L'affaire Nisman consterne le pays
Argentine: Kirchner lie à un complot la mort du procureur qui l'accusait

BUENOS AIRES, 30 janvier 2015 (LatinReporters.com) - Trois hypothèses, suicide, suicide assisté et assassinat, sont retenues dans l'enquête sur la mort mystérieuse d'un procureur, Alberto Nisman, qui accusait d'obstruction à la justice la présidente Cristina Kirchner.

L'affaire consterne l'Argentine et sème le doute sur le rôle du gouvernement et des services secrets de la nation. La présidente crie au complot.

« Qui a tué Nisman ? » se demandent toujours les Argentins plus de dix jours après sa mort. Ils sont plus de 70 % à ne pas croire au suicide de ce procureur fédéral. À défaut de réponses concrètes, le scandale politique enfle. Un feu nourri de critiques vise l'exécutif pour sa gestion de ce qui est devenu le « cas Nisman ».

Questions et contradictions se multiplient à mesure qu'apparaissent quotidiennement de nouvelles données dans les médias, mais sans qu'un porte-parole officiel n'explique où en est l'enquête.

Alberto Nisman fut retrouvé mort, une balle de calibre 22 dans la tempe, la nuit du 18 au 19 janvier dans son appartement de Puerto Madero, un quartier élitiste de Buenos Aires. Aucune raison n'explique jusqu'à présent son éventuel suicide et des indices favorisent plutôt l'hypothèse contraire.

La mort violente du procureur l'a empêché de confirmer devant une commission parlementaire, le même 19 janvier, son accusation contre la présidente Kirchner, son ministre des Affaires étrangères, Héctor Timmerman, et d'autres personnalités pour obstruction présumée à l'enquête sur l'attentat à la voiture piégée contre l'Association mutuelle israélite argentine (AMIA). L'attentat fit 85 morts et 230 blessés, le 18 juillet 1994 à Buenos Aires. Il est attribué par la justice argentine au Hezbollah et à l'Iran.

Cristina Kirchner, qui s'en défend, aurait cherché à couvrir l'Iran en échange du développement des relations commerciales bilatérales.

Spécialiste du terrorisme international, le procureur Nisman, âgé de 51 ans, était chargé depuis 2004 du dossier de l'attentat contre l'AMIA. Cette attaque terroriste, la plus meurtrière jamais perpétrée en Argentine, a exposé l'Iran, qui nie son implication, à de nombreuses accusations publiques, y compris du haut de la tribune des Nations unies.

Alberto Nisman, dont la mort reste entourée de mystère, avait dit craindre pour sa vie en demandant à l'un de ses collaborateurs de lui prêter … l'arme qui le tua. Il avait programmé plusieurs rendez-vous pour la semaine suivant sa fin tragique et laissé à une femme de ménage une liste écrite d'achats à effectuer. Magistrate aussi, son ex-femme, la juge fédérale Sandra Arroyo, rejette la thèse du suicide et affirme que son ex-mari était menacé de mort.

La perception d'impunité dans cette affaire digne d'un roman policier a scandalisé la société argentine. Les manifestations se sont multipliées à Buenos Aires pour réclamer une enquête exhaustive. Des protestataires agitaient des affichettes disant « Cristina assassin ». Certains médias importants et les partis d'opposition se gardent pour leur part de dissiper les hypothèses les plus défavorables à la présidente.

Se précipitant d'emblée, sur sa page Facebook, en faveur de la thèse du suicide, Cristina Kirchner rectifiait deux jours plus tard pour parler d'assassinat. Selon elle, le procureur Nisman aurait été manipulé puis sacrifié par d'anciens agents des services secrets, dans le cadre d'un complot contre le gouvernement impliquant aussi des médias, des forces économiques et des magistrats.

Le 26 janvier, cette fois à la télévision, Mme Kirchner réaffirmait sa théorie de la conspiration antigouvernementale, assise dans un fauteuil roulant suite à une fracture de la cheville gauche, ce qui projetait une image sans doute recherchée de victime. La chef de l'État annonçait alors une réorganisation des services de renseignement passant par la dissolution du principal d'entre-eux, le SI (Secretaría de Inteligencia).

Informateur du procureur Nisman, l’ex-homme fort du renseignement, Antonio "Jaime" Stiuso, et d'autres responsables du SI avaient été limogés en décembre dernier. Aussi, confortant l'accusation lancée par la présidente Kirchner, des analystes admettent-ils la possibilité que la mort d'Alberto Nisman s'inscrive dans une vengeance ourdie notamment par des destitués du SI.

Estimant sa vie en danger, Damián Pachter, premier journaliste à avoir informé de la mort du procureur, s'est réfugié en Israël.

L'ONU et plusieurs pays demandent, comme les Argentins, que soit éclaircie la mort suspecte d'Alberto Nisman.

Selon un sondage publié le 25 janvier par la revue Perfil, l'image négative de Cristina kirchner surpasserait la barre des 50 %.

Des élections présidentielle et législatives auront lieu le 25 octobre en Argentine. Au terme de deux mandats consécutifs, la présidente Kirchner ne pourra pas, selon la Constitution, briguer sa propre succession.

Dossier AMIA / Nisman - REQUÊTE D'INCULPATION DE LA PRÉSIDENTE KIRCHNER

BUENOS AIRES, 13 février 2015 (LatinReporters avec AFP) - La présidente argentine Cristina Kirchner a été formellement accusée aujourd'hui par un procureur, qui demande son inculpation, d'avoir couvert de hauts dirigeants iraniens soupçonnés d'être les commanditaires de l'attentat de 1994 à Buenos Aires contre la mutuelle juive AMIA (85 morts).

Cette accusation avait déjà été formulée en janvier par le procureur Alberto Nisman, mort quatre jours plus tard d'une balle dans la tête (voir article ci-dessus). Il affirmait que l'Iran avait commandité l'attentat qu'auraient perpétré des hommes du groupe armé chiite libanais Hezbollah et que le pouvoir avait mis en place un plan pour protéger l'Iran de poursuites judiciaires en Argentine.

Le procureur Gerardo Pollicita a requis ce 13 février l'inculpation de Cristina Kirchner et de son ministre des Affaires étrangères, Hector Timerman, pour les délits «d'entrave» à la justice et «manquement au devoir d'un fonctionnaire».

Le juge Daniel Rafecas devra désormais examiner le dossier de 300 pages, complété d'écoutes téléphoniques, et devra décider s'il ouvre ou non une procédure judiciaire contre Mme Kirchner.

«Putschisme judiciaire»

La procédure judiciaire contre Mme Kirchner a peu de chances d'aboutir. Sa coalition de centre gauche, le Front pour la victoire (FPV), détient la majorité dans les deux chambres du Parlement, qui seraient éventuellement sollicitées pour lever son immunité.

Réagissant à un article du journal Clarin anticipant la mise en cause de Mme Kirchner, le chef du gouvernement argentin, Jorge Capitanitch, a dénoncé «un putschisme judiciaire».

«C'était prévisible et grave d'un point de vue politique et institutionnel. Je ne sais pas quel sera l'impact sur l'opinion publique. Les anti-Kirchner seront confortés dans leur position alors que ses sympathisants vont dénoncer une tentative de déstabilisation», estime Matias Carugati, de l'institut de sondage Management & Fit.

   Article disponible en espagnol

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