Retour / BackAffrontement sans précédent au 17e sommet ibéro-américain Le roi d'Espagne à Hugo Chavez : "Pourquoi tu ne te tais pas?" "Moi, j'ai été élu trois fois" réplique le président du Venezuela
Article révisé le 13.11.2007
SANTIAGO / MADRID, lundi 12 novembre 2007 (LatinReporters.com) - "¿Por
qué no te callas?" (Pourquoi tu ne te tais pas?)... Des mots qui marqueront
longtemps l'Ibéro-Amérique. A la stupeur des chefs d'Etat et
de gouvernement des 22 pays hispanophones et lusophones du vieux et du nouveau
continent, le roi Juan Carlos d'Espagne les a lancés, le 10 novembre
à Santiago du Chili, au visage du bouillant président vénézuélien
Hugo Chavez.
"La cohésion sociale" était pourtant, ironiquement, le thème
du 17e sommet ibéro-américain réuni du jeudi au samedi
dans la capitale chilienne. Seul Juan Carlos Ier a participé à
toutes les éditions de ce forum qui est à l'Espagne ce que
le Commonwealth est au Royaume-Uni.
Réputé pour son humour, admiré jusqu'à l'excès
dans le monde comme symbole de la démocratisation de l'Espagne post-franquiste,
respectueux depuis son couronnement, en 1975, de l'exquise neutralité
attendue d'un arbitre et modérateur constitutionnel des institutions, Juan Carlos de Bourbon est soudain
redevenu un homme du commun livré à ses impulsions. Pour le
diaboliser ainsi - ou l'exorciser, c'est selon- il fallait qu'intervienne
le vicaire rouge de l'or noir vénézuélien, Hugo Chavez
Avec ses amis bolivariens - les présidents Daniel Ortega du Nicaragua,
Evo Morales de Bolivie, Rafael Correa de l'Equateur et Carlos Lage, vice-président
cubain- Chavez était venu dire au sommet de Santiago que "la cohésion"
est une vision "très conservatrice et statique" qu'il conviendrait
de remplacer par les concepts "dynamiques et révolutionnaires de transformation
et de justice sociales".
Le président vénézuélien a critiqué les
gouvernements, entreprises et médias occidentaux, ainsi que l'Eglise et le pape. Il a
accusé les Etats-Unis, l'Union européenne et l'ex-président conservateur
du gouvernement espagnol, José Maria Aznar, d'avoir approuvé
le coup d'Etat qui l'écarta du pouvoir pendant 48 heures en avril 2002.
Aux yeux de Chavez, lui-même ex-putschiste, "Aznar est un fasciste,
un raciste, moins humain qu'un serpent ou qu'un tigre". Mais, première
surprise, en tant qu'Espagnol et au nom du "respect dû à tout
ancien mandataire élu par le peuple", le socialiste José Luis
Rodriguez Zapatero, venu à Santiago avec son roi, prenait soudain
en séance plénière la défense de son prédécesseur
et ennemi déclaré, José Maria Aznar. (Patriotisme partiellement
électoraliste de M. Zapatero à l'approche des législatives
de mars 2008?... Question pertinente, vu que le chef de la diplomatie espagnole,
le ministre socialiste Moratinos, assis à Santiago entre le roi Juan
Carlos et le président vénézuélien, avait lui
aussi, en novembre 2004 à Madrid qui recevait Chavez, accusé
Aznar d'avoir appuyé le putsch d'avril 2002).
Chavez interrompait à quatre reprises l'appel au respect lancé
par Zapatero, le priant chaque fois d'exiger le même respect de la
part d'Aznar (connu pour son hostilité au "populisme" chaviste).
Et, deuxième surprise, le roi Juan Carlos explosait alors
avec son "Pourquoi tu ne te tais pas?", prononcé avec irritation et
la main gauche tendue vers Hugo Chavez. Enfin, troisième et dernière
surprise, Juan Carlos quittait la salle au moment où le Nicaraguayen
Daniel Ortega s'en prenait à son tour à l'Espagne, affirmant
notamment que "des ambassadeurs espagnols, en compagnie des yankees, réunissaient
avant les élections à l'ambassade d'Espagne les forces de la
droite du Nicaragua pour les unir afin que ne triomphe pas le Front sandiniste".
Ne réagissant au "Pourquoi tu ne te tais pas?" que quelques heures plus tard, à l'issue
d'un "sommet des peuples" alternatif tenu au vélodrome de Santiago, Hugo Chavez
déclarait que "le roi est roi, mais il ne peut pas me faire taire... Il est chef d'Etat autant
que moi, à la différence que, moi, j'ai été élu
trois fois".
Le gouvernement espagnol minimise, mais les dégâts diplomatiques
(et économiques?) risquent d'être considérables. Le roi Juan Carlos pourra-t-il
encore participer aux sommets ibéro-américains (le 18e est
prévu l'an prochain au Salvador) sans provoquer le retrait du Venezuela
et de ses alliés? Tissée patiemment pendant près de
vingt ans par l'Espagne pour renforcer son influence diplomatique et commerciale
dans le monde, l'institution ibéro-américaine survivrait-elle
à la défection d'un bloc croissant de pays radicaux?
Le paradoxe est que l'Espagne se retrouve en porte-à-faux vis-à-vis
de pays -Venezuela, Cuba, Bolivie- avec lesquels le
socialiste Zapatero prétendait nouer ou renouer des liens privilégiés.
Un autre voyage de Juan Carlos Ier, la semaine dernière dans les enclaves
nord-africaines de Ceuta et Melilla, villes espagnoles revendiquées
par Rabat, refroidissait l'amitié hispano-marocaine, pourtant elle aussi
déclarée prioritaire par M. Zapatero.
L'Espagne zapatériste a désormais des relations difficiles
à la fois avec l'administration américaine de Gorge W. Bush
et avec les pires ennemis de Washington en Amérique latine. L'influent
quotidien madrilène El Pais, proche des socialistes, note que
la gestion par des entreprises espagnoles, dans de nombreux pays latino-américains
minés par les inégalités et la pauvreté, de services
de base -électricité, eau, gaz, téléphone- qui
affectent directement les budgets familiaux nourrirait, avec le passé
colonial, les difficultés de l'Espagne dans une région où
elle est le second investisseur après les Etats-Unis.
A Caracas, la chaîne publique VTV (Venezolana de Television) s'en prend
à "l'arrogance impériale" du roi d'Espagne qui "ordonne à
ses ex-colonies américaines de se taire". En Argentine, même
un journal aussi modéré que le quotidien de centre droit La
Nacion s'étonne de découvrir "la colère, face inconnue
de Juan Carlos". Son envoyé spécial à Santiago assimile
"les cris du roi" à "un reflet brutal de la fissure idéologique
qui s'amplifie à un rythme intense en Amérique latine". L'Espagne,
comme avant elle les Etats-Unis, ferait désormais aussi figure de
"géant du Nord dans la rhétorique anti-impérialiste
dont Chavez est la principale vedette" poursuit la Nacion.
En Espagne, le roi est applaudi par la quasi totalité des médias.
On le crédite d'avoir sauvegardé l'honneur du pays à Santiago.
En faisant ovationner le souverain dans un meeting, Mariano Rajoy, successeur
de José Maria Aznar à la présidence du Parti Populaire
(PP, opposition de droite), a accusé M. Zapatero d'être à
l'origine de la soudaine crise diplomatique pour avoir développé
des "amitiés dangereuses" avec Hugo Chavez et ses satellites. Aznar n'en a pas moins
téléphoné au chef du gouvernement, pour la première fois depuis
plusieurs années, afin de le remercier de l'avoir défendu.
Seuls deux partis politiques espagnols critiquent l'attitude du roi au sommet
ibéro-américain. Les indépendantistes de la Gauche républicaine
catalane (ERC) y décèlent de la "prépotence" et les
écolos-communistes de la Gauche unie (IU) parlent de "geste inadéquat".
C'est essentiellement grâce à l'appui parlementaire de ces deux
partis que les socialistes de M. Zapatero, qui ne disposent que d'une majorité
relative, gouvernent l'Espagne depuis 2004.