Retour / Back

Crise après la révocation de la médiation du président du Venezuela
Colombie / Betancourt / otages : Chavez juge "grave" la "trahison" d'Uribe

CARACAS / BOGOTA, samedi 24 novembre 2007 (LatinReporters.com) - "J'ai perdu confiance et cela est grave pour les relations bilatérales... Je me sens trahi dans ma bonne foi. Uribe a rompu un engagement en violant la confiance, car il devait m'appeler pour éclaircir ce qui s'est passé" a déclaré, samedi à 2h du matin sur la chaîne publique Venezolana de Television, le président vénézuélien Hugo Chavez. Son homologue colombien Alvaro Uribe l'a déchargé mercredi de sa mission de médiateur avec les FARC visant à la libération d'Ingrid Betancourt et d'autres otages de cette guérilla.

En guerre intérieure depuis plus de 40 ans contre les insurgés marxistes des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie), le pays d'Alvaro Uribe est armé par Washington. Hugo Chavez, lui, au nom de la résistance contre une éventuelle attaque des Etats-Unis, se renforce par l'achat massif de corvettes, sous-marins, hélicoptères, avions de chasse, systèmes anti-aériens et fusils d'assaut via des contrats conclus ou en négociation avec notamment la Russie, la Biélorussie et l'Espagne.

Au-delà du dossier des otages, c'est donc une inquiétude pour la paix régionale que peut faire fait planer le mot "grave" appliqué par Hugo Chavez aux relations entre deux grands pays sud-américains surarmés qui partagent 2.219 km de frontière commune. D'autant plus qu'un vieux différend frontalier oppose la Colombie et le Venezuela dans la région de La Guajira, en bordure du lac de Maracaibo, où est extraite la majeure partie du pétrole vénézuélien.

Le général à la retraite Fernando Ochoa, successivement ministre de la Défense et des Relations extérieures du Venezuela sous la présidence du social-démocrate Carlos Andres Perez (destitué en 1993 pour malversation de fonds publics), estimait en juillet dernier que le réarmement vénézuélien rend "très crédible" un conflit prochain avec la Colombie, qui permettrait à Chavez d'étouffer plus facilement l'opposition interne à la radicalisation de son socialisme bolivarien.

Au risque de heurter de légitimes sensibilités et d'encourir l'excommunication de l'Eglise Ingridiste dont le président français Nicolas Sarkozy est désormais le pape européen, force est de constater qu'on n'a donc pas fini de s'interroger sur les conséquences possibles de l'imprudence courageuse d'Ingrid Betancourt, dans la mesure où surtout elle et d'autres otages aux mains de la guérilla contribueraient, malgré eux et fût-ce partiellement, à une crise "grave" entre Bogota et Caracas. La Franco-Colombienne était en campagne électorale, briguant la présidence de la Colombie, lorsqu'elle fut séquestrée le 23 février 2002 par les FARC sur une route du Sud colombien que l'armée, à hauteur de barrages préventifs, lui avait pourtant déconseillé d'emprunter à cause de la présence de guérilleros.

Selon Bogota, c'est pour avoir contacté sans autorisation à propos des otages le chef de l'armée colombienne, le général Mario Montoya, que Hugo Chavez a été relevé le 21 novembre de sa médiation avec les FARC, confiée fin août par Alvaro Uribe. Ce dernier, au sommet ibéro-américain de Santiago du Chili conclu le 10 novembre, avait expressément invité le président Chavez à ne pas "entrer directement en communication avec le haut commandement institutionnel de la Colombie".

La correspondante à Bogota du journal espagnol de centre gauche El Pais affirme qu'Uribe montra alors à Chavez des photos prises par satellite d'un camp des FARC au Venezuela, dans la région montagneuse de Perija.

La Colombie avait déjà marqué fermement son opposition à des ingérences non autorisées en expulsant des Vénézuéliens qui faisaient campagne pour des candidats séduits par le socialisme bolivarien dans le cadre des élections municipales et régionales colombiennes d'octobre dernier.

Hugo Chavez a néanmoins attribué samedi la fin de sa médiation décidée par la Colombie à "d'énormes pressions" de "l'extrême droite", de Washington et, éventuellement, de militaires colombiens. Il a aussi menacé de "dire des choses", se référant sans doute à des aspects réservés de la mission que lui avait confiée Alvaro Uribe. Le président français Nicolas Sarkozy, qui a lui aussi des contacts réservés avec Hugo Chavez, dont il souhaite la reprise de la médiation, est ainsi prévenu que le secret diplomatique n'est que relatif aux yeux du chef de l'Etat vénézuélien.

Paradoxalement, la soudaine crise entre la Colombie et le Venezuela ouvre une large fenêtre sur l'espoir. Interpellant à nouveau virtuellement et en le tutoyant sur la Venezolana de Television le chef suprême présumé des FARC, le patriarche Manuel Marulanda (invisible depuis 2002), Hugo Chavez, comme si sa médiation se poursuivait, l'a invité une fois de plus samedi à envoyer à Caracas les preuves de vie tant réclamées d'Ingrid Betancourt et d'autres otages de la guérilla. "Et si tu veux en libérer un groupe ou tous, ils seront les bienvenus" a ajouté le président vénézuélien.

Quelques heures auparavant, devant les membres du Parlement latino-américain réunis à Bogota, le président colombien Alvaro Uribe affirmait que "si les terroristes [des FARC] libèrent unilatéralement les séquestrés en les remettant au président Chavez, de la République bolivarienne soeur du Venezuela, ou au président Sarkozy de France ou à la Croix-Rouge internationale ou que simplement ils les libèrent, le gouvernement de la Colombie dit d'avance: bienvenue soit cette libération".

Selon le ministre colombien de la Défense, Juan Manuel Santos, qui rencontrait la presse vendredi à l'ambassade de Colombie à Londres, l'échange d'otages des FARC contre des guérilleros emprisonnés "peut se faire très rapidement, même par téléphone", à condition que les insurgés "en aient la volonté".

En conséquence, reporter sur les FARC la pression diplomatique et médiatique exercée sur le président Uribe (qui n'est pas le ravisseur et dont la popularité intérieure est remontée depuis juillet de 66 à 78%) serait peut-être particulièrement judicieux dans les circonstances actuelles. On verrait alors si l'échange humanitaire de prisonniers importe plus aux rebelles que leur objectif politique de reconnaissance internationale soutenu par leur chantage sur le sort de leurs otages.




© LatinReporters.com - Amérique latine - Espagne
Le texte de cet article peut être reproduit s'il est clairement attribué
à LatinReporters.com avec lien actif sur le mot LatinReporters.com