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Hostilité de l'ex-président Uribe envers le journaliste français
Colombie : libération politisée de Roméo Langlois par les Farc
 

BOGOTA, jeudi 31 mai 2012 (LatinReporters.com) - Détenu durant 33 jours par les Farc, le journaliste français Roméo Langlois a été libéré le 30 mai par cette guérilla marxiste à San Isidro, village du département de Caqueta, au sud de la Colombie. Cette libération a été politisée ouvertement par les rebelles, modérément par Roméo Langlois et brutalement par l'ex-président conservateur colombien Alvaro Uribe.

Ce dernier, dans une intervention télévisée [qui clôture la vidéo ci-dessus; ndlr], s'est référé en ces termes au correspondant de la chaîne France 24 et du quotidien Le Figaro fraîchement libéré : "Il faut savoir pourquoi il était là-bas. Car on a vu en Colombie que certains, derrière la curiosité légitime du journaliste, occultaient une complicité avec le terrorisme. Il est très important de savoir pourquoi il était là-bas et quelle était son intention".

L'insinuation est aussi brutale que dangereuse dans un pays où sont encore assassinés nombre de sympathisants supposés de la guérilla, laquelle, il est vrai, épargne elle-même très peu la vie de ses adversaires politiques. L'agence espagnole Efe rappelle que dans son reportage télévisé "Pour tout l'or de la Colombie", Roméo Langlois faisait allusion à Alvaro Uribe et à plusieurs de ses anciens ministres en dénonçant des actes douteux au profit de la Colombia Gold Company, dominée par des capitaux canadiens.

Capturé et blessé par balle au bras gauche le 28 avril lorsqu'il accompagnait pour un reportage une unité militaire antidrogue tombée dans une embuscade des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc), Roméo Langlois a été remis mercredi à une mission humanitaire conduite par des délégués du CICR (Comité international de la Croix-Rouge). La mission incluait aussi, à la demande des Farc, l'ex-sénatrice Piedad Cordoba, directrice de l'ONG Colombiens pour la paix, ainsi qu'un émissaire du président français François Hollande, le diplomate Jean-Baptiste Chavin, chargé de l'Amérique latine au Quai d'Orsay.

L'armée colombienne s'était engagée à suspendre ses opérations militaires dans la région durant 36 heures, du mardi soir au jeudi matin, une condition posée par les rebelles pour garantir leur sécurité.

"Ce sont des pauvres qui tuent des pauvres"

Au lieu de rencontre, le village de San Isidro, Roméo Langlois débarquait d'un véhicule tout-terrain des Farc, une minicaméra digitale à la main, filmant sa propre libération, retransmise par ailleurs en direct par la chaîne satellitaire latino-américaine Telesur.

La guérilla a transformé l'événement en meeting politique et social. Peut-être réquisitionnés, la plupart des 300 habitants de ce hameau dépourvu d'eau courante et d'électricité entouraient une estrade pour orateurs. Sur des banderoles accrochées, on lisait "Nous, mères des guérilleros et des soldats, exigeons de mettre fin à la guerre fratricide" ou encore "Nous avons besoin de la présence de l'État. Pas avec ses armes ou ses bombes, mais avec ses investissements".

Mêlés aimablement à la foule de villageois et de journalistes, des guérilleros armés en tenue de camouflage illustraient le défi permanent lancé depuis près d'un demi-siècle par les Farc au gouvernement de Bogota.

Au micro sur l'estrade, Roméo Langlois exposait en espagnol, avec accent colombien, une vision du conflit intérieur dérangeante pour le gouvernement et les médias du pays. "Ce sont des pauvres qui tuent des pauvres" estimait-il, songeant tant aux soldats qu'aux guérilleros. Selon lui, "c'est extrêmement tragique. Il n'y a ni bons ni méchants. Parfois la presse et le gouvernement parviennent à vendre des images distordues, mais quand on vient dans des zones comme celle-ci, on voit que la réalité est plus complexe".

Pour que le conflit colombien ne soit plus "invisible", Roméo Langlois a jugé important que la presse continue à le couvrir, mais des deux cotés, avec l'armée et avec la guérilla, qui devraient le permettre.

Une libération facteur de paix ?

"Ils ne m'ont jamais attaché, ils m'ont toujours traité comme un invité, m'offrant de la bonne nourriture et étant toujours très respectueux"
expliqua le journalistes à propos de ses conditions de détention, nettement meilleures que celles subies pendant plus de six ans, de février 2002 à juillet 2008, par Ingrid Betancourt, la plus célèbre otage des Farc.

Néanmoins, une protestation : "On ne peut pas détenir un journaliste pour tenter de faire connaître une réalité" reprocha-t-il en se référant au débat public sur le rôle de médias en Colombie que les Farc avaient prétendu imposer, sans insister ensuite, comme condition à sa libération. Roméo Langlois croit qu'il aurait été libéré plus vite si des motifs politiques ne s'étaient pas "imposés à nouveau aux raisons humanitaires", une question qui relève à ses yeux "tant de la guérilla que du gouvernement et de la force publique".

Justifiant sa présence pour raison de "reportage" au sein de l'unité antidrogue tombée dans une embuscade le 28 avril, jour de sa capture par les Farc, Roméo Langlois en a profité pour réduire l'importance attribuée par les autorités à un laboratoire de drogue détruit au cours de l'opération. Alors que Bogota parlait de la destruction de près d'une demi-tonne de cocaïne, le journaliste n'aurait vu qu'un "petit laboratoire modeste (...) duquel un paysan espérait obtenir un peu de cocaïne pour acheter du pain" pour survivre, lui et ses enfants.

Vainqueurs médiatiques d'une libération soigneusement mise en scène à San Isidro pour assurer un impact national et international attestant de la poursuite du conflit en Colombie, les Farc ont associé l'événement à leur 48e anniversaire. Les rebelles ont notamment lu aux villageois de San Isidro et à la presse un "communiqué à l'opinion publique". En à peine 25 lignes, il contient six fois le mot "paix", tout en saluant "les peuples qui se soulèvent, décidés à lutter pour des alternatives au capitalisme chaque fois plus décadent, plus injuste et plus exploiteur".

L'ex-sénatrice Piedad Cordoba, médiatrice de la libération de dizaines d'otages des Farc, croit que celle de Roméo Langlois pourrait effectivement constituer "un pas important vers la paix". Le président colombien Juan Manuel Santos maintient toutefois ses conditions à un éventuel dialogue avec les insurgés, à savoir la fin des actions armées, de la pose de mines antipersonnel, de l'enrôlement forcé de mineurs d'âge et de tout type de séquestration. Le chef de l'État n'en prépare pas moins une réforme législative qui favoriserait une éventuelle réconciliation. Alvaro Uribe et des militaires prétendent que le président Santos affaiblit ainsi la sécurité et la démocratie.

LANGLOIS PORTEUR D'UNE LETTRE DES FARC POUR LE PRÉSIDENT HOLLANDE

BOGOTA, jeudi 31 mai 2012 (avec AFP) - Avant de s'envoler jeudi, à bord d'une ligne régulière, pour Paris où ses parents pourront l'accueillir vendredi matin, Roméo Langlois, qui n'exclut pas de rentrer travailler en France, a annoncé jeudi avoir reçu de la guérilla des Farc une lettre destinée au président français François Hollande.

La missive, qui lance un appel à des "pays amis" afin d'aider à une "sortie négociée" du conflit colombien, contient aussi des "excuses publiques" des Farc (Forces armées révolutionnaires de Colombie) pour avoir qualifié le journaliste de "prisonnier de guerre".

"C'est la première fois qu'ils font des excuses et c'est très important qu'ils précisent que la presse n'est pas une ennemie", a commenté Roméo Langlois, qui s'exprimait lors d'une conférence de presse à l'ambassade de France à Bogota au lendemain de sa libération par la guérilla.

Il a exhorté ses confrères à "continuer de couvrir un conflit de plus en plus oublié", avec des Farc encore fortes de 9.200 combattants.


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