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  • Premières élections depuis l'application de mesures d'austérité
  • Triomphe nationaliste et recul socialiste selon les sondages
  • La Catalogne vote : test périlleux pour Zapatero et l'Espagne en crise

    MADRID, jeudi 25 novembre 2010 (LatinReporters.com) - Tremplin, au premier tiers de la décennie, du socialiste José Luis Rodriguez Zapatero dans son ascension vers le pouvoir à Madrid et, jusqu'à présent, principal réservoir de voix socialistes après l'Andalousie, la Catalogne va-t-elle précipiter par les élections de ce 28 novembre la fin de l'ère Zapatero? Et le triomphe nationaliste attendu accentuera-t-il une dérive confédérale des autonomies régionales en Espagne?

    Riche région de 7,5 millions d'habitants à la pointe nord-est de l'Espagne, la Catalogne va renouveler dimanche son Parlement. Les 135 députés élus pour un mandat de quatre ans choisiront en leur sein le président catalan, dit président de la Generalitat. Celui-ci formera son exécutif pour gouverner la Catalogne dans les limites fixées en principe par une charte régionale appelée Statut d'autonomie. Les dix-sept régions d'Espagne ont chacune un tel Statut, dont l'amplitude découle de l'histoire et/ou du pouvoir de négociation avec Madrid. Le Pays basque et la Catalogne, places fortes de nationalismes séculaires, sont les deux régions jouissant de la plus large autonomie.

    Facteurs nouveaux

    Deux facteurs nouveaux dominent les élections catalanes. D'abord, les mesures d'austérité -notamment gel des pensions de retraite, réduction du salaire des fonctionnaires et diminution des indemnités de licenciement- imposées progressivement à l'Espagne entière depuis mai dernier par M. Zapatero pour tenter de conjurer, dans le cadre de la crise économique et financière planétaire, une débâcle nationale illustrée surtout par 4,6 millions de chômeurs (20% de la population active). Le vote de ce 28 novembre est le premier de cette ère de rigueur. Le second facteur inédit ne concernerait que la Catalogne si ses ondes de choc ne traversaient pas le reste de l'Espagne. Il s'agit de la sentence du Tribunal constitutionnel espagnol qui réduisit en juin la portée du Statut de l'autonomie catalane élargie en 2006.

    Unie à une sensation d'incompétence gouvernementale et à l'inexistence d'une alternative de gauche au diktat des marchés financiers qui maintiennent l'Espagne en ligne de mire, l'austérité soudaine suffit à expliquer la chute dans les sondages, en Catalogne comme ailleurs en Espagne, des socialistes de M. Zapatero. Ils sont devancés de 8 à 14 points par les conservateurs du Parti Populaire (PP) de Mariano Rajoy dans les sondages nationaux. En Catalogne, la coalition de gauche qui gouverne la région depuis 2003, une tripartite unissant le Parti socialiste catalan (PSC) aux indépendantistes de l'Esquerra Republicana de Catalunya (ERC, Gauche républicaine de Catalogne) et aux écolo-communistes de l'Iniciativa per Catalunya Verds (ICV), devrait, toujours selon les sondages, perdre le tiers de ses 70 députés et donc son actuelle majorité absolue. Candidat à sa propre succession, le président catalan sortant, le socialiste José Montilla, serait voué à une sévère défaite due à ce qu'on appelle l'effet Zapatero. Et, selon de nombreux observateurs, une lourde chute du socialisme catalan garantirait la fin de l'ère Zapatero aux législatives espagnoles de mars 2012.

    "On nous oppose une Constitution rigide et fermée"

    Le grand bénéficiaire de la déroute annoncée des gauches catalanes serait la puissante fédération nationaliste de centre droit Convergencia i Unio (CiU). Son leader historique, Jordi Pujol, présida la Catalogne pendant près d'un quart de siècle, de 1980 à 2003. Sous la houlette de l'économiste Artur Mas, dauphin de Jordi Pujol, CiU arrivait encore en tête aux élections catalanes de 2003 et de 2006, mais la coalition de gauche conduite par les socialistes la rejetait alors dans l'opposition. Aujourd'hui, tout porte à croire qu'Artur Mas célébrera ses 55 ans, le 31 janvier prochain, fraîchement investi à la présidence de sa région.

    Artur Mas et CiU profiteraient non seulement de la chute de popularité nationale et régionale des socialistes, mais aussi de l'émotion née du rabotage de l'autonomie par le Tribunal constitutionnel. Il invalidait le 28 juin dernier des dispositions emblématiques du Statut de la Catalogne, pourtant entériné successivement par le Parlement catalan, la Chambre et le Sénat espagnols et un référendum régional. Les juges gardiens de la Constitution ont mutilé dans le Statut le concept clef de nation, déclaré "dépourvu d'efficacité juridique" lorsqu'appliqué à la Catalogne. Ils ont écarté aussi l'hégémonie de la langue catalane, l'autonomie du pouvoir judiciaire régional, des prérogatives financières et fiscales de la Catalogne et l'aspiration de cette région à transformer progressivement ses liens avec l'Espagne en relation de type confédéral entre partenaires égaux.

    "Ils nous ont fermé la porte. On nous oppose une Constitution rigide et fermée. La Catalogne devra maintenant changer de voie et miser sur la possibilité de décider de son propre futur" affirmait Artur Mas aux journalistes le 10 juillet à Barcelone. Il manifestait ce jour-là, comme plus de 1,1 million de Catalans (chiffre de la police municipale), contre la sentence du Tribunal constitutionnel. On lisait sur les calicots "Nous sommes une nation" et "Nous décidons pour nous-mêmes". Le cri "Indépendance!" surgissait sporadiquement en d'immenses clameurs. On avait soudain l'impression que la modération de CiU sous les mandats de Jordi Pujol n'était plus qu'un souvenir du passé.

    "Imprudente fermeté" de M. Zapatero

    Paradoxalement, c'est le socialiste José Montilla qui convoqua, en qualité de président de la Generalitat, la manifestation du 10 juillet à laquelle il participa. Les socialistes catalans manifestèrent donc contre le Tribunal constitutionnel, l'une des principales institutions de l'Espagne gouvernée également par des socialistes. La perplexité ne se dissipe pas lorsqu'on rappelle que le 13 novembre 2003, à Barcelone, M. Zapatero, alors leader de l'opposition au gouvernement espagnol du conservateur José Maria Aznar, déclarait publiquement et sans réserve "'J'appuierai la réforme du Statut de la Catalogne qu'approuvera le Parlement de la Catalogne". Il s'agissait à l'époque d'engranger dans cette région, la plus peuplée d'Espagne après l'Andalousie, une masse déterminante de sympathies à l'approche des élections législatives. M. Zapatero les remporta pour la première fois le 14 mars 2004, trois jours après les attentats islamistes de Madrid (191 morts, 1.856 blessés) qui inversèrent des prévisions négatives pour les socialistes.

    Devenu président du gouvernement espagnol, José Luis Rodriguez Zapatero n'a pas comblé les espoirs nationalistes qu'il souleva de manière intéressée en Catalogne. Le risque de radicalisation du nationalisme autrefois dit modéré de la fédération CiU d'Artur Mas est l'un des résultats de cette inconséquence. "L'attitude irresponsable de Zapatero, ouvrant la voie à tous les excès" pour avoir soutenu "avec une imprudente fermeté que ce qui serait approuvé en Catalogne le serait à Madrid" était dénoncée le 30 juin dernier par l'un de ses coreligionnaires les plus respectés, le socialiste Gregorio Peces Barba, père parmi d'autres de l'actuelle Constitution espagnole et professeur de philosophie et de droit à l'Université Carlos III.

    Pour les conservateurs du Parti Populaire (PP), largement en tête de tous les sondages nationaux, la Catalogne demeure une terre hostile. Mais y conserver, comme le prédisent les sondages, leur maigre contingent de 14 députés (sur 135), voire de l'élargir avec deux ou trois élus de plus, serait une victoire compte tenu du recul de toutes les gauches catalanes, d'autant que c'est le PP qui avait saisi le Tribunal constitutionnel d'un recours contre de multiples articles du Statut d'autonomie régionale. La présidente du PP catalan, Alicia Sanchez-Camacho, a surfé pendant la campagne électorale sur l'impopularité de M. Zapatero et sur un discours anti-immigrés. Selon l'Institut national de la statistique, les étrangers totalisaient au 1er janvier 15,9% de la population catalane, contre 12,2% dans l'ensemble de l'Espagne.

    Page inachevée

    Considérant comme "la plus probable" la victoire, le 28 novembre, de la fédération nationaliste CiU d'Artur Mas, le sociologue Enrique Gil Calvo, professeur à l'Université Complutense de Madrid., estimait récemment dans le quotidien El Pais que cette victoire accentuerait la "dérive confédérale" des autonomies régionales, chaque région étant appelée à revendiquer le degré d'autonomie atteint par d'autres. Or, note Enrique Gil Calvo, CiU caresse des aspirations qui sont en "rébellion ouverte" contre les limites à l'autonomie imposées par le Tribunal constitutionnel. Le sociologue soulignait aussi que "la longue séquence historique de réclamations successives de nouveaux droits d'autogouvernement se voit couronnée de succès chaque fois que la faiblesse parlementaire du gouvernement central a besoin de l'appui de la minorité catalane" au Congrès espagnol des députés.

    Les analystes notent que les nationalistes basques et galiciens et même les régionalistes des archipels des Canaries et des Baléares pratiquent le même donnant, donnant. Malgré le sursaut du Tribunal constitutionnel, l'Espagne du roi Juan Carlos semble ainsi appelée à demeurer une page institutionnellement inachevée sur laquelle se bousculent l'espagnolisme du Parti Populaire, le fédéralisme caressé par les socialistes de M. Zapatero, le confédéralisme des nationalistes dits modérés, en majorité relative en Catalogne et au Pays basque, et l'indépendantisme radical de minorités catalanes, basques et galiciennes. L'auberge espagnole, aujourd'hui, c'est peut-être cela.


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