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4 candidats à la présidence - Le milliardaire Sebastian Piñera favori
Chili-élections: la victoire de la droite secouerait l'Amérique latine

par Christian GALLOY, directeur de LatinReporters.com

SANTIAGO / MADRID, samedi 12 décembre 2009 (LatinReporters.com) - Les Chiliens renouvellent aux élections du 13 décembre leur président, leurs députés et la moitié de leurs sénateurs. Si dans un pays aussi symbolique que le Chili, trois ans seulement après la mort du général-dictateur Augusto Pinochet, l'alternance démocratique portait la droite au pouvoir comme le prédisent les sondages, la caducité menacerait la pérennité parfois proclamée du grand virage à gauche en Amérique latine.

Très populaire, la présidente sortante, la socialiste modérée Michelle Bachelet, n'est pas candidate. La Constitution chilienne lui interdit de briguer un second mandat consécutif. Son principal adversaire à la présidentielle de 2005, le milliardaire Sebastian Piñera, revient, lui, à la charge. Favori, il caracole depuis un an en tête de tous les sondages. Il est crédité de 44% des intentions de vote. Sa victoire serait plus probable au second tour, mais son élection dès le premier n'est pas exclue.

Piñera, 60 ans, magnat du transport aérien, des cartes de crédit et de la télévision, a rebaptisé "Coalition pour le changement" le regroupement de toutes les droites unies précédemment sous l'étiquette Alliance pour le Chili. L'exhortation électorale au changement, attribut habituel de la gauche, se retourne cette fois contre elle après 20 de pouvoir, depuis la fin de la dictature militaire, de la Concertation démocratique, maison commune des socialistes, des démocrates-chrétiens, des radicaux et des sociaux-démocrates.

Si elle se produisait comme l'annoncent les sondages, l'alternance au Chili par un triomphe démocratique de la droite porterait un rude coup au messianisme des gauches latino-américaines, à "l'irréversibilité" de leur "révolution" proclamée par les deux leaders les plus radicaux de la gauche régionale, le président vénézuélien Hugo Chavez et son allié et homologue bolivien, Evo Morales. D'autant qu'au Brésil, première puissance latino-américaine, c'est aussi une opposition de centre droit que les sondages installent déjà, du moins provisoirement et sous réserve, à la succession du socialisme de Luiz Inacio Lula da Silva lors de la présidentielle d'octobre 2010.

A Caracas et à La Paz, ainsi qu'à Quito et à Managua, on redouterait la contagion à partir du Chili d'une alternance démocratique fatale pour la gauche. Le risque serait que des présidentialismes en pleine dérive vers le césarisme n'entravent davantage dans ces capitales de la gauche radicale les possibilités d'alternance. Le Venezuela, la Bolivie, l'Equateur et le Nicaragua les réduisent déjà progressivement. Le pouvoir s'y arroge l'usage électoral exclusif ou préférentiel des biens et médias de l'Etat. Il multiplie les lois idéologiques limitant les libertés fondamentales sous couvert de promotion de droits économiques et sociaux. Ce nouvel autoritarisme latino-américain soumet aussi opposants et médias indépendants à de multiples rétorsions policières, fiscales et judiciaires, ainsi qu'aux actions musclées de groupes violents téléguidés par le pouvoir. Comme le maire persécuté de Caracas, l'antichaviste Antonio Ledezma, des analystes appellent cela "le coup d'Etat à petit feu" ou le "coup d'Etat endogène".

"Choix entre le passé et le futur"

Pour Sebastian Piñera, "le sens profond de l'élection [du 13 décembre] est clair : le Chili choisira entre le passé et le futur". "Si après 17 ans de gouvernement militaire [jusqu'en 1990; ndlr], le changement était nécessaire pour ouvrir les portes à la démocratie, aujourd'hui le changement est urgent pour ouvrir les portes au progrès" estime le candidat de la droite chilienne dans son programme judicieusement centriste.

Dans ce Chili de 16 millions d'habitants, pays le moins corrompu d'Amérique latine, où même la gauche cultive l'orthodoxie financière et le libre-échange tous azimuts, Sebastian Piñera prône "l'économie sociale de marché" et un "renforcement des droits de l'homme" passant par la "réconciliation", compliquée par les 3.190 morts et disparus et les 30.000 cas de torture imputés à la dictature.

Le candidat présidentiel de la Coalition pour le changement avait voté non à la continuité du général Pinochet au référendum décisif de 1988, perdu par le dictateur. Le Parti Rénovation nationale (RN) de Piñera a incarné depuis l'aile modérée d'une droite dont la force parlementaire est néanmoins dominée par les élus de l'Union Démocrate Indépendante (UDI), parti le plus attaché à l'héritage de Pinochet.

Principal rival de Sebastian Piñera et candidat présidentiel de la Concertation démocratique, qui maintient le pouvoir au centre gauche depuis 1990, le démocrate-chrétien Eduardo Frei, 67 ans, est crédité dans les sondages d'un score tournant autour de 31% des voix. Il présida déjà le Chili de 1994 à 2000.

Son profil bas a été relevé à six jours des élections par l'affirmation d'un juge chilien soutenant la thèse de l'assassinat dans l'enquête sur la mort en 1982 d'Eduardo Frei Montalva, également ex-président du Chili et père du candidat actuel. S'exprimant après l'arrestation de six hommes, dont quatre médecins, le juge Alejandro Madrid a attribué à un empoisonnement décidé par la dictature le décès de cet ancien chef de l'Etat, devenu figure de proue de l'opposition au général Augusto Pinochet.

La droite s'est étonnée de pareille annonce à six jours du premier tour d'une élection présidentielle pour laquelle Eduardo Frei, fils de la victime de l'empoisonnement présumé, est largement distancé dans les sondages. "J'espère que le juge n'a pas pris cette décision à des fins électorales", a déclaré Victor Perez, secrétaire général de l'UDI. Sebastian Piñera s'est néanmoins engagé à faire, s'il est élu président, "tout le nécessaire pour établir la vérité dans cette affaire et dans beaucoup d'autres".

C'est peut-être aussi au dessein d'utiliser les morts contre la droite à l'approche du scrutin que répondait, le 5 décembre à Santiago en présence de plus de 10.000 personnes, le second enterrement du chanteur, compositeur et directeur de théâtre Victor Jara, torturé et assassiné 36 ans plus tôt par l'armée putschiste.

Marco Enriquez-Ominami, candidat révélation

Classé troisième dans les sondages parmi les quatre candidats à la présidence du Chili, avec un score estimé à près de 18%, le jeune député Marco Enriquez-Ominami, 36 ans, est la révélation d'une campagne électorale qui lui aura peut-être servi de tremplin pour une consécration à la présidentielle de 2013.

La Concertation démocratique ayant refusé des élections primaires pour désigner son candidat à la présidence, Marco Enriquez-Ominami a claqué la porte du Parti socialiste et a recueilli avec une relative facilité, grâce notamment à Internet, 65.000 signatures d'électeurs, plus du double du nombre exigé par la loi pour avaliser sa candidature indépendante.

Présenté comme philosophe et cinéaste par les médias, surnommé "l'indocile", marié à une célébrité de la télévision chilienne, ce candidat inattendu, dont les voix seront décisives lors d'un éventuel second tour, est entouré d'un halo de légende. Car il est à la fois le fils naturel du guérillero Miguel Enriquez, leader du Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR) tué en 1974 par les militaires, le fils adoptif du sénateur et ex-ministre socialiste Carlos Ominami et le petit-fils d'un ministre de Salvador Allende, le président socialiste qui s'est suicidé après avoir tenté de résister, le 11 septembre 1973, au coup d'Etat du général Pinochet.

Sous le slogan "Le changement se poursuit", Marco Enriquez-Ominami combat les interdis frappant l'avortement et le mariage homosexuel. Il veut tempérer le présidentialisme par la nomination d'un Premier ministre et le renforcement du législatif. Le président vénézuélien Hugo Chavez lui plaît lorsqu'il défend un monde multipolaire, mais l'effraie lorsqu'il expulse de Caracas une délégation de l'organisation de défense des droits humains Human Rights Watch.

Un autre dissident et même ex-président du Parti socialiste, Jorge Arrate, ministre des Mines sous la présidence de Salvador Allende, est à 68 ans le candidat présidentiel de ce qu'il appelle "la gauche allendiste". Sa coalition Juntos Podemos (Ensemble nous pouvons) rassemble les communistes, la gauche chrétienne et d'autres socialistes désenchantés. Les sondages la créditent d'environ 5% des voix. Un accord entre le Parti communiste et la Concertation démocratique pourrait faire entrer au Congrès national (Parlement) des élus communistes pour la première fois depuis 1973.


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