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Premier décès d'un ex-chef de gouvernement de la démocratie post-franquiste
Espagne en deuil, mais la mort ressuscite Leopoldo Calvo Sotelo

par Christian GALLOY, directeur de LatinReporters

MADRID, dimanche 4 mai 2008
(LatinReporters.com) - Trois jours de deuil national et chapelle ardente au Parlement, où défilent petits et grands d'Espagne. Roi Juan Carlos et reine Sofia au bord des larmes devant le cercueil drapé des couleurs sang et or nationales. Monopole de la une des quotidiens et journaux télévisés. Louanges tous azimuts, réparateurs et mérités. Sa mort, le 3 mai à 82 ans, a ressuscité Leopoldo Calvo Sotelo, président du gouvernement en 1981 et 1982.

Emotion officielle, mais aussi populaire, car son décès est le premier frappant l'un des cinq chefs de l'exécutif ayant gouverné l'Espagne démocratique de l'après-Franco. Ce n'est donc pas seulement "l'homme de bien" redécouvert qui s'en va, mais aussi une époque, celle de la transition entre dictature franquiste et démocratie. Difficile de ne pas mêler tristesse et nostalgie d'une fièvre collective désormais fondue dans le banal quotidien.

Les centristes Adolfo Suarez et Leopoldo Calvo Sotelo, fondateurs de la défunte Union du centre démocratique, le socialiste Felipe Gonzalez, le conservateur José Maria Aznar et le socialiste José Luis Rodriguez Zapatero, toujours aux commandes, ont piloté successivement, aux côtés du roi Juan Carlos, plus de trente ans de démocratie retrouvée.

Avec sa mine, son éducation et sa culture le faisant ressembler à un lord anglais égaré dans une auberge espagnole, don Leopoldo fut le moins sémillant, le plus invisible des cinq locataires du palais gouvernemental de La Moncloa, celui dont on parla le moins après sa sortie du pouvoir, d'autant que son mandat d'à peine 22 mois fut le plus court.

Et pourtant... Le célébrissime putsch manqué du 23 février 1981, lorsque le lieutenant-colonel Antonio Tejero et ses gardes civils séquestrèrent aux Cortes (Parlement) députés et gouvernement, cette opérette inouïe retransmise par toutes les télévisions de la planète se déroulait au moment du vote d'investiture de Leopoldo Calvo Sotelo.

C'est lui qui fera juger généraux et colonels rebelles, renvoyant même devant le Tribunal suprême le verdict trop clément des magistrats militaires. Et en octobre 1982, deux mois avant de transmettre le pouvoir à son successeur, Leopoldo Calvo Sotelo démantelait, discrètement pour éviter les soubresauts politiques, une autre conjuration putschiste qui risquait d'empêcher les élections législatives anticipées qu'allait gagner le socialiste Felipe Gonzalez. Ce dernier reçut de son prédécesseur une Espagne dans laquelle l'armée et la justice militaire étaient pour la première fois entièrement soumises aux instances civiles.

Une soumission facilitée par une autre conquête à la fois historique et polémique de Leopoldo Calvo Sotelo: l'adhésion de l'Espagne à l'OTAN en mai 1982. Cet ancrage stratégique à l'Occident facilita l'entrée postérieure, en 1986, de l'Espagne dans ce qui est aujourd'hui l'Union européenne. Rendant hommage dimanche au chef de gouvernement défunt, le roi Juan Carlos soulignait "son labeur pour situer l'Espagne au lieu qui lui correspond dans le monde". En 2002, le souverain lui avait octroyé le double titre de marquis et de grand d'Espagne.

La légalisation, alors explosive, du divorce fut contre l'Eglise et l'extrême droite un combat de société également gagné par le gouvernement de Leopoldo Calvo Sotelo. Neveu de l'historique député de droite José Calvo Sotelo, dont l'assassinat fut l'un des détonateurs de la guerre civile de 1936-1939, monarchiste catholique père de huit enfants, ingénieur des ponts et chaussées, administrateur de société, représentant de l'industrie aux Cortes franquistes et plusieurs fois ministre dans l'après-dictature, don Leopoldo fut donc aussi un précurseur inattendu de la spectaculaire libéralisation des moeurs en Espagne.

On lui doit en outre le moule de l'actuelle régionalisation du pays. Confronté lui aussi au terrorisme des indépendantistes de l'ETA, il refusa d'écouter ceux qui proposaient l'occupation militaire du Pays basque.

Voilà donc, sorti de la plume ou de la bouche de journalistes et de personnalités politiques de tous bords, l'ample éventail de mérites enfin reconnus publiquement à Leopoldo Calvo Sotelo. A travers lui, c'est l'apport de la droite modérée à la démocratisation de l'Espagne que saluent même le leader écolo-communiste Gaspar Llamazares et l'actuel président du gouvernement socialiste, José Luis Rodriguez Zapatero. Ce dernier qualifie de "court, mais décisif " pour la démocratie le mandat du successeur d'Adolfo Suarez. Nul ne rappelle que les centaines de morts provoquées par une huile de colza frelatée, la pire tragédie alimentaire de l'histoire espagnole, endeuillèrent la gestion du disparu et précipitèrent la débâcle de son Union du centre démocratique.

Don Leopoldo s'est éteint de mort naturelle. Son coeur a simplement cessé de battre dans sa villa de Pozuelo de Alarcon, dans la banlieue verte de Madrid. Né dans la capitale, il sera enterré sur les bords galiciens de la mer Cantabrique, à Ribadeo, où il vécut l'enfance et l'adolescence.

Sa souche maternelle galicienne expliquerait son sens réputé de l'humour. "Vous êtes convaincu, mais pas convaincant" pouvait-il lancer à un adversaire parlementaire. Et pour souligner l'importance et la qualité du secret d'Etat, il mentionna le coffre-fort dissimulé dans le bureau de la présidence du gouvernement. Son prédécesseur Adolfo Suarez oublia de lui en laisser la combinaison. Leopoldo Calvo Sotelo alerta alors les experts du ministère de l'Intérieur. Et lorsqu'ils parvinrent enfin à forcer le coffre, ils n'y trouvèrent qu'une feuille sur laquelle était inscrite... la combinaison d'ouverture.




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