La coalition de Pablo Iglesias devancerait les socialistes
Espagne-élections: Unidos Podemos défie l'UE néolibérale et la «vieille social-démocratie»

par Christian GALLOY

MADRID, 6 juin 2016 (LatinReporters.com) – Lézarder tant le néolibéralisme que la social-démocratie, compères dans l'Union européenne (UE) soumise à une austérité idéologique, est l'objectif de la coalition Unidos Podemos (Unis, nous Pouvons), devenue en Espagne la première force virtuelle de la gauche avant les élections législatives du 26 juin.

Podemos, le parti de Pablo Iglesias né dans la foulée du mouvement des indignés, et les écolos-communistes d'Izquierda Unida, la Gauche Unie du télégénique Alberto Garzón, ont décidé en mai d'aller aux urnes sous cette enseigne commune Unidos Podemos.

Le découpage électoral et la méthode d'Hondt pourraient assurer aux deux alliés un nombre d'élus largement supérieur à la somme de ceux obtenus séparément aux législatives inutiles du 20 décembre dernier.

Le dénonciation bruyante, par ses adversaires, de l'indulgence de Pablo Iglesias envers le socialisme bolivarien lui permet de s'interroger à voix haute sur les valeurs démocratiques sélectives de la droite et d'institutions espagnoles, dont le Palais royal, qui courtisent nombre de dictatures de la planète pour décrocher des contrats.

Sondages

Publiés par les leaders de la presse écrite espagnole, El País et El Mundo, deux sondages attribuent à Unidos Podemos le statut de deuxième force politique du pays avec, respectivement, 25,6 % et 23,7 % des intentions de vote, contre 20,2 % et 20,3 % à l'historique Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) conduit par le social-démocrate Pedro Sanchez.

La social-democratie espagnole serait ainsi reléguée pour la première fois au rôle de force d'appoint, soit d'une éventuelle -et possible- alternative de gauche, soit d'une grande coalition à l'allemande avec le Parti Populaire (PP), l'actuelle droite gouvernementale de Mariano Rajoy.

Le PP conserverait sa domination relative avec 28,5% ou 31 % des voix. Mais ce score insuffisant l'obligerait à s'allier soit aux sociaux-démocrates de Pedro Sanchez, qui rejette cette perspective, soit à Ciudadanos (Citoyens), le parti de centre droit d'Albert Rivera, crédité de 16,6 % ou 14 % des suffrages. Pour être intronisée, une coalition de droite PP-Ciudadanos nécessiterait néanmoins l'abstention pour le moins incertaine du PSOE lors du vote d'investiture.

Globalement, l'Espagne risque de se retrouver ainsi dans la même impasse que celle héritée des élections législatives de décembre 2015. L'impossibilité de former depuis un gouvernement, illustrée notamment par l'échec d'une tentative de coalition centriste entre le PSOE et Ciudadanos, a débouché sur le retour aux urnes le 26 juin.

« Nous ou le chaos », dit la droite de Rajoy

L'élément neuf, aujourd'hui, est la coalition électorale Unidos Podemos et son ascension au détriment de ce que Pablo Iglesias appelle « la vieille social-démocratie », ce socialisme-light qui n'a effectué aucune mise à jour depuis des décennies et qui en Espagne, en Allemagne, en France et ailleurs a emboîté le pas à l'austérité néolibérale.

Paradoxalement, le PP du chef du gouvernement sortant, le conservateur Mariano Rajoy, fait le jeu d'Unidos Podemos en comparant, d'une part, « le chaos » et « le retour aux idéologies du siècle dernier » que personnifierait cette coalition « de gauche radicale » à, d'autre part, « la sécurité, l'emploi et la croissance » qu'assurerait le PP.

Faisant mine d'ignorer les sociaux-démocrates du PSOE, pris entre deux feux, cette tactique du « nous ou le chaos » gonfle la mobilisation au profit du PP, mais aussi d'Unidos Podemos. Car les électeurs de Pablo Iglesias et d'Alberto Garzon attribuent à la droite économique, aux États-Unis puis en Europe, la crise globale que les néolibéraux font payer aux populations, surtout sur le Vieux continent, par un démantèlement social ramenant lui aussi au siècle dernier.

Le programme électoral d'Unidos Podemos est une réaction logique contre cette réalité, comme le fut la victoire de Syriza en Grèce. L'Espagne étant la quatrième économie de la zone euro, aurait-elle, contrairement à la Grèce, le poids suffisant pour résister à l'offensive politique, économique et médiatique qui viserait au niveau national et international un gouvernement dominé par une nouvelle gauche, en l'occurence Unidos Podemos, avec l'appoint nécessaire d'un PSOE qu'aurait purifié son nouveau recul électoral ?

En douter revient-il à admettre que toute alternative politique significative est désormais prohibée dans l'Union européenne, sous peine de banqueroute que programmerait le néolibéralisme dominant ?

Défis d'Unidos Podemos à l'UE

Quoiqu'il en soit, parmi les 394 mesures du programme électoral d'Unidos Podemos, en voici une dizaine qui, comme de nombreuses autres, défient les néolibéraux (conservateurs et/ou sociaux-démocrates) de la Commission européenne :

- Abrogation de la révision de l'article 135 de la Constitution espagnole, qui interdit à l'État espagnol et à ses entités régionales tout déficit supérieur aux normes établies par l'Union européenne.

- Modification du calendrier de réduction du déficit public afin de le rendre compatible avec la réduction du chômage, les nécessités sociales et la modernisation économique.

- Audit parlementaire de la dette publique, en particulier de celle découlant du sauvetage financier de l'Espagne par l'UE.

- Restructuration de la dette découlant des aides publiques aux entités financières afin, notamment, que ce soient elles, mais non les contribuables espagnols, qui remboursent l'aide fournie par l'UE.

- Convocation d'une conférence européenne sur la dette pour débattre de la restructuration coordonnée des dettes publiques dans la zone euro.

- Abandon de la politique de dévaluation salariale utilisée pour promouvoir la compétitivité et abrogation de la réforme du droit du travail instaurée par le gouvernement de Mariano Rajoy.

- Impôt de solidarité frappant les entités financières privées pour récupérer progressivement les aides publiques qui leur furent octroyées.

- Création d'une banque publique puissante et efficace.

- Opposition au TTIP (Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement), appelé aussi TAFTA (Traité de libre-échange transatlantique).

- Élargissement de l'autonomie stratégique de l'Espagne et de l'Europe au sein de l'OTAN.

« Après la reddition de la Grèce, le champ de bataille contre les politiques d'austérité [en Europe] se situe en Espagne », estimait en février dernier à Madrid l'ex-mistre grec des Finances Yanis Varoufakis.

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