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Cuba: l'adieu historique de Fidel Castro au pouvoir (texte intégral en français)

LA HAVANE, mardi 19 février 2008 (LatinReporters.com) - "Je n'aspirerai pas ni n'accepterai -je répète- je n'aspirerai pas ni n'accepterai la charge de Président du Conseil d'Etat et de Commandant en Chef"... C'est la phrase clef de l'adieu de Fidel Castro au pouvoir après 49 ans à la tête du destin de Cuba. Hospitalisé depuis le 27 juillet 2006 à la suite d'une grave hémorragie intestinale, le Lider Maximo aura 82 ans le 13 août prochain. "Je ne suis pas en condition physique" explique-t-il en tirant sa révérence.

Sous le titre faussement anodin de "Message du Commandant en Chef" à ses "chers compatriotes", cet adieu historique portant la signature de Castro emplit le 19 février la première page du quotidien officiel Granma, organe du comité central du Parti communiste de Cuba, l'unique parti autorisé.

Le message de Fidel Castro précède la réunion, dimanche 24 février, du Parlement élu le 20 janvier pour désigner notamment et surtout le Conseil d'Etat et son président, qui est en fait le chef de l'Etat.

Cette charge, ainsi que celles de Premier secrétaire du Comité central du Parti communiste de Cuba et de Commandant en chef des Forces armées révolutionnaires (FAR, l'armée cubaine) étaient cédées "à titre provisoire" le 31 juillet 2006 par Fidel Castro à son frère cadet Raul Castro, numéro deux officiel du régime et ministre de la Défense depuis près d'un demi-siècle.

Une certaine ouverture, plus économique que politique, a été évoquée sans se concrétiser au cours des 18 mois de l'intérim assumé par Raul Castro, qui aura 77 ans le 3 juin prochain. Son âge avancé devrait précipiter une véritable relève, même s'il est vraisemblable que Raul succède officiellement à Fidel à la tête de l'Etat.

La renonciation de Fidel Castro ne l'empêchera pas d'exercer, tant que sa santé le lui permettra, un pouvoir d'influence sur les orientations du régime. Il continuera d'adresser ses "réflexions" à ses compatriotes, mais, précise-t-il, en tant que "compagnon Fidel", alors que jusqu'à présent ses messages étaient ceux du "Commandant en chef".

Comme celles du président américain George W. Bush et de la Commission européenne, nombre de réactions internationales au retrait de Fidel Castro expriment l'espoir prudent d'une transition démocratique et d'une prochaine démocratie pluraliste à Cuba. Washington a rapidement précisé que les Etats-Unis ne lèveront pas dans l'immédiat leur embargo contre l'île.

Ci-dessous, le texte intégral de l'adieu de Fidel Castro (traduction littérale de LatinReporters du texte original publié par Granma):

Message du Commandant en Chef

Chers compatriotes :

Je vous avais promis vendredi dernier, 15 février, que dans la prochaine réflexion j'aborderais un sujet d'intérêt pour de nombreux compatriotes. La même prend cette cette fois la forme d'un message.

Le moment est venu de présenter [au Parlement, l'Assemblée nationale; ndlr] les candidatures au Conseil d'Etat, de son président, de ses vice-Présidents et de son Secrétaire et de les élire.

J'ai assumé l'honorable charge de Président au long de nombreuses années. Le 15 février 1976 on approuva la Constitution Socialiste par vote libre, direct et secret de plus de 95% des citoyens ayant droit de vote. La première Assemblée Nationale se constitua le 2 décembre de cette année et elle élut le Conseil d'Etat et sa Présidence. Auparavant j'avais exercé la fonction de Premier Ministre pendant quasi 18 ans. J'ai toujours disposé des prérogatives nécessaires pour faire progresser l'oeuvre révolutionnaire avec l'appui de l'immense majorité du peuple.

Connaissant mon état critique de santé, beaucoup à l'extérieur pensaient que la renonciation provisoire, le 31 juillet 2006, à la charge de Président du Conseil d'État que j'ai laissée entre les mains du premier vice-Président, Raúl Castro Ruz, était définitive. Raúl lui-même, qui occupe en plus la charge de Ministre des F.A.R. [Forces Armées Révolutionnaires; ndlr] grâce à ses mérites personnels, et les autres compagnons de la direction du Parti et de l'État, ont été réticents à me considérer comme écarté de mes charges malgré mon état précaire de santé.

Ma position était inconfortable face à un adversaire qui fit tout ce qui est imaginable pour se défaire de moi et il ne me plaisait nullement de le contenter.

Par la suite j'ai pu retrouver le contrôle total de mon esprit, la possibilité de lire et de méditer beaucoup, contraint au repos. M'accompagnaient les forces physiques suffisantes pour écrire durant de longues heures, que je partageais avec la réadaptation et les programmes pertinents de récupération. Un sens commun élémentaire m'indiquait que cette activité était à ma portée. D'autre part, je me suis toujours préoccupé, en parlant de ma santé, d'éviter des illusions qui, en cas de dénouement défavorable, apporteraient des nouvelles traumatisantes à notre peuple en pleine bataille. Le préparer à mon absence, psychologiquement et politiquement, était ma première obligation après tant d'années de lutte. Je n'ai jamais cessé d'indiquer qu'il s'agissait d'une récupération "non exempte de risques".

Mon désir a toujours été d'accomplir le devoir jusqu'au dernier souffle. C'est ce que je peux offrir.

A mes très chers compatriotes, qui m'ont fait l'immense honneur de m'élire récemment membre du Parlement, au sein duquel on doit adopter des accords importants pour le destin de notre Révolution, je leur communique que je n'aspirerai pas ni n'accepterai -je répète- je n'aspirerai pas ni n'accepterai la charge de Président du Conseil d'État et de Commandant en Chef.

Dans de brèves lettres adressées à Randy Alonso, Directeur du programme Table Ronde de la Télévision Nationale, lettres divulguées à ma demande, étaient inclus discrètement des éléments de ce message que j'écris aujourd'hui et ni même le destinataire des missives ne connaissait mon intention. J'avais confiance en Randy, car je l'ai bien connu quand il était étudiant universitaire en Journalisme et je me réunissais presque toutes les semaines avec les principaux représentants des étudiants universitaires de l'intérieur du pays, dans la bibliothèque de la vaste maison [du quartier] de Kohly où ils logeaient. Aujourd'hui le pays entier est une immense Université.

Paragraphes choisis de la lettre envoyée à Randy le 17 de décembre 2007:

"Ma conviction la plus profonde est que les réponses aux problèmes actuels de la société cubaine, qui possède une moyenne éducationnelle proche de 12 degrés [6 années d'enseignement primaire, plus 6 du cycle secondaire; ndlr], presqu'un million d'universitaires diplômés et la possibilité réelle d'étudier offerte à tous ses citoyens sans aucune discrimination, requièrent pour chaque problème concret un éventail diversifié de réponse plus large que celui d'un échiquier. Aucun détail ne peut être ignoré et il ne s'agit pas d'un chemin facile, d'autant que dans une société révolutionnaire l'intelligence de l'être humain doit prévaloir sur ses instincts.

"Mon devoir élémentaire est de ne pas m'accrocher aux charges ni le moins du monde obstruer le passage à des personnes plus jeunes, mais d'apporter des expériences et des idées dont la modeste valeur provient de l'époque exceptionnelle qui m'a été donnée de vivre.

"Je pense comme Niemeyer qu'il faut être conséquent jusqu'à la fin."

Lettre de du 8 janvier 2008:

"... Je suis un ferme partisan du vote uni (un principe qui préserve le mérite ignoré) [sic; ndlr]. Il fut ce qui nous permit d'éviter les tendances à copier ce qui venait des pays de l'ancien camp socialiste, dont l'image d'un candidat unique, aussi solitaire que solidaire de Cuba. Je respecte beaucoup cette première tentative de construire le socialisme, grâce à laquelle nous avons pu continuer à suivre le chemin choisi." [LatinReporters reconnaît ne pas saisir l'idée exacte exprimée dans ce paragraphe; ndlr]

"J'étais très conscient que toute la gloire du monde tient dans un grain de maïs" répétais-je dans cette lettre.

Ce serait par conséquent trahir ma conscience d'occuper une responsabilité requérant mobilité et dévouement total que je ne suis pas en condition physique d'offrir. Je l'explique sans dramatiser.

Heureusement notre processus dispose encore de cadres de la vieille garde, conjointement à d'autres qui étaient très jeunes au début de la première étape de la Révolution. Certains presqu'enfants rejoignirent les combattants des montagnes et ensuite, par leur héroïsme et leurs missions internationalistes, remplirent le pays de gloire. Ils ont l'autorité et l'expérience pour garantir la relève. Notre processus dispose également de la génération intermédiaire qui a appris avec nous les éléments du complexe et quasi inaccessible art d'organiser et diriger une révolution.

Le chemin sera toujours difficile et il exigera l'effort intelligent de tous. Je me méfie des sentiers apparemment faciles de l'apologétique ou, comme antithèse, de l'autoflagellation. Préparez-vous toujours à la pire des alternatives. Être aussi prudent dans le succès que ferme dans l'adversité est un principe qu'on ne peut oublier. L'adversaire à vaincre est très fort, mais nous l'avons tenu à distance pendant un demi-siècle.

Je ne prends pas congé de vous. Je désire seulement combattre comme un soldat des idées. Je continuerai à écrire sous le titre "Réflexions du compagnon Fidel". Ce sera une arme supplémentaire de l'arsenal sur lequel on pourra compter. Ma voix sera peut-être écoutée. Je serai prudent. ["Seré cuidadoso", "Je serai prudent", pourrait aussi signifier, selon certains analystes, "Je serai vigilant"; ndlr]

Merci.

Fidel Castro Ruz
18 février 2008
17h30




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