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Image forte d'un président des États-Unis se recueillant devant la tombe de l'archevêque Romero
Obama / Amérique latine : bilan de la tournée au Brésil, Chili et Salvador

Vendredi 25 mars 2011 (LatinReporters.com) - Au Brésil, au Chili et au Salvador, du 19 au 23 mars, la première tournée de Barack Obama en Amérique latine, redevenue économiquement essentielle aux yeux de Washington, a été bousculée par la crise libyenne. Cette malchance serait compensée à la condition très incertaine que perdure dans le souvenir collectif latino-américain l'image du président des Etats-Unis se recueillant à San Salvador devant la tombe de l'archevêque martyr Oscar Romero.

Cette image forte valait à elle seule le voyage d'un président qui auparavant, en deux ans de mandat, n'avait effectué au sud du Rio Grande que deux sauts au Mexique et un autre à Trinité-et-Tobago pour le Ve Sommet des Amériques.

Jamais avant Barack Obama un locataire de la Maison blanche n'avait honoré la mémoire de celui qu'on appelait "la voix des sans voix". L'archevêque Oscar Romero avait 62 ans lorsqu'un des escadrons de la mort formés par des paramilitaires l'exécuta d'une balle dans le coeur en pleine messe, sous les yeux d'une multitude de fidèles.

Le crime fut commis le 24 mars 1980, au début de la guerre civile salvadorienne. Elle fit 75.000 morts jusqu'en 1992. Mgr Romero s'était érigé en référence morale contre la violence et les injustices frappant les plus humbles. Les Etats-Unis soutenaient à l'époque le gouvernement et les militaires du Salvador contre la guérilla marxiste du Front Farabundo Marti pour la libération nationale (FMLN), appuyée par Cuba et par le Nicaragua sandiniste.

"Mgr Romero est le Gandhi de l'Amérique latine (...) Obama est le premier président nord-américain à lui rendre hommage. C'est une façon d'admettre la transcendance du crime commis et de reconnaître de quel côté se situait la raison en ces années sauvages au cours desquelles les intérêts stratégiques justifiaient toute atrocité" estime l'envoyé spécial pour la visite d'Obama du quotidien espagnol El Pais.

Mais l'étape salvadorienne, centrée sur les problèmes migratoires et la sécurité face à la délinquance et au narcotrafic, était la dernière de la tournée d'Obama. Une étape parcourue au pas de course et même écourtée pour revenir suivre la crise libyenne à Washington. Dommage pour le symbolisme, pas assez exploité pour cause d'urgence. Il était pourtant double, puisqu'au Salvador Barack Obama faisait un pied de nez au président vénézuélien Hugo Chavez, bête noire des Etats-Unis, en étant reçu à bras ouverts par un président de gauche, l'ex-journaliste Mauricio Funes. Elu en mars 2009 sous la bannière du FMLN, le président salvadorien a résisté depuis à la radicalisation et aux pétrodollars du maître de Caracas.

Pétrole brésilien : "les Etats-Unis veulent être un grand client"

Au Brésil, puis au Chili, fleurons d'une région qui grâce à ses exportations vers la Chine et l'Inde a proportionnellement mieux résisté à la crise que l'Amérique du Nord, le président Obama s'était présenté sans complexe tel un démarcheur commercial convoitant les sources d'énergie, surtout le pétrole brésilien, et les opportunités d'exportation qui réduiraient le chômage aux Etats-Unis.

Aux côtés de la présidente brésilienne Dilma Rousseff qu'il rencontrait pour la première fois, Obama déclarait par exemple à Brasilia : "Le Brésil se préparant à recevoir la Coupe du monde [de football, en 2014] et les Jeux olympiques d'été [de 2016], nous nous assurons que les compagnies américaines puissent jouer un rôle dans les nombreux projets d'infrastructure nécessaires".

Ou encore : "Nous ouvrons un nouveau dialogue stratégique sur l'énergie pour nous assurer que nos gouvernements travaillent ensemble au plus haut niveau pour mettre à profit de nouvelles opportunités. A propos, en particulier, des nouvelles découvertes de pétrole au large du Brésil, la présidente Rousseff a dit que le Brésil veut être un fournisseur important de nouvelles sources stables d'énergie et je lui ai dit que les Etats-Unis veulent être un grand client, ce qui serait un gain pour nos deux pays".

Le discours de Rio de Janeiro adressé par Obama au peuple brésilien, puis celui de Santiago du Chili à l'Amérique latine toute entière, présentaient le même canevas : éloge de gouvernements et de peuples latino-américains qui, Obama tentant là de surfer sur l'actualité dérangeante, devraient servir de modèle à la démocratisation des pays arabes en ébullition; promesses aussi d'un développement social et politique plus riche, par une collaboration entre partenaires égaux, avec droits et devoirs réciproques, dans la conscience que "nous sommes tous des Américains".

Barack Obama a reçu confirmation de l'ambition de Brasilia d'accéder à davantage de responsabilités dans la gouvernance financière et politique mondiale. Comme son prédécesseur Luiz Inacio Lula da Silva (qui a boudé la visite d'Obama), la présidente Dilma Rousseff veut pour le Brésil un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies. Le président Obama en a pris note, mais s'est abstenu de s'engager, d'autant que Brasilia n'était pas sur la même longueur d'onde que Washington en s'abstenant au Conseil de sécurité, le 17 mars dernier, sur le feu vert à l'intervention armée en Libye contre la répression menée par l'armée du colonel Kadhafi.

Au palais de La Moneda, pas de retour sur le passé

Autre abstention très remarquée de Barack Obama : contrairement à ce que réclamaient des manifestants chiliens et souhaitaient nombre de Latino-Américains, il n'a pas demandé pardon pour l'appui des Etats-Unis à la dictature chilienne du général Augusto Pinochet en prononçant son discours à l'Amérique latine dans un lieu aussi symbolique que le palais présidentiel de La Moneda, à Santiago du Chili. Le président socialiste Salvador Allende s'y était suicidé lors du coup d'état militaire de Pinochet, le 11 septembre 1973. Comme au dernier sommet des Amériques, Barack Obama a incité l'Amérique latine à "ne pas être prisonnière du passé". Dans la foulée, il s'en est pris à la dictature cubaine et à "certains leaders qui recourent à des idéologies qui ont fait faillite pour réduire au silence leurs opposants".

Quelques heures seulement après que Barack Obama se soit envolé du Brésil vers le Chili, Dilma Rousseff réclamait, par une note de son ministère des Affaires étrangères, "un cessez-le-feu effectif en Libye". Le président du géant pétrolier brésilien Petrobras, José Sergio Gabrielli, avertissait pour sa part Barack Obama qu'il devrait faire des concessions commerciales pour accéder au pétrole brésilien.

L'éditorialiste du journal conservateur chilien El Mercurio, favorable en principe aux Etats-Unis, traçait les limites de la tournée présidentielle américaine en soulignant qu'il faudra plus que des mots pour convaincre qu'un nouveau chapitre est en train de s'écrire.

Même l'enthousiasme pro-américain du président chilien, le milliardaire Sebastian Piñera, a été parsemé de remarques. Il a estimé que pour relancer le commerce interaméricain comme le souhaite Barack Obama, il conviendrait notamment que Washington élargisse son accord de libre-échange avec le Chili et ratifie enfin les accords de libre-échange signés par les Etats-Unis en 2006 avec la Colombie et en 2007 avec le Panama.


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