Des groupes d'opposants réclament la destitution de Dilma Rousseff
Brésil : le scandale de corruption de Petrobras provoque un séisme politique

RIO DE JANEIRO / MADRID, 12 mars 2015 (LatinReporters.com) - Le scandale de corruption de Petrobras, gigantesque société pétrolière contrôlée par l'État, a provoqué au Brésil un séisme politique auquel n'échappe pas la présidente Dilma Rousseff. Sa destitution via un procès politique (impeachment) devant le Congrès (Parlement) est réclamée par des groupes d'opposants.

La Cour suprême du Brésil a commotionné le pays en autorisant cette semaine la police à mettre sous enquête 49 personnes jouissant de privilèges, dont 34 parlementaires et 12 ex-députés, tant de la majorité que de l'opposition, pour leur implication présumée dans le détournement durant des années de ressources de Petrobras estimées à 4 milliards de dollars.

Parmi les politiciens concernés figurent d'importants anciens collaborateurs de Dilma Rousseff. Il s'agit du trésorier de son Parti des travailleurs (PT, gauche), le coordonnateur de sa campagne électorale de 2010 et quatre anciens ministres, à savoir les actuels sénateurs Edison Lobao et Gleisi Hoffmann et les ex-députés Mario Negromonte et Antonio Palocci.

La liste noire inclut aussi les présidents du Sénat, Renan Calheiros, et de la Chambre des députés, Eduardo Cunha, ainsi que l'actuel sénateur et ex-président du Brésil Fernando Collor de Mello.

L'affaire, sous enquête depuis un an, a déjà conduit à l'emprisonnement d'ex-directeurs de Petrobras et d'un groupe d'hommes d'affaires mêlés à des transactions frauduleuses avec le géant pétrolier brésilien. Certains ont collaboré avec la justice en échange d'une future réduction de peine, dénonçant que la pratique des pots-de-vin était favorisée par des politiciens de l'ensemble de l'éventail parlementaire.

Effondrement de la valeur boursière de Petrobras

Selon les investigations judiciaires, les chefs d'entreprise impliqués gonflaient les prix dans leurs contrats avec Petrobras et répartissaient le surplus obtenu entre des directeurs de la société pétrolière et des politiciens. Ces derniers percevaient les bakchichs directement ou sous forme de contribution à leurs campagnes électorales.

Ainsi, Petrobras, qui assure 13% du PIB du pays et emploie 87.000 personnes, a-t-elle vu son statut de symbole de l'orgueil national passer à celui de cible de critiques généralisées de la population.

La multinationale brésilienne était classée en 2009 première compagnie d'Amérique latine, son chiffre d'affaires surpassant celui des pétrolières mexicaine PEMEX et vénézuélienne PDVSA. En 2010, l'augmentation de son capital en fit la quatrième compagnie mondiale en termes de capitalisation boursière.

Mais, depuis octobre 2014, sa valeur boursière s'est effondrée de plus de 50 % suite à l'actuel scandale de corruption. De nombreux contrats ont été paralysés et, selon les syndicats, plus de dix mille travailleurs ont perdu leur emploi.

Les révélations sur le réseau sophistiqué de corruption dont la société pétrolière brésilienne était le centre depuis une décennie menacent de déstabiliser la coalition gouvernementale et la présidente Rousseff. En février dernier, à peine un mois après le début de son second mandat, elle voyait sa popularité effondrée à 23 %.

Pour le dimanche 15 mars, des manifestations ont été convoquées sur les réseaux sociaux dans plusieurs villes contre Dilma Rousseff. Le 8 mars, son intervention télévisée sur ses plans d'ajustement budgétaire pour relancer l'économie a été saluée dans tout le pays par des concerts de casseroles et de klaxons et par des extinctions de lumières.

Pour leur part, le PT gouvernemental, la Centrale unique des travailleurs (CUT) et d'autres mouvements sociaux ont convoqué pour ce vendredi 13 mars une nouvelle journée de mobilisation pour la défense de Petrobras et de la stabilité politique.

Réclamation d'un procès politique contre Dilma Rousseff

Le plus affecté par le scandale de corruption est le Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB, centre droit), principal allié du gouvernement de Dilma Rousseff. Ce parti est la première force politique du Sénat et la deuxième de la Chambre des députés. Mais le PT de la présidente est aussi touché de plein fouet.

Les révélations sur cette affaire ont provoqué la démission du directoire de Petrobras, y compris de sa présidente Maria das Graças Foster, très proche de Dilma Rousseff.

Un Brésilien sur deux croit, selon les sondages, que la présidente savait ce qui se passait au sein de Petrobras. Et bien que la Cour suprême n'ait pas considéré qu'elle doive être soumise à investigation, divers secteurs politiques et sociaux la jugent responsable et demandent que la Chambre et le Sénat lui intentent un procès politique, dont la seule ouverture impliquerait la suspension durant six mois des fonctions présidentielles de Mme Rousseff. Dans ce cas éventuel, l'intérim reviendrait au vice-président Michel Temer, qui est aussi président du PMDB.

Soumis à cet impeachment en 1992, suite également à une affaire de corruption, l'alors président Fernando Collor de Mello avait démissionné la veille de sa destitution par le Sénat.

L'ouverture d'un procès politique devant le Congrès doit être approuvée par deux tiers des députés et la destitution par deux tiers des sénateurs. Il semble improbable, du moins aujourd'hui, que ces majorités qualifiées puissent être réunies contre la présidente Rousseff, soutenue par une coalition gouvernementale de neuf partis allant du centre droit à l'extrême gauche.

Les quatre principaux partis du Congrès sont visés par l'actuel scandale : le PT, au pouvoir depuis l'avènement à la présidence de Luiz Inacio Lula da Silva en 2003, le PMDB, le Parti Populaire (PP), tous trois intégrés dans la coalition gouvernementale, et, du côté de l'opposition, le Parti social-démocrate brésilien (PSDB).

Ambition internationale du Brésil freinée

Alors que le pays est au bord de la récession, le scandale de Petrobras affaiblit davantage l'économie et freine l'ambition internationale du Brésil de s'ériger en leader régional et d'accroître son quota de pouvoir dans les instances décisionnelles mondiales, conformément à son statut de sixième économie de la planète.

Au cours des trois dernières années, le taux de croissance annuel moyen du Brésil fut de 3%. Pour 2015, des prévisions pessimistes envisagent une récession de 0,5%, aggravée par une inflation de 7,5%.

L'essor de la demande et du prix des matières premières ont dynamisé pendant des années l'économie brésilienne, avec une forte croissance de ses exportations de pétrole et de soja. Mais la situation s'est retournée, à cause notamment de la baisse des achats de la Chine, principal partenaire commercial de Brasilia.

À cela s'ajoute une sécheresse persistante qui a contraint certaines villes à rationner l'eau, tandis que des camions-citernes desservent des villages. Le prix d'aliments de base en est affecté.

Avec les préoccupations économiques et la confiance en ses politiciens réduite au minimum, le Brésil semble s'installer dans le pessimisme. Des analystes prédisent que les prochaines années seront instables pour Dilma Rousseff et que les problèmes du géant sud-américain de 200 millions d'habitants pourraient avoir des répercussions sur l'ensemble du continent.

Dans 74 villes du Brésil
1,5 MILLION DE MANIFESTANTS CONTRE DILMA ROUSSEFF

SAO PAULO, dimanche 15 mars 2015 (LatinReporters avec AFP) – Dans 74 villes du pays, près d'un million et demi de Brésiliens ont manifesté dimanche contre la corruption et pour réclamer la destitution de la présidente de gauche Dilma Rousseff, réélue de justesse fin 2014.

À Sao Paulo, capitale économique du Brésil, les manifestants étaient un million, selon la police militaire qui a diffusé des estimations ville par ville.

Convoquée sur les réseaux sociaux, cette marée humaine sans étiquette officielle est comparable au pic atteint lors de la fronde sociale historique de juin 2013.

Moins de trois mois après avoir entamé son second mandat, la présidente Rousseff est confrontée au mécontentement croissant de pans de la population proches de l'opposition conservatrice en raison de la stagnation économique et du scandale de corruption Petrobras qui ébranle la coalition au pouvoir. (Voir article ci-dessus)

Le 13 mars, les manifestations convoquées par les syndicats et des organisations proches du Parti des travailleurs (PT, gauche gouvernementale) pour défendre la présidente Rousseff et le géant pétrolier Petrobras n'avaient réuni, selon le chiffre maximal des organisateurs eux-mêmes, que 175.000 personnes.

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