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Colombie - Ingrid Betancourt - FARC : négocier sur 11 cadavres?

BOGOTA, vendredi 29 juin 2007 (LatinReporters.com) - Obligation morale de négocier avec la guérilla des FARC un échange humanitaire de prisonniers ou offensive tous azimuts contre des guérilleros accusés de crime contre l'humanité? La Colombie en état de choc doit choisir, après l'annonce par les FARC de la mort "sous un feu croisé" de 11 députés régionaux otages, comme Ingrid Betancourt, des rebelles depuis plus de cinq ans.

Selon le communiqué des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie, marxistes) diffusé jeudi, les tirs croisés dont auraient été victimes les députés se seraient produits le 18 juin "lorsqu'un groupe militaire non identifié attaqua le campement" où les rebelles retenaient les séquestrés.

Visant à imputer la mort des onze parlementaires au président conservateur colombien Alvaro Uribe, le communiqué affirmait que "L'intransigeance démentielle du président Uribe à l'égard d'un échange humanitaire et sa stratégie de sauvetage militaire [d'otages]... mènent à des tragédies".

Présentant leurs "profondes condoléances aux familles des députés décédés", les FARC s'engageaient à faire "ce que nous pourrons pour qu'elles puissent recueillir les dépouilles mortelles le plus rapidement possible".

Livrer les cadavres est toutefois un défi pour la guérilla. Car une autopsie déterminerait si les députés ont été victimes de tirs croisés entre armée et rebelles ou d'un assassinat collectif perpétré par les FARC, dont témoignerait par exemple l'identification de tirs de grâce.

Est en jeu le crédit de la guérilla avant une quelconque négociation de la libération d'otages dits politiques des FARC, dont la Franco-Colombienne Ingrid Betancourt, en échange de la libération de centaines de rebelles emprisonnés. Entre négocier cet échange humanitaire avec des idéalistes marxistes et le faire avec de vulgaires assassins, il y a un fossé moral que même Paris pourrait hésiter à franchir.

Aussi, jeudi dans un message à la nation, le président Uribe en appelait-il à "l'appui de la communauté internationale pour rechercher les cadavres et, si nous les retrouvons, nous solliciterons d'une commission internationale de légistes l'explication au monde des circonstances de ce crime atroce". L'Organisation des Etats américains (OEA) en sera saisie. Son secrétaire général, le socialiste José Miguel Insulza, ex-ministre chilien des Relations extérieures, prie les FARC de soumettre leur version à une enquête internationale.

Alvaro Uribe parle sans détour "d'assassinat" avec "préméditation criminelle". Le chef de l'Etat fonde son accusation sur les rapports de l'état-major militaire. Ils certifieraient l'inexistence, le 18 juin, de combats significatifs. Le président Uribe ajoute que le lieu de détention des députés n'a pas été localisé. L'armée n'a donc pas pu tenter de les délivrer, contrairement à ce suggèrent les FARC.

Concernant le sort d'Ingrid Betancourt et de trois otages américains de la guérilla, Alvaro Uribe dit avoir assuré les présidents américain et français, George W. Bush et Nicolas Sarkozy, qu'ils seraient "informés et écoutés avant de lancer une opération de sauvetage" si l'endroit de leur séquestration était repéré.

Carlos Holguin, ministre colombien de l'Intérieur, n'exclut pas totalement que les onze députés aient été tués lors d'une attaque de paramilitaires d'extrême droite. Les médias de Bogota envisagent aussi l'hypothèse de combats opposant les FARC à des groupes armés de narcotrafiquants ou à l'autre guérilla d'extrême gauche, l'Armée de libération nationale (ELN, guévariste).

Mais les FARC ayant pour consigne, proclamée publiquement et confirmée par des guérilleros déserteurs, d'exécuter leurs otages si l'armée tentait de les libérer, le décès des députés "sous un feu croisé" est une version nécessairement controversée.

Surpassant ces incertitudes circonstancielles, Amnesty International rappelle que "la prise d'otages est une violation flagrante de la loi humanitaire internationale et peut constituer un crime de guerre".

"Si elle est confirmée, la mort des onze députés [de l'Assemblée du département] de Valle del Cauca est une tragédie qui aurait pu être évitée si les FARC avaient été disposées à respecter le droit fondamental des civils à n'être pas impliqués dans le conflit armé prolongé de Colombie" ajoute un communiqué d'Amnesty International.

L'autre grande organisation humanitaire mondiale, Human Rights Watch, estime, comme le secrétaire de la Conférence épiscopale colombienne, Mgr Fabian Marulanda, que ceux qui séquestrent sont responsables du sort et de la vie de leurs otages.

Le maire de gauche de Bogota, Lucho Garzon, invite la société civile à se mobiliser contre les FARC et la séquestration. Il n'en souhaite pas moins un accord humanitaire avec cette guérilla pour l'échange de prisonniers.

Les chefs guérilleros de l'ELN en appellent à un "pacte pour la vie" qui dirait halte à la guerre et que souscriraient "l'ELN, les FARC, les paramilitaires, les bandes urbaines et tous les facteurs armés". En pourparlers de paix à Cuba avec des émissaires du président Uribe, l'ELN prône elle aussi l'accord humanitaire entre FARC et gouvernement.

L'éditorialiste de l'influent quotidien colombien El Tiempo estimait vendredi que "sûrement, de manière paradoxale et injuste, la pression internationale augmentera sur le gouvernement afin qu'il concrétise l'échange [humanitaire de prisonniers] et évite des tentatives militaires de sauvetage" [des otages des FARC].

Ce choeur de réactions incite à croire qu'une offensive tous azimuts contre la guérilla serait moins probable ou en tout cas n'exclurait pas l'échange humanitaire. Celui-ci est réclamé aussi par les familles des otages et par plusieurs pays européens, surtout la France, qui proscrit toute tentative militaire de libération des séquestrés.

Mais dans son message à la nation, indirectement et peut-être sans s'en rendre compte, le président Uribe a mis devant leurs responsabilités Nicolas Sarkozy et l'opinion publique européenne. "Tandis que nous libérions 150 membres des FARC et Rodrigo Granda [haut responsable de la guérilla élargi à la demande expresse du président Sarkozy] et tandis que les Européens dialoguaient avec Raul Reyes [nº2 des FARC], ces bandits des FARC étaient en train d'assassiner les députés" a affirmé M. Uribe.

Il a précisé quelques heures plus tard que le 18 juin, jour du tragique "feu croisé" mentionné par la guérilla, une délégation européenne mandatée par la France, la Suisse et l'Espagne rencontrait Raul Reyes, avec l'assentiment de la présidence colombienne, "pour faire progresser la question de l'accord humanitaire".

DOCUMENT
Déclaration conjointe de la France, de l’Espagne et de la Suisse à la suite de la mort de 11 élus colombiens (29 juin 2007)




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