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Avions et flotte russes au Venezuela: raisons de Chavez et retombées régionales possibles

par Christian GALLOY, directeur de LatinReporters

MADRID, mercredi 10 septembre 2008
(LatinReporters.com) - Que peut espérer ou craindre Hugo Chavez, président du Venezuela et leader de la gauche antiaméricaine dite bolivarienne, en s'offrant comme tête de pont d'une présence militaire russe en Amérique latine, la première depuis la fin de la guerre froide? C'est sur leur propre continent que les Etats-Unis sont défiés par Moscou et Caracas. Des conséquences régionales sont possibles.

Alors que la crise du Caucase fait planer un climat de guerre froide entre Moscou et Washington, la Russie a annoncé le 8 septembre qu'elle allait baser "temporairement" sur un aérodrome du Venezuela des avions anti-sous-marins. Cette révélation faite par Andreï Nesterenko, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, accompagnait sa confirmation de la participation d'une flotte russe à des manoeuvres communes avec le Venezuela, en novembre dans la mer des Caraïbes.

Cette flotte comprendra 4 bâtiments, dont l'emblématique croiseur à propulsion nucléaire "Pierre le Grand", porteur de missiles à double capacité conventionnelle et nucléaire, et la frégate "Amiral Tchabanenko", spécialisée dans l'attaque de sous-marins.

A la quasi unanimité, les analystes occidentaux y voient une réaction irritée de Moscou aux signes les plus récents de la prétention des Etats-Unis à l'hégémonie, à savoir l'installation prévue du bouclier antimissile américain en Europe centrale, l'adhésion éventuelle de l'Ukraine et de la Géorgie à l'OTAN, ainsi que la présence en mer Noire de navires de guerre américains qui ravitaillent la Géorgie. Cette dernière vient de perdre ses régions rebelles d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud après avoir lancé dans la seconde une offensive militaire aussitôt contrée par les forces russes. L'indépendance de ces deux régions caucasiennes a été reconnue par Moscou, malgré les protestations et les menaces diplomatiques de Washington et de l'Union européenne. Hugo Chavez, lui, a applaudi "la réponse digne" de la Russie à l'offensive avortée de la Géorgie.

Deux jours avant la confirmation russe des prochaines manoeuvres navales en mer des Caraïbes, le contre-amiral Salbatore Cammarata, directeur du Renseignement stratégique de l'état-major naval du Venezuela, fixait du 10 au 14 novembre prochains le déroulement des ces manoeuvres. Le président vénézuélien Hugo Chavez l'a amendé en parlant de la "probabilité" de manoeuvres conjointes "fin novembre ou décembre", mais en réaffirmant que le Venezuela est désormais "un allié stratégique de la Russie".

La Russie a déjà vendu au Venezuela 24 avions de chasse Sukhoï, 53 hélicoptères et 100.000 fusils Kalachnikov pour un total de plus de trois milliards de dollars. Hugo Chavez, voisin ombrageux de la Colombie armée par les Etats-Unis, a en outre envisagé publiquement à diverses reprises l'achat de sous-marins russes.

Le 31 août dernier, le leader bolivarien confirmait qu'arrivera "bientôt" au Venezuela "un système intégral de défense antiaérienne à longue portée" de fabrication russe, pouvant frapper des cibles jusqu'à 200 km. Il indiquait alors que si un bombardier stratégique russe faisant éventuellement le tour de la planète avait besoin d'une escale technique au Venezuela, elle lui serait accordée.

De là à déduire que l'accueil "temporaire", au-delà de la durée des prochaines manoeuvres, d'avions anti-sous-marins russes pourrait s'étendre aux bombardiers stratégiques du président Dmitri Medvedev et de son Premier ministre Vladimir Poutine, il n'y aurait qu'un pas à franchir d'autant plus aisément que Cuba était désignée en juillet par plusieurs médias russes comme base régionale probable de tels bombardiers. Moscou avait alors démenti.

Cuba est l'alliée privilégiée du Venezuela. Ces deux pays ont créé l'ALBA (Alternative bolivarienne pour les Amériques) qu'ont ralliée la Bolivie, le Nicaragua, le Honduras et l'île de la Dominique. L'Equateur, le Paraguay et le Guatemala en sont de prochains membres potentiels.

Dans ce contexte, Hugo Chavez pourrait, dans sa logique bolivarienne, espérer retirer un certain nombre d'avantages de la nouvelle dimension stratégico-militaire de ses relations avec Moscou:

1. Contribution fortement symbolique et peut-être même effective à la remise en question de l'hégémonie des Etats-Unis.

2. Défaite du sénateur noir Barack Obama à l'élection présidentielle américaine du 4 novembre. L'élection historique à la présidence des Etats-Unis d'un Afro-Américain, partisan de surcroît du dialogue avec les ennemis actuels de Washington, rendrait soudain dérisoire le discours radicalement antiaméricain grâce auquel Chavez mobilise en permanence ses partisans et alliés au Venezuela et en Amérique latine. La sensation de défi et de menace que peut faire sentir aux électeurs américains la présence militaire russe au Venezuela favoriserait le faucon John McCain, l'adversaire républicain du démocrate Barack Obama. La victoire éventuelle de McCain serait pour Hugo Chavez le meilleur prétexte à la perpétuation du radicalisme bolivarien.

3. Relativisation de la prépondérance du Brésil. Dans le match non déclaré et d'apparence aimable que se livrent pour la suprématie politique en Amérique du Sud le Brésil social-démocrate et le Venezuela semi-collectiviste riche en pétrole, l'aval militaire d'une grande puissance, la Russie, permettrait à Caracas de compenser partiellement la primauté naturelle que confèrent au Brésil sa superficie continentale et ses quasi 200 millions d'habitants (contre 27 millions au Venezuela).

4. A tort ou à raison , Hugo Chavez peut logiquement être tenté de miser sur une présence militaire russe pour dissuader les intentions belliqueuses que Caracas prête régulièrement à la Colombie et aux Etats-Unis, qui réactivent leur 4e flotte dans la mer des Caraïbes et l'Atlantique sud.

5. L'aval russe permettrait peut-être au Venezuela de concrétiser la solidarité militaire que Hugo Chavez prône entre les membres de l'ALBA.

6. Un climat permanent de mobilisation militaro-nationaliste, ponctué de dénonciations de supposés ou réels complots putschistes, pourrait devenir l'un des recours de Hugo Chavez contre tout nouveau revers électoral après celui subi au référendum de décembre 2007 sur une révision socialiste de la Constitution. Les élections régionales et municipales du 23 novembre prochain seront décisives pour la continuité du pouvoir chaviste.

En revanche, Hugo Chavez ou l'Amérique latine peuvent craindre des retombées négatives d'une forte complicité militaire entre Caracas et Moscou:

1. L'implication de l'Amérique latine dans une dynamique de néo-guerre froide risque de réduire dans la région l'impact de la suprématie actuelle de la gauche en élargissant les contradictions entre ses composantes radicales et modérées. La consolidation de la jeune Union des nations sud-américaines (Unasur) et la création du Conseil de défense sud-américain proposée par le Brésil pourraient se compliquer, ainsi que l'ambition de l'Unasur de s'ériger en acteur global d'un monde multipolaire. A noter toutefois que le Brésil du président Inacio Lula da Silva envisage lui-même une association avec la Russie pour produire des avions de combat et des plates-formes lance-missiles. Le président russe Dmitri Medvedev pourrait être reçu en novembre à Brasilia.

2. Réduction de la stabilité politique et économique vénézuélienne et régionale en fonction de l'incertitude sur l'ampleur et les effets d'éventuelles mesures de rétorsion que pourraient adopter les Etats-Unis et peut-être l'Union européenne si l'alliance russo-vénézuélienne s'inscrivait dans une hostilité ouverte contre l'Occident ou contre certains pays du continent américain. Largement critiqué, l'embargo de Cuba par les Etats-Unis n'en est pas moins toujours une réalité 46 ans après la "crise des missiles" déclenchée en 1962 par l'installation de fusées soviétiques sur l'île des frères Castro. La planète frôla alors l'apocalypse nucléaire.

3. Une confiance excessive du Venezuela dans ses capacités militaires renforcées par la Russie pourrait nuire à la stabilité régionale en exacerbant les vieilles revendications territoriales de Caracas sur la Guajira colombienne et sur le nord-ouest de la Guyana.

4. Le stationnement "temporaire" annoncé à Moscou d'avions militaires russes sur un aérodrome du Venezuela se situe à la limite d'une légalité définie par l'article 13 de la Constitution bolivarienne. Cet article prohibe dans "l'espace géographique" national déclaré "zone de paix" l'établissement, "par une quelconque puissance ou coalition de puissances", non seulement de bases militaires, mais aussi "d'installations ayant de quelque manière des objectifs militaires". L'opposition à Hugo Chavez tentera d'y trouver argument pour accuser le chef de l'Etat de mépriser sa propre Constitution.

5. Enfin, Hugo Chavez fait peut-être un pari erroné sur la stabilité de son alliance avec la Russie. Théoriquement anticapitaliste et friand de nationalisations, le "socialisme du 21 siècle" du leader bolivarien est aux antipodes idéologiques d'un néocapitalisme parfois sauvage qui grandit à Moscou, où est tournée la page du passé collectiviste. La Russie ne défend plus une idéologie, mais bien ses intérêts. Sur cette base, Washington et Moscou ne sont pas nécessairement condamnées à se défier durant des lustres. Leur éventuelle réconciliation conduirait Chavez à perfectionner son chinois. Le 1er novembre prochain, c'est de Chine que sera lancé le "Simon Bolivar", premier satellite vénézuélien.


Dernière heure
DEUX BOMBARDIERS STRATÉGIQUES RUSSES TU-160 AU VENEZUELA

CARACAS, mercredi 10 septembre 2008 - Dans une allocution radio-télévisée, le président vénézuélien Hugo Chavez a confirmé mercredi l'arrivée au Venezuela de deux bombardiers stratégiques russes TU-160.

Moscou avait annoncé peu auparavant la présence des appareils depuis mercredi au Venezuela. "Deux bombardiers stratégiques TU-160 des forces aériennes russes vont effectuer pendant quelques jours des vols d'entraînement au-dessus des eaux neutres, après quoi ils retourneront sur leur base" en Russie, a déclaré le ministère russe de la Défense.

Selon Caracas, les deux bombardiers russes ont atterri sur la base aérienne d'El Libertador, dans l'Etat vénézuélien d'Aragua (nord).

L'itinéraire du vol jusqu'au Venezuela "passait au-dessus des eaux neutres des océans Glacial [Artique] et Atlantique", a précisé le ministère russe, ajoutant que le vol des bombardiers depuis la base russe d'Enguelsk, dans la région de Saratov (Volga), avait duré près de 13 heures. "Des chasseurs de l'Otan ont suivi les avions TU-160 pendant leur vol", a souligné un porte-parole du ministère.

Le TU-160, baptisé "Black Jack" par l'OTAN, peut transporter douze missiles de croisière à tête nucléaire ou conventionnelle et 40 tonnes de bombes.

"Je piloterai l'une des ces bestioles" a indiqué le président Chavez. Il a aussi affirmé que ces avions sont les bienvenus et que "l'hégémonie yankee, c'est fini".




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