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Contrainte, mais aussi facteur de modération et de succès
Brésil: la présidente Dilma Rousseff doit gouverner en coalition, comme Lula
 

par Christian GALLOY

BRASILIA / MADRID, lundi 3 janvier 2011 (LatinReporters.com) - Marquée par l'émotion du président sortant Luiz Inacio Lula da Silva, l'investiture de Dilma Rousseff, première femme présidente du Brésil, a été aussitôt suivie, le 1er janvier à Brasilia, de la prestation de serment de ses 37 ministres et secrétaires d'Etat. Dominé par le Parti des travailleurs (PT, gauche) fondé par Lula, ce nouveau gouvernement est comme le précédent une coalition ouverte au centre droit. L'arithmétique parlementaire l'exige. Cette contrainte est un facteur de modération lié au succès des années Lula (2002-2010).

Menée par le PT auquel appartient Dilma, comme l'appellent les Brésiliens, une coalition de dix partis avait soutenu la candidature de la nouvelle présidente. Son gouvernement accueille neuf femmes et compte huit ministres sans étiquette, dont l'ex-ambassadeur à Washington Antonio Patriota, nommé aux Relations extérieures. Sept partis de la coalition présidentielle sont représentés dans ce gouvernement :

1. Parti des travailleurs (PT, gauche); 17 portefeuilles ministériels.
2. Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB, centre droit); 6 portef.
3. Parti socialiste brésilien (PSB, gauche); 2 portefeuilles.
4. Parti de la République (PR, centre droit); 1 portefeuille.
5. Parti progressiste (PP, libéral); 1 portefeuille.
6. Parti démocrate travailliste (PDT, gauche); 1 portefeuille.
7. Parti communiste du Brésil (PCB); 1 portefeuille.

Ministre de la Défense contre l'abrogation de l'amnistie des militaires

La part du lion revient logiquement au Parti des travailleurs. Outre la présidence de la République et le poste clef de chef du cabinet présidentiel, qu'assumait Dilma avant d'entrer en campagne électorale, le PT domine notamment les Finances, la Justice, l'Education, la Santé, les Communications, les Droits de l'homme, l'Industrie et le Commerce.

Le principal allié du PT de Lula et Dilma demeure le Parti du mouvement démocratique brésilien. La densité de l'implantation nationale, régionale et municipale de ce PMDB de centre droit lui permet d'occuper depuis un quart de siècle une place stratégique dans la politique brésilienne. Il n'a présenté qu'une seule fois un candidat à la présidence, en 1989, mais il a été l'allié de tous les présidents élus depuis la fin de la dictature militaire (1964-1985).

L'une de ses principales personnalités, José Sarney, ex-chef de l'Etat et actuel président du Sénat, fut autrefois sénateur et président de l'ARENA (Alliance de rénovation nationale), parti créé en 1965 pour soutenir la dictature. Un autre grand nom du PMDB, Nelson Jobim, qui conserve avec Dilma Rousseff le portefeuille clef de la Défense que lui avait déjà confié Lula, est un adversaire notoire d'une abrogation éventuelle de l'amnistie dont jouissent les militaires impliqués dans la répression.

Que Dilma Rousseff, alors guérillera d'extrême gauche, ait été torturée et emprisonnée pendant trois ans sous la dictature incite à observer avec intérêt l'évolution de ses relations avec le PMDB, auquel appartient aussi Michel Temer, vice-président de la République élu sur le même ticket que Dilma. Outre la Défense, le grand parti de centre droit, peuplé de millionnaires, va gérer l'Agriculture, la Prévoyance sociale, les Mines et l'Energie, les Questions stratégiques, ainsi que le Tourisme, secteur phare après l'attribution au Brésil du Mondial de football de 2014 et des Jeux olympiques de 2016.

"Consolider l'oeuvre transformatrice" de Lula

Très fragmenté, le paysage parlementaire justifie à lui seul la nécessité d'une coalition. Les élections législatives du 3 octobre dernier ont confirmé la prééminence des deux grands alliés. A la Chambre des députés, le plus grand nombre d'élus revient au PT (88), suivi du PMDB (79). Au Sénat, le classement est inversé : le PMDB (20 sénateurs) y devance le PT (14). Jamais le PT n'avait été aussi bien représenté dans les deux hémicycles. Sur le plan régional, les deux partis dominent chacun 5 des 27 Etats fédérés. Quant au nombre de mairies, la suprématie du PMDB est constante.

Le caractère extrêmement relatif de la prééminence parlementaire du PT et du PMDB, au regard des 513 députés et 81 sénateurs que compte le Congrès national brésilien, justifie à son tour l'amplitude de la coalition gouvernementale. Les dix partis qui la soutiennent contrôlent dans les deux Chambres une majorité des deux tiers qui laisse les coudées franches à Dilma. La nouvelle présidente devra toutefois adapter sa personnalité de "dame de fer", souvent jugée tranchante et technocratique, pour conserver, comme savait le faire Lula, l'harmonie au sein d'une coalition multicolore.

En principe, la continuité est assurée. Onze ministres l'étaient déjà dans le gouvernement précédent. Dans son discours d'investiture devant le Congrès, Dilma Rousseff s'est engagée à "consolider l'oeuvre transformatrice du président Lula" : priorité à "la lutte la plus obstinée" contre la pauvreté, ainsi qu'à l'éducation, la santé et la sécurité; intégration de l'Amérique du Sud pour l'ériger en "élément essentiel du monde multipolaire"; revendication d'une réforme des Nations unies et de son Conseil de sécurité pour y accroître le rôle des grands pays émergents (dont le Brésil, 8e économie mondiale); promotion de la paix et du principe de non-intervention et contribution au rétablissement de la stabilité financière internationale.

La phrase "nous préserverons et approfondirons les relations avec les Etats-Unis et l'Union européenne" n'aura laissé indifférents ni la secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton ni le président vénézuélien Hugo Chavez, qui se sont salués à l'investiture.

Modèle pour l'Amérique du Sud ?

Le Brésil que Lula laisse en héritage à Dilma et aux 193 millions de Brésiliens est un pays plus puissant, plus respecté, moins pauvre et d'un dynamisme économique continu que n'a pas entamé la crise mondiale. Selon l'influent analyste politique argentin Rosendo Fraga, "l'apport le plus important du Brésil est d'avoir généré un modèle de développement possible pour la région [sud-américaine], combinant croissance économique et progrès social graduel".

La cohabitation forcée, au grand dam de l'aile dure du PT, d'une présidence de gauche avec un centre droit néolibéral est sans doute l'une des caractéristiques essentielles de ce modèle brésilien. Sa réussite apparente ne sera pas éternelle, mais pour l'heure elle met en évidence certaines débâcles économiques, totale à Cuba, importante au Venezuela et naissante en Bolivie, trois pays phares de la gauche radicale latino-américaine.

"Nous ne permettrons sous aucun prétexte que la plaie de l'inflation ne vienne corrompre notre tissu économique et châtier les familles les plus pauvres" promettait Dilma Rousseff dans son discours d'investiture. Au Venezuela, la Banque centrale a déjà reconnu un taux d'inflation de 26,9% en 2010 (estimation provisoire), succédant à ceux de 25,1% en 2009 et 30,9% en 2008.

Autre différence : alors que les frères Castro dominent Cuba depuis plus d'un demi-siècle, qu'au Venezuela Hugo Chavez a fait réviser la Constitution afin de briguer la présidence sans limitation du nombre de mandats et qu'en Bolivie Evo Morales envisage de suivre la même voie, Lula, lui, s'en est tenu aux deux mandats consécutifs autorisés par la Charte suprême brésilienne, malgré une popularité record de 87% en fin de mandat.

Lors de sa dernière rencontre formelle avec la presse, le 27 décembre à Brasilia, il affirma n'avoir "jamais" songé à réformer la Constitution pour s'éterniser au pouvoir. "On demande un mandat de plus, puis on en veut quatre ou cinq et le pays se convertit en une petite dictature sans que nul ne le remarque" estimait alors Lula.

Sa modération a souvent tempéré son bouillant voisin vénézuélien. Mais ce modèle brésilien dont hérite Dilma tempère aussi l'autre bord de l'éventail idéologique. L'exemple du Brésil incite en effet les droites chilienne et colombienne des présidents Piñera et Santos à s'ancrer au centre et à regarder moins en direction de Washington.


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