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"Intimider et museler les médias" dénonce Reporters sans frontières
Espagne - ETA : attentat à l'explosif contre le journal basque El Correo

Bâtiment de l'imprimerie d'El Correo après l'attentat
Photo Ignacio Perez / ElCorreo
MADRID, lundi 9 juin 2008 (LatinReporters.com) - Le principal quotidien du Pays basque espagnol, El Correo, a été l'objet dimanche 8 juin d'un attentat à l'explosif attribué aux séparatistes basques de l'ETA. Le bâtiment abritant à Zamudio (province de Biscaye) les rotatives du journal a subi d'importants dégâts. Quelque 50 travailleurs s'y trouvaient au moment de l'explosion. Reporters sans frontières classe l'ETA parmi les "prédateurs de la liberté de la presse".

On ne déplore pas de blessés. Pourtant, contrairement à une pratique courante de l'ETA, aucun préavis téléphonique n'avait averti de l'imminence de la déflagration. Dimanche à trois heures du matin, une charge explosive évaluée à 5 kg ouvrait une brèche de 40 mètres carrés dans la façade arrière du bâtiment. Le toit s'effondrait partiellement.

Miraculés, employés et ouvriers reprenaient le travail après une brève évacuation, assurant l'impression d'une édition spéciale du journal. Son éditorial du 8 juin s'intitulait "Ils ne nous feront pas taire".

Non encore revendiqué, l'attentat a été aussitôt attribué à l'ETA par la police, par les autorités politiques régionales et nationales, ainsi que par la direction d'El Correo. D'un tirage moyen de 150.000 exemplaires, ce quotidien fait partie du groupe de presse Vocento, qui publie notamment le quotidien conservateur madrilène ABC.

Vocento a déjà été la cible de plusieurs attentats de l'ETA, organisation considérée officiellement comme terroriste par l'Espagne, l'Union européenne et les Etats-Unis. En mai 2001, Santiago Oleaga, directeur financier du Diario Vasco, appartenant au même groupe, avait été assassiné à San Sebastian.

"Nous condamnons fermement la violence utilisée par Euskadi Ta Askatasuna (ETA) visant à intimider et museler les médias et leurs collaborateurs. Nous appelons les autorités espagnoles à tout mettre en œuvre pour empêcher le groupe terroriste de nuire et de faire d’autres victimes au sein de la profession"
, a déclaré dimanche dans un communiqué Reporters sans frontières (RSF), organisation mondiale de défense des journalistes et de leur liberté d'expression.

Dans son récent Rapport Annuel 2008, RSF notait que "les journalistes sont toujours les cibles de l'organisation terroriste basque Euskadi ta Askatasuna (ETA). Après l'arrestation, en décembre 2007, de Gorka Lupianez, un membre de l'ETA suspecté d'être le nouveau responsable du commando de Biscaye, impliqué dans le meurtre de deux gardes civils à Capbreton (sud-ouest de la France), la police a découvert à son domicile des photographies de journalistes, parmi d'autres documents."

"L'organisation terroriste figure depuis 2001 dans la liste des prédateurs de la liberté de la presse de Reporters sans frontières. Les menaces qu'elle fait peser sur les journalistes est l'une des raisons expliquant la 33e place de l'Espagne dans le classement mondial de la liberté de la presse. Les journalistes qui travaillent au Pays basque ou traitent de la question basque sont fréquemment contraints de solliciter une protection ou d'utiliser des véhicules blindés pour se prémunir contre les risques d'attentats" précisait le Rapport annuel 2008 de RSF.

Le ministre espagnol de l'Intérieur, le socialiste Alfredo Perez Rubalcaba, voit dans l'attentat contre El Correo l'oeuvre de terroristes "qui pratiquent la violence contre ceux qui ne pensent pas comme eux" et "contre ceux qui se refusent à écrire ce qu'ils disent".

Selon Miren Azkarate, nationaliste dite modérée et porte-parole du gouvernement régional basque, l'attaque visait à "réduire au silence les journalistes qui défendent le pluralisme de l'information au sein de la société basque".

Le président du gouvernement socialiste, José Luis Rodriguez Zapatero, a par ailleurs affirmé maintes fois que toutes les options sont autorisées par la démocratie espagnole, y compris le discours indépendantiste et ses émanations électorales, pour autant qu'elles n'utilisent pas ou n'appuient pas la violence. Il reste néanmoins à démontrer qu'une ambition séparatiste puisse réellement se développer pacifiquement en Espagne. Le défi souverainiste que s'apprête à concrétiser le président basque Juan José Ibarretxe sera à cet égard plus qu'indicatif.

Bilan humain et économique des attentats de l'ETA

Depuis 1968, les attentats de l'ETA ont fait plus de 800 morts (823 selon le site Internet du ministère espagnol de l'Intérieur et 855 selon le site de la Garde civile). Les blessés se chiffrent à plusieurs milliers, "plus de huit mille" affirme l'Association des victimes du terrorisme (AVT) dans un communiqué publié le 7 juin à l'occasion du 40e anniversaire du premier assassinat de l'ETA.

Dressant un bilan ne couvrant que la période 1994-2003, un rapport élaboré par une dizaine d'institutions à la demande de la justice espagnole - rapport résumé dans l'édition du 28 décembre 2004 du quotidien El Pais- estimait le coût économique des attentats des indépendantistes basques à huit milliards d'euros. Le montant s'élevait à près de 12 milliards en ajoutant pour la même période 3,5 milliards d'euros de coûts différés de l'abandon en 1981 du chantier de la centrale nucléaire basque de Lemoniz, plastiquée à plusieurs reprises par l'ETA. Encore visible aujourd'hui, ce cimetière industriel est unique au monde.



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