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Débâcle socialiste sans précédent
Au Pays basque, envolée électorale des amis de l'ETA
Vainqueur des législatives, Mariano Rajoy veut rassurer l'Europe
Espagne-élections: pouvoir absolu de Rajoy (droite) dû à la crise
 

par Christian GALLOY, directeur de LatinReporters.com

MADRID, lundi 21 novembre 2011 (LatinReporters.com) - Panorama historique après les élections législatives du 20 novembre en Espagne : en trois décennies et demie de démocratie post-franquiste, jamais un parti n'avait joui d'un pouvoir aussi absolu que celui du Parti Populaire (PP, droite) de Mariano Rajoy, jamais les socialistes n'avaient subi pareille débâcle et jamais non plus les indépendantistes radicaux proches de l'ETA n'avaient surpassé tous les autres partis au Pays basque. Comme au Portugal, en Grèce et en Italie, la crise a bousculé l'échiquier politique.

Après dépouillement de 100% des bulletins de vote, déposés par 71,69% des 35,7 millions d'Espagnols appelés aux urnes, le PP est crédité, avec 44,62% des suffrages, d'une double majorité absolue parlementaire, soit 186 des 350 députés et 136 des 208 sénateurs. Aux précédentes législatives, en mars 2008, il avait obtenu 39,94% des voix, 154 députés et 101 sénateurs.

Conduit aux élections par l'ex-ministre de l'Intérieur Alfredo Perez Rubalcaba, le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) du président du gouvernement sortant, José Luis Rodriguez Zapatero, qui ne se présentait plus, n'a séduit pour sa part que 28,73% des électeurs, contre 43,87% en 2008, obtenant 110 députés (-59) et 48 sénateurs (-40). Il s'agit du plus mauvais résultat des socialistes depuis le rétablissement de la démocratie après la disparition du général-dictateur Francisco Franco, mort en novembre 1975. Seule l'éteinte Union du centre démocratique (UCD) avait subi, en 1982 après avoir piloté la transition démocratique, une débâcle d'un telle ampleur, insolite dans les démocraties occidentales.

Crise globale et "incompétence" de José Luis Rodriguez Zapatero

Le triomphe du PP de Mariano Rajoy est de la même proportion que celui qu'il avait déjà remporté en mai dernier aux élections municipales et régionales. Ajoutant le contrôle du Parlement et du gouvernement à celui qu'elle exerçait déjà sur la ville de Madrid, ainsi que sur la quasi totalité des capitales provinciales et sur 11 des 17 régions dites autonomes du pays décentralisé, la droite jouit désormais du pouvoir le plus absolu jamais détenu par une seule famille politique de l'Espagne démocratique.

Que les socialistes aient perdu 4,3 millions de leurs 11,2 millions d'électeurs de 2008 et subi la déroute dans 50 des 52 provinces, ainsi que dans leurs fiefs historiques qu'étaient encore avant le scrutin la Catalogne et l'Andalousie, s'explique tant par la virulence de la crise globale en Espagne que par la mauvaise gestion de cette crise par l'exécutif de M. Zapatero, accusé d'en avoir accru les effets. Le chef du gouvernement a démobilisé davantage encore son électorat en symbolisant l'inexistence d'une réponse socialiste à l'actuelle tourmente économique et financière.

Le point le plus noir est le taux de chômage de 21,52 % - 45,8% parmi les jeunes de moins de 24 ans - qui portait fin septembre à 4.978.300 le nombre de chômeurs recensés par l'Institut national de la statistique. Un million et demi d'entre eux ne perçoivent plus la moindre indemnité. Le taux de croissance est en outre retombé à zéro au troisième trimestre, malgré ou peut-être à cause des mesures de rigueur, fatales à la popularité des socialistes, instaurées à partir de mai 2010 par M. Zapatero à la requête de l'Union européenne.

"L'incompétence et le manque de densité politique de Rodriguez Zapatero, au milieu de la crise globale la plus sérieuse qu'ait connue le monde depuis plus d'un demi-siècle, a catapulté Rajoy à la Moncloa" [le palais de la Moncloa est le siège de la présidence du gouvernement; ndlr] écrit ce 21 novembre l'éditorialiste de l'influent quotidien El Pais. Quoique pro-socialiste, ce journal réclame la "démission immédiate" de M. Zapatero du poste de secrétaire général du PSOE et la convocation urgente d'un congrès de ce parti. En reconnaissant avoir "perdu clairement les élections", l'ex-ministre Rubalcaba, tête de liste socialiste, avait déjà jugé nécessaire la convocation d'un tel congrès.

"Notre destin se joue en Europe et avec elle " (Mariano Rajoy)

José Luis Rodriguez Zapatero est demeuré invisible au soir de la déroute de son PSOE. Mariano Rajoy, par contre, acclamé par des milliers de partisans devant le siège madrilène du Parti Populaire, s'est adressé solennellement à la nation dans un discours télévisé en direct par toutes les chaînes.

"Il n'y aura pas de miracles et nous n'en avons pas promis. C'est en ces moments décisifs qu'on mesure la trempe des hommes et des peuples" clamait-il comme pour confirmer aux Espagnols de prochains et inévitables nouveaux sacrifices. Il s'agit dans l'immédiat de dissuader les attaques contre la dette souveraine qui situent l'Espagne à proximité de la zone rouge d'intervention extérieure de son économie.

Affirmant n'avoir "pas d'autres ennemis que le chômage, le déficit, la dette excessive et la stagnation économique", prétendant "rendre aux Espagnols l'orgueil d'être tels", M. Rajoy a estimé que "notre destin se joue en Europe et avec elle". S'adressant alors implicitement aux instances politiques, économiques et monétaires de l'Union européenne, il a dit que l'Espagne serait le partenaire "le plus loyal, celui tenant le mieux ses engagements et le plus vigilant". Et de renchérir : "Nous cesserons d'être un  problème pour redevenir un  élément de la solution".

Félicité peu auparavant pour sa victoire par, notamment, le président français Nicolas Sarkozy, la chancelière allemande Angela Merkel  et le président du Conseil de l'Union européenne, Herman Van Rompuy, le chef de la droite espagnole cherchait manifestement, par son discours, à les rassurer au moment où les incertitudes sur l'Espagne contribuent à alimenter la crise de la dette qui secoue la zone euro.

Les élus basques d'Amaiur siégeront à Madrid pour y réclamer l'autodétermination

Sur le plan intérieur, la débâcle socialiste a fait le bonheur aussi, outre celui du PP, de onze petits partis qui dessinent un Parlement très fragmenté. Attirant probablement une partie des "indignés" qui ne se fient ni au PP ni au PSOE, les écolos-communistes de la Gauche unie (Izquierda Unida, IU) décrochent, avec 6,92% des suffrages, 11 députés contre à peine 2 en 2008. Les centristes de Union progrès et démocratie (UPyD), crédités de 4,69% des voix, comptent désormais 5 députés contre un seul dans la législature sortante.

Mais ce sont à nouveau la Catalogne et le Pays basque qui se distinguent le plus. Vainqueurs habituels de scrutins régionaux, les nationalistes catalans modérés de Convergence et Union (CyU) remportent pour la première fois une élection nationale dans leur région, au détriment des socialistes, envoyant à Madrid 16 députés (+6) et 9 sénateurs (+5).

Et au Pays basque, le plus grand nombre de députés nationaux, 6 contre 5 au vieux Parti nationaliste basque (PNV), 4 aux socialistes et 3 au PP, est obtenu avec 24,12% des suffrages locaux par les amis des séparatistes de l'ETA, regroupés au sein de la coalition Amaiur (nom basque de la localité navarraise de Maya, célèbre pour sa résistance au 16e siècle à la couronne de Castille). Les Basques offrent en outre à Amaiur 3 sénateurs et les Navarrais un 7ème député.

C'est la première fois que le PNV est surpassé par la représentation politique de l'ETA, tolérée à nouveau depuis le printemps dernier pour n'être pas considérée comme telle par le Tribunal constitutionnel [sous influence dominante du PSOE; ndlr], malgré l'avis contraire des autres instances judiciaires.

L'organisation terroriste avait annoncé le 20 octobre dernier "l'arrêt définitif" de son "activité armée", mais non sa dissolution. Qu'il résulte d'une faiblesse opérationnelle liée à l'efficacité policière ou d'un pacte non avoué avec M. Zapatero, le silence des bombes de l'ETA est compensé aujourd'hui par une envolée électorale peut-être plus inquiétante à terme pour l'Espagne que les attentats. Les élus d'Amaiur affirment qu'ils siégeront à Madrid pour y réclamer au nom des Basques "le droit à décider", c'est-à-dire l'autodétermination.


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