, hélicoptères et armes diverses, essentiellement russes, acquis par Caracas pour plus de trois milliards de dollars, tous ces facteurs qui contrarient le régime bolivarien ont favorisé la fausse paix, probablement temporaire, conclue lors de la réunion du Groupe de Rio.



(1) Colombia e Interpol firman acuerdo de asistencia técnica para el análisis de los computadores de alias "Raúl Reyes" - Secrétariat de presse de la Présidence de la République de Colombie, 12 mars 2008.

(2) Gobierno está dispuesto a liberar más guerrilleros para avanzar hacia el acuerdo humanitario - Secrétariat de presse de la Présidence de la République de Colombie, 15 janvier 2008.

(3) Yolanda Pulecio, mère d'Ingrid Betancourt: "Il n'y a aucun inconvénient à démilitariser ces deux bourgades [Florida et Pradera], mais le Président [Uribe] ne le veut pas." Journal colombien El Pais, chat du 8 février 2007.

(4) Organe de consultation politique créé en 1986, en principe à l'écart de l'influence des Etats-Unis, le Groupe de Rio englobe 20 pays: les poids lourds de l'économie latino-américaine (Brésil, Mexique, Argentine, Chili, Venezuela et Colombie), ainsi que le Belize, la Bolivie, le Costa Rica, l'Equateur, le Guatemala, la Guyana, le Honduras, le Nicaragua, le Panama, le Paraguay, le Pérou, la République dominicaine, l'Uruguay et le Salvador.



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