Venezuela et dissidents, acteurs aussi d'un sommet « historique »
Sommet des Amériques: rencontre…et duel Obama-Castro

par Christian GALLOY
 

MADRID / PANAMA, 9 avril 2015 (LatinReporters.com) - Premier à accueillir Cuba, le 7ème Sommet des Amériques, les 10 et 11 avril au Panama, en devient « historique ». Le rapprochement cubano-étasunien annoncé en décembre y sera symbolisé par la rencontre très attendue entre les présidents Raul Castro et Barack Obama. Mais leur duel idéologique n'est pas clos.

Preuve en est que plusieurs dizaines de dissidents cubains, invités avec la bénédiction de Washington par le gouvernement conservateur du Panama, réclameront pour leur île une nouvelle loi électorale et la reconnaissance du multipartisme lors du forum de la société civile organisé en marge du sommet. Barack Obama participera à ce forum.

Les antigouvernementaux vénézuéliens se feront aussi entendre. Mitzy Capriles et Lilian Tintori, épouses respectives des opposants Antonio Ledezma, maire de Caracas, et Leopoldo Lopez dénonceront la situation de leurs maris incarcérés.

Présentant leurs requêtes dans la capitale panaméenne, 28 organisations internationales demandent au Venezuela présidé par Nicolas Maduro de cesser « d'intimider et de harceler » les défenseurs des droits de l'homme et 19 ex-présidents latino-américains réclament la libération des « prisonniers politiques » vénézuéliens.

Le forum de la société civile est « manipulé » par les États-Unis, estime le professeur d'université panaméen Olmedo Beluche, l'un des organisateurs d'un autre événement parallèle, le Sommet des Peuples, censé contrer le tumulte des dissidents cubains et opposants vénézuéliens.

L'essence du Sommet des Amériques

Maintenant ainsi une pression sur Cuba et l'intensifiant sur son principal allié régional, le Venezuela, déclaré « menace extraordinaire et inhabituelle pour la sécurité nationale et la politique extérieure des États-Unis » dans un décret qu'il signait le 9 mars, Barack Obama cherche peut-être à endiguer l'opposition de la majorité parlementaire républicaine au lent rétablissement de pleines relations avec La Havane.

Mais au-delà de tactiques à usage domestique, le président Obama semble vouloir récupérer l'essence même de l'institution du Sommet des Amériques, matérialisée à l'initiative des États-Unis sous la présidence de Bill Clinton, en 1994 à Miami.

Lors de ce premier sommet, dont Cuba était exclu, les 34 chefs d'État des autres pays des Amériques acceptèrent, outre le renforcement de la démocratie, un objectif stratégique pour Washington : la création progressive de la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA ou ALCA selon son sigle espagnol). De l'Alaska à la Terre de Feu, elle devait constituer un marché de 850 millions d'habitants.

Cette ambition fut torpillée au 4ème Sommet des Amériques, en 2005 à Mar del Plata (Argentine). L'opposition et l'influence des présidents vénézuélien et argentin, Hugo Chavez et Nestor Kirchner, ainsi que les ambitions régionales du Brésil y signifièrent la fin du projet de la ZLEA, défendu alors par le président étasunien George W. Bush.

Influence régionale des États-Unis menacée

Aux deux Sommets des Amériques suivants, le 5ème en 2009 à Puerto España (Trinité-et-Tobago) et le 6ème en 2012 à Carthagène (Colombie), les États-Unis étaient déjà représentés par Barack Obama.

Aucun de ces deux sommets ne put émettre un communiqué final. L'exclusion de Cuba exigée par les États-Unis et l'embargo imposé à l'île par Washington depuis 1962 furent la cause principale de l'absence de consensus.

À Carthagène, la quasi totalité des présidents latino-américains, y compris le conservateur colombien Juan Manuel Santos, allié privilégié du Pentagone, allèrent jusqu'à menacer d'un refus de participation de leur pays aux prochains Sommets des Amériques si Cuba en demeurait bannie.

L'institution du Sommet des Amériques, et avec elle l'Organisation des États américains (OEA) qui la chapeaute depuis Washington, étaient ainsi menacées d'insignifiance, voire de disparition, faute d'un revirement de la Maison Blanche à propos de Cuba.

L'influence régionale des États-Unis, déjà en recul sous la poussée de l'Union européenne, de la Chine et d'une concertation latino-américaine progressive, risquait un effondrement aussi « historique » que l'actuelle ouverture cubano-étasunienne.

Le lien est donc étroit entre, d'une part, cette ouverture et la première participation de Cuba à un Sommet des Amériques, et, d'autre part, la survie de ce type de sommet et de l'OEA, ainsi que des ambitions régionales étasuniennes qui y sont associées.

Face à Washington, l'Amérique latine appuie aussi le Venezuela

En levant son interdit à l'intégration de Cuba à la plus haute instance de concertation interaméricaine, Washington a rouvert sur le continent des voies de dialogue politiques et économiques qu'une solidarité latino-américaine inattendue lui fermait graduellement.

Pour John Kerry, le chef de la diplomatie étasunienne qui accompagnera Obama au Panama, l'heure est venue « de prendre la tête d'efforts collectifs hémisphériques afin que progressent nos engagements communs avec la démocratie, les droits de l'homme et le développement économique inclusif », selon les termes du Département d'État.

Cette vision de leadership étasunien, ainsi que le thème de ce 7ème Sommet des Amériques, « Prospérité avec équité », rappellent les ambitions du premier sommet de Miami. Qu'on reparle soudain de la ZLEA, fût-ce sous un autre nom, étonnerait peu.

Mais l'obstacle cubain déminé, reste l'obstacle vénézuélien. La sous-secrétaire d'État étasunienne pour l'Amérique latine, Roberta Jacobson, a reconnu sa « déception » face à l'appui apporté au président Nicolas Maduro par les principales organisations régionales latino-américaines en réaction au décret d'Obama qualifiant le Venezuela de « menace extraordinaire et inhabituelle pour la sécurité nationale et la politique extérieure des États-Unis ».

« Les États.Unis ne croient pas que le Venezuela représente une menace pour notre sécurité nationale » vient de rectifier opportunément l'un des assesseurs de la Maison Blanche, Ben Rhodes.

En route vers le Panama, Barack Obama n'en fait moins étape en Jamaïque pour tenter d'y contrer, ce 9 avril, la pétro-diplomatie vénézuélienne. Caracas offre son pétrole à des conditions avantageuses à 17 pays regroupés au sein de Petrocaribe.

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