Orthodoxe quant à la doctrine, mais motivé par le social
Le pape François est argentin et l'Amérique latine exulte
 

Jeudi 14 mars 2013 (LatinReporters.com) - Présenté au monde, mercredi soir au balcon de la basilique Saint-Pierre, sous le prénom papal de François (ne dites pas François Ier avertit le Vatican), le cardinal argentin Jorge Mario Bergoglio, 76 ans, est le premier jésuite élevé au pontificat et surtout le premier pape venu d'Amérique, latine de surcroît. L'Europe est enfin détrônée par une région qui réunit 47% du milliard de catholiques.

Orthodoxe quant à la doctrine comme l'était son prédécesseur allemand Benoît XVI, François devrait être plus attentif que lui aux problèmes sociaux en sa qualité d'homme du Sud. A cet égard, le prénom François, choisi en référence à saint François d'Assise, pourrait être le signe fort d'une volonté de simplicité évangélique, de sollicitude pour les pauvres et d'attachement à la pauvreté, selon le porte-parole de la Conférence des évêques de France, Mgr Bernard Podvin.

Relations tendues avec Nestor et Cristina Kirchner

Jusqu'à sa métamorphose en pape François, Mgr Bergoglio, archevêque de Buenos Aires et primat d'Argentine, menait une vie très simple, préférant par exemple emprunter les transports en commun lorsqu'il sortait de son petit appartement pour arpenter fréquemment les banlieues déshéritées de la capitale. Contrairement à Joseph Ratzinger, il n'était pas un pilier de la curie romaine, mais un homme de terrain. Il critiqua sévèrement les prêtres argentins qui refusaient de donner la communion aux mères célibataires et rappela que Jésus guérissait les lépreux et pardonnait aux pécheurs.

Par contre, il suivit la doctrine traditionnelle de l'Église pour combattre, vainement, en Argentine le mariage homosexuel et l'euthanasie et, avec succès, la libéralisation de l'avortement et le mariage des prêtres. Selon le pape François, l'avortement est une privation du premier des droits de l'homme, celui du droit à la vie.

Aussi les relations furent-elles tendues entre l'alors Mgr Bergoglio et les gouvernements péronistes de gauche de Nestor Kirchner (2003-2007), puis de sa femme et actuelle présidente Cristina Kirchner. Le premier qualifia le prélat, qui fustigea aussi l'intransigeance du gouvernement dans son long conflit avec les agriculteurs, de "véritable représentant de l'opposition". La seconde est soupçonnée d'avoir encouragé les accusations de mansuétude à l'égard de la dictature militaire (1976-1983), avec responsabilités dans plusieurs enlèvements, portées encore aujourd'hui, notamment par les Grands-mères de la place de Mai, contre le nouveau pape François. Ses proches témoignent au contraire de l'aide qu'apporta à beaucoup son travail pastoral dans les zones défavorisées sous le régime des généraux.

Ces polémiques étaient rappelées mardi par les sites Internet des principaux quotidiens argentins (Clarin, La Nacion, Pagina 12). Certains de leurs chroniqueurs en déduisaient que l'avènement du pape François était pour le pouvoir une mauvaise nouvelle, susceptible d'influencer le cours de la présidence de Cristina Kirchner.

Réactions...

Néanmoins, la satisfaction mêlée d'orgueil de l'ensemble de l'Amérique latine pour la nomination d'un souverain pontife argentin survole de très haut ce pugilat de politique intérieure. Le poids spirituel et politique supplémentaire que pourrait conférer à la région le pape François et la priorité qu'il octroierait aux problèmes sociaux sont au centre des principales réactions.

"C'est un jour historique" s'est exclamé mardi Cristina Kirchner elle-même. Elle a souhaité au nouveau pape une "tâche pastorale fructueuse dans l'exercice de si grandes responsabilités à la recherche de la justice, de l'égalité, de la fraternité et de la paix de l'humanité". Mais elle a aussi profité de cette vocation sociale prêtée à François pour émettre l'espoir que son message "parvienne aux grandes puissances de ce monde, afin de les inciter au dialogue" et à "jeter un regard sur leur propre société", ainsi que sur "les peuples émergents".

En Équateur, le président Rafael Correa a également qualifié d'"historique" la nomination de François. "Nous avons un pape latino-américain ! Nous vivons des moments historiques, sans précédent", a écrit sur Twitter le dirigeant socialiste, qui se proclame fervent catholique et partisan du mouvement religieux de gauche de la Théologie de la libération.

La présidente brésilienne Dilma Rousseff a souligné que "les fidèles" attendaient le pape "avec impatience" à Rio de Janeiro pour les Journées mondiales de la Jeunesse (JMJ), en juillet. La Conférence des évêques du Brésil, pays qui compte le plus grand nombre de catholiques dans le monde, s'est félicitée pour sa part du choix d'un pape né "sur le continent de l'espérance". Cette élection "revigore" l'Église, selon les évêques brésiliens. "Nous pouvons espérer beaucoup du fait qu'il soit latino-américain", a déclaré le secrétaire général de la Conférence, Leonardo Ulrich Steiner.

...et influence céleste de Hugo Chavez

Au Mexique, deuxième pays du continent américain après le Brésil pour sa population catholique, on espérait l'élection du favori brésilien Odilo Scherer. Le secrétaire général de la Conférence de l'épiscopat mexicain (CEM), Eugenio Lira, a tout de même salué une élection qui "nous remplit de joie parce que nous pouvons davantage nous identifier avec quelqu'un qui connaît la réalité de nos peuples latino-américains".

Cette élection illustre la "maturité et la cohérence" de l'Église en Amérique latine, a estimé au Chili l'archevêque de Santiago, Mgr Ezzati. "Le pape qui vient de ce continent, qui a vécu l'aventure de l'Église en Amérique latine, marquera certainement son pontificat du sceau de son expérience ecclésiastique et pastorale", a-t-il ajouté.

Le président cubain, Raul Castro, a envoyé ses " félicitations cordiales". Dionisio Garcia, archevêque de Santiago de Cuba et président de la conférence épiscopale, a déclaré que "l'Amérique latine (faisait) son entrée à Rome, avec un homme de bonne formation, un homme de gouvernement". "Le fait qu'il soit latino-américain signifie que l'Église est entrée dans un monde dont l'Europe n'est plus le centre".

Au Venezuela, le président par intérim Nicolas Maduro a ajouté une note d'humour, attribuant avec le sourire à feu Hugo Chavez un pouvoir désormais céleste : "Nous savons que notre commandant [Chavez] est monté à ces hauteurs et est dans un face-à-face avec le Christ. Cela a dû influer en faveur de la nomination d'un pape sud-américain".


© LatinReporters.com - Amérique latine - Espagne