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Rapprochement Brésil - États-Unis interrompu, Unasur divisée, rapatriement de l'or vénézuélien
Libye : répercussions du conflit en Amérique latine
 

BUENOS AIRES, vendredi 2 septembre 2011 (LatinReporters.com) - "La crise libyenne a interrompu le rapprochement entre Brasilia et Washington", "le dénouement du conflit a mis en évidence les divergences au sein de l'Unasur (Union des nations sud-américaines) en matière internationale" et la décision de Hugo Chavez de rapatrier l'or vénézuélien "est la conséquence de l'efficacité avec laquelle ont été saisis les avoirs de la Libye à l'extérieur" estime Rosendo Fraga, directeur du think tank argentin Centro de Estudios Nueva Mayoría (CENM).

Observant l'évolution socio-politique de l'Amérique latine, le CENM conseille forces politiques et organisations sociales. Certaines de ses analyses sont diffusées sur le site NuevaMayoria.com. Membre aussi du Conseil argentin des relations internationales, Rosendo Fraga est un chroniqueur habituel des principaux quotidiens argentins (Clarín, La Nación, Ambito Financiero, Página 12, etc.).

Éloignement Washington - Brasilia

"L'Iran fut la cause de l'éloignement entre Washington et Brasilia lors de la phase finale du second mandat de [l'ex-président brésilien] Lula. La tentative de médiation conjointe du Brésil et de la Turquie dans le conflit entre l'Iran et les puissances occidentales sur le dossier nucléaire provoqua cette distanciation" rappelle Rosendo Fraga dans une analyse intitulée "Répercussions du conflit libyen en Amérique latine".

"Avec [l'actuelle présidente du Brésil] Dilma Rousseff, cela a changé. Au cours des premiers mois de sa gestion, elle chercha à améliorer les relations avec les Etats-Unis, prévoyant une visite officielle dans ce pays en 2012. La présidente brésilienne a assumé une posture plus critique que celle de son prédécesseur [Luiz Inacio Lula da Silva] à l'égard des dictatures du monde émergent et, en particulier, elle effectua un virage dans le dossier iranien" poursuit l'analyste argentin.

Mais il constate que "le conflit libyen a remis en évidence des différences entre les visions internationales du Brésil et des États-Unis". Brasilia n'a pas approuvé l'intervention militaire occidentale en Libye, menée par l'OTAN sous couvert du Conseil de sécurité de l'ONU. "Quoique le Brésil ait une tradition de non-intervention, son attitude dans le conflit libyen s'inscrit désormais dans une stratégie internationale d'acteur global ou de puissance émergente" estime Rosendo Fraga. Il qualifie de "différence importante" par rapport aux puissances occidentales le fait de ne pas reconnaître le nouveau gouvernement libyen.

Les observateurs notent que le Brésil, qui a des intérêts pétroliers en Libye, n'a effectivement pas reconnu le Conseil national de transition (CNT), instance dirigeante de la rébellion libyenne. Selon Brasilia, il appartient à l'ONU de définir le futur de la Libye et de se prononcer sur la légitimité de son gouvernement. A la conférence internationale de soutien à la "Libye nouvelle", le 1er septembre à Paris, le Brésil était modestement représenté par son ambassadeur au Caire, Cesario Melantonio.

Au sein de l'Unasur, trois positions différentes

La crise en Syrie révèle également des divergences entre Brasilia et Washington, affirme Rosendo Fraga. Il relève que si les présidents américain et français, Barack Obama et Nicolas Sarkozy, "ont réclamé publiquement la démission" du président syrien Bachar el-Assad, par contre le Brésil, associé à l'Inde et à l'Afrique du Sud, "tente d'ouvrir une médiation dans le conflit syrien", alors que "la chute de Kadhafi a renforcé les réformistes syriens, qui se transforment en rebelles et demandent l'intervention de l'OTAN".

Au sein aussi de l'Unasur, qui englobe les 12 Etats de l'Amérique du Sud, le conflit libyen a soulevé des divergences, mises en lumière les 18 et 19 août à Buenos Aires lors d'une réunion des ministres des Affaires étrangères des pays de l'organisation.

Le directeur du CENM écrit à ce propos : "On enregistra deux positions extrêmes. La Colombie, conformément à son alignement stratégique sur Washington, a déjà reconnu le nouveau gouvernement libyen, tandis qu'à l'autre l'extrême, le Venezuela continue à reconnaître Kadhafi. Le Brésil, lui, maintient une position intermédiaire, attendant - comme d'autres puissances émergentes - l'évolution des événements pour reconnaître ou non le nouveau gouvernement. Le ministre vénézuélien des Affaires étrangères n'obtint que la condamnation par l'Unasur de l'attaque de son ambassade à Tripoli par des groupes rebelles. Affichant ainsi au moins trois positions différentes à l'égard de ce conflit, les douze pays du groupe régional ont mis en évidence leurs limites en tant qu'acteur global".

Rapatriement de l'or vénézuélien

Quant à la décision du président Hugo Chavez de rapatrier les réserves d'or du Venezuela déposées dans des banques occidentales, Rosendo Fraga y voit une conséquence du conflit libyen et plus précisément une "conséquence de l'efficacité avec laquelle ont été saisis les avoirs de la Libye à l'extérieur, dans les pays développés". L'analyste admet néanmoins que "l'incertitude générée par la crise économico-financière globale" pesa également dans la décision de Chavez.

Dans ce contexte, LatinReporters croit pertinent de rappeler que lors d'un récent discours télévisé, le 21 août, Hugo Chavez accusait l'opposition de préparer au Venezuela des vagues de violences comparables à celles qui ont déferlé sur la Libye et la Syrie afin de justifier une intervention de "l'impérialisme" pour s'emparer du pétrole vénézuélien.

Mais des opposants se demandent si, pour se décider à rapatrier l'or national, Chavez n'avait pas plutôt évalué les conséquences d'événements graves que provoquerait prochainement son propre régime bolivarien, au risque d'un gel par la communauté internationale des avoirs extérieurs du Venezuela, comme ceux de la Libye. Des troubles majeurs découleraient par exemple du refus d'accepter une éventuelle victoire de l'opposition à l'élection présidentielle de 2012, à laquelle Chavez s'est déjà porté candidat, ou d'une altération accentuée des garanties d'une élection démocratique.

Lorsqu'ils affirment n'être pas disposés à reconnaître d'autre chef que Hugo Chavez, des généraux ne dissipent pas les craintes. Le cancer du président vénézuélien non plus. Dans son rapport "Violence et politique au Venezuela" publié le 17 août, l'International Crisis Group redoute l'éclatement d'une "violence meurtrière" pouvant provoquer "la perte de milliers de vies" et "menacer sérieusement la stabilité du pays et de la région".


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