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CRISE DIPLOMATIQUE APRÈS REJET DU POURVOI EN CASSATION DE LA FRANÇAISE
Florence Cassez - Au Mexique, "l'ingérence" de la France associée à celle des États-Unis
Mais l'Union des juristes du Mexique pour une "révision extrajudiciaire"
 

MEXICO, lundi 14 février 2011 (LatinReporters.com) - "Une réponse ferme à l'ingérence des États-Unis et de la France est exigée par Narro". Ce titre emplissait dimanche la une de La Jornada, quotidien de référence de la gauche mexicaine. Narro (José Narro Robles) réclame "le respect de la souveraineté" de son pays. Il est le recteur de la prestigieuse Université nationale autonome du Mexique (UNAM), la plus grande et la plus influente d'Amérique latine (300.000 étudiants, 34.000 professeurs).

DERNIÈRE HEURE
Mexico se retire de l'Année du Mexique en France (communiqué officiel intégral)
La secrétaire américaine à la Sécurité intérieure des Etats-Unis, Janet Napolitano, avait indisposé les dirigeants mexicains en redoutant à haute voix, le 9 février, les conséquences pour la sécurité des Etats-Unis d'une éventuelle collusion entre barons de la drogue mexicains du cartel des Zetas et terroristes islamistes d'Al-Qaïda. Des éditorialistes et des mandataires politiques mexicains y voient la prétention de Washington d'exercer un droit de regard sur le Mexique en l'impliquant dans le combat contre le terrorisme.

Le lendemain, c'est la ministre des Affaires étrangères françaises, Michèle Alliot-Marie, qui abasourdissait le Mexique en l'accusant de "déni de justice", qui "va peser sur nos relations bilatérales", après le rejet par la justice mexicaine du recours en cassation de la détenue française Florence Cassez. La ministre a annoncé en outre son boycott personnel des manifestations de l'Année du Mexique en France, inaugurée le 3 février et menacée d'une annulation réclamée par la famille de Florence Cassez.

L'infortunée prisonnière française dit ne pas souhaiter cette annulation. Elle a confié à l'AFP préférer que l'Année du Mexique soit en France l'occasion de débattre de son cas et de ne pas l'oublier. Le dernier mot reviendra au président Nicolas Sarkozy. Reçu à Mexico en mars 2009, il avait sollicité en vain de son "ami Felipe", le président conservateur mexicain Felipe Calderon, le transfèrement de Florence Cassez en France pour qu'elle y purge sa peine, que l'application des lois françaises aurait adoucie.

Michèle Alliot-Marie comme Hugo Chavez

N'ayant d'équivalent récent, par leur contenu et l'usage délibéré des médias comme haut-parleurs, que les menaces du président vénézuélien Hugo Chavez adressées à Madrid lorsque la justice espagnole accusait des guérilleros colombiens des FARC et des terroristes basques de l'ETA d'expérimenter ensemble des explosifs au Venezuela, les menaces de la ministre Alliot-Marie ont sidéré le Mexique. Au point qu'au lendemain de la démission du président égyptien Hosni Moubarak, le principal quotidien mexicain, El Universal, écrasait à la une cet événement planétaire sous le titre "Escalade du différend Mexique-France", avec photo de Michèle Alliot-Marie.

Selon José Narro Robles, au-delà d'invoquer la sensibilité des dirigeants américains et français, le gouvernement fédéral mexicain devrait leur répondre plus énergiquement et exiger le respect du Mexique et de son autonomie. Le recteur de l'UNAM insiste sur la division des pouvoirs codifiée par la Constitution mexicaine et qui devrait caractériser les intenses relations avec Paris. Sur ce point, la presse mexicaine relève qu'en France même, ce serait l'empiétement du président Nicolas Sarkozy sur les prérogatives judiciaires qui aurait provoqué son conflit avec la magistrature française. Les dérapages tunisiens de Michèle Alliot-Marie sont rappelés dans la foulée.

La ministre française avait convoqué l'ambassadeur du Mexique à Paris, Carlos de Icaza. Par réciprocité, le gouvernement mexicain convoqua l'ambassadeur de France, Daniel Parfait. La ministre mexicaine des Affaires étrangères, Patricia Espinosa, lui a demandé que la France "ne surdimensionne pas un cas strictement juridique".

L'ambassadeur Parfait s'était déjà trouvé au centre sinon d'une crise, du moins d'une mésentente prolongée et également très médiatisée entre la France et un autre pays latino-américain, la Colombie. Ex-compagnon sentimental d'Astrid Betancourt, soeur d'Ingrid Betancourt, Daniel Parfait était ambassadeur à Bogota lorsqu'Ingrid fut enlevée par la guérilla des FARC, le 23 février 2002. Les contacts trop étroits de Paris avec la guérilla et l'opposition de la France à toute action militaire pour tenter de délivrer Ingrid Betancourt étaient peu appréciés par Alvaro Uribe, alors président de la Colombie. C'est pourtant l'armée colombienne, avec l'aide d'équipements sophistiqués américains pour intercepter ou brouiller les communications de la guérilla, qui délivra le 2 juillet 2008 Ingrid Betancourt et 14 autres otages, dont trois Américains. La France fut totalement tenue à l'écart de cette opération applaudie mondialement.

Vices de procédure

Agée aujourd'hui de 36 ans, Florence Cassez fut arrêtée en décembre 2005 à une cinquantaine de km de Mexico en compagnie du Mexicain Israël Vallarta, chef supposé de la bande de kidnappeurs Los Zodiacos. La Française a été condamnée à 60 ans de prison pour complicité d'enlèvements. Elle proclame son innocence.

Le débat sur les vices de procédure qui ont entouré la condamnation de Florence Cassez s'est transformé peu à peu en affrontements médiatiques et diplomatiques entre convaincus de sa culpabilité, majoritaires au Mexique, et inconditionnels de son innocence, omniprésents en France. Les premiers privilégient le fond (les faits). Les seconds se fixent sur les irrégularités de l'arrestation et du procès, ainsi que sur la lourdeur de la condamnation. Une peine de 60 ans est atypique en démocratie, quoique le Mexique en soit une.

Le gouvernement français semble éviter, jusqu'à présent, de préjuger de manière irréversible de l'innocence de Florence Cassez. Consciente de l'impact sur l'opinion mexicaine de la violence criminelle qui a fait près de 35.000 morts au cours des quatre dernières années, la France officielle dit se soucier des victimes, mais ajoute qu'il convient d'éviter qu'une procédure irrégulière ne transforme d'éventuels innocents en coupables. A cet égard, selon le Quai d'Orsay, la Cour de cassation mexicaine n'aurait pas rempli son rôle.

Dans le cas de Florence Cassez, la pire des irrégularités, qui a pesé sur l'ensemble de la procédure, fut la mise en scène de son arrestation organisée ou tolérée, peut-être pour satisfaire une soif de prestige, par Genaro Garcia Luna, directeur à l'époque de l'Agence Fédérale d'Investigation. Au lendemain de la détention effective de la Française et de son complice présumé Israël Vallarta, la police mettait en scène une seconde et fausse arrestation filmée par deux chaînes de télévision mexicaines au ranch de Vallarta, avec trois personnes kidnappées retrouvées.

Révision extrajudiciaire?

Considérant que cette mise en scène "lamentable" était destinée à accréditer l'image de l'efficacité gouvernementale contre la délinquance et qu'elle est à l'origine de la suspicion entourant le procès de Florence Cassez, et en définitive de l'actuelle crise diplomatique entre Paris et Mexico, l'Union des juristes du Mexique (UJM) fait une proposition.

"Sans préjuger de l'affaire, nous considérons qu'il faut constituer un observatoire spécial, au sein duquel des personnes de la société civile d'une honorabilité et d'un prestige reconnus mèneraient une révision extrajudiciaire de l'affaire [Cassez]. Cela pourrait avoir ultérieurement des répercussions sur la situation concrète de la citoyenne française" estime le président de l'UJM, Eduardo Miranda, cité par La Jornada.

Frank Berton, avocat français de Florence Cassez, qui n'a plus de recours devant la justice mexicaine, a exhorté pour sa part la France à saisir la Cour internationale de Justice de La Haye contre le Mexique. Il a précisé que sa cliente pourrait de son côté engager des procédures devant la Commission interaméricaine des droits de l'Homme (CIDH) à Washington et la Cour interaméricaine des droits de l'Homme au Costa Rica.

Le porte-parole du gouvernement français, François Baroin, a bien résumé la situation en constatant, dimanche, que les relations entre la France et le Mexique ont atteint "un point de crispation". Cette crise diplomatique avec la deuxième puissance latino-américaine s'ajoute à la douche froide reçue de la première, le Brésil, soudain moins disposé à acquérir les avions Rafale que Nicolas Sarkozy croyait lui avoir déjà vendu. Cause probable, parmi d'autres, de ce retournement : l'opposition de la France, pour protéger son agriculture, à la reprise des négociations entre l'Union européenne et Mercosur, marché commun sud-américain dont le Brésil veut faire l'un des outils de sa montée en puissance.

Malgré le verdict de la justice mexicaine
SARKOZY MAINTIENT L'ANNÉE DU MEXIQUE EN FRANCE, MAIS LA DÉDIE À FLORENCE CASSEZ

PARIS, lundi 14 février 2011 - Malgré la condamnation définitive de Florence Cassez à 60 ans de prison au Mexique, le président Nicolas Sarkozy a décidé lundi de maintenir l'année du Mexique en France et de la dédier à cette Française de 36 ans, informe l'AFP.

Le rejet, la semaine dernière, du pourvoi en cassation de Florence Cassez a provoqué en France de vives réactions qui ont débouché sur une crise diplomatique avec Mexico. (Voir article ci-dessus).

Condamnée par la justice mexicaine pour "complicité d'enlèvements", Florence Cassez clame son innocence depuis son arrestation, en décembre 2005. Sa mère, Charlotte Cassez, avait réclamé vendredi au président Sarkozy l'annulation des festivités de l'année France-Mexique, mais elle s'est rendue aux arguments de sa fille, qui, de sa prison dans le sud de Mexico, avait affirmé dans un entretien à l'AFP qu'il fallait au contraire les maintenir pour qu'on parle d'elle. "Le pire, ce serait l'oubli", avait-elle dit.

Entouré des parents de Florence, Charlotte et Bernard Cassez, et de la ministre des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, le président français a donc déclaré à la presse qu'il avait décidé de "maintenir l'année France-Mexique" et de la "dédier" à Florence Cassez.

"La supprimer serait une offense au peuple mexicain", "un peuple ami" dont "nous admirons la culture" et "nous faisons la différence entre lui et l'attitude de certains de ses dirigeants", a-t-il affirmé, ajoutant que "ce serait donc une décision parfaitement inappropriée, contraire aux intérêts de Florence et contraire aux intérêts de nos deux peuples".

M. Sarkozy demande à chaque officiel qui prendra la parole au cours des manifestations culturelles, scientifiques ou économiques prévues tout au long de 2011 de "commencer par parler" de la jeune femme "afin qu'on ne l'oublie pas". Il a précisé qu'il présiderait lui-même "la première manifestation d'ampleur franco-mexicaine" et qu'il publierait bientôt une tribune dans la presse mexicaine.

Nouvelle demande de transfèrement

M. Sarkozy va également téléphoner à son homologue mexicain, Felipe Calderon, pour demander une nouvelle fois le "transfèrement" de Florence Cassez dans une prison française, comme M. Calderon s'était engagé à y réfléchir, a-t-il précisé, et conformément à une convention internationale [NDLR - la Convention dite de Strasbourg] permettant le transfèrement dans son pays d'origine de prisonniers définitivement condamnés dans un autre.

"Nous ne laisserons pas 60 ans de plus cette jeune femme dans une prison", a-t-il dit, "j'espère que la raison va finir par triompher".

L'affaire Cassez brouille depuis des mois les relations franco-mexicaines. Elle avait en partie monopolisé la visite du président Sarkozy au Mexique, en mars 2009, au grand dam de la presse locale et d'une population dont les nerfs sont mis à vif par le fléau des enlèvements - quelque 8.000 par an - suivis de demandes de rançons et très souvent d'assassinats.



CE QUE SARKOZY NE DIT PAS

Lundi, 14 février 2011 (LatinReporters.com) - En déposant en juillet 2007 l'instrument de son adhésion à la Convention de Strasbourg sur le transfèrement des personnes condamnées, le Mexique consignait 4 déclarations interprétatives dans cet instrument. La 3e dit que "L'article 9, paragraphe 1, alinéa b, ne sera pas applicable si c'est le gouvernement mexicain qui est l'Etat répondant favorablement à une demande".

Cela signifie que le Mexique refuse qu'un condamné dont il accepterait le transfèrement vers son pays d'origine (la France dans le cas de Florence Cassez) puisse jouir de l'adaptation de sa peine à la législation de ce pays d'origine. Le Mexique veut ainsi s'assurer que la peine prononcée pour les délits les plus graves ( y compris la "complicité d'enlèvements" pour laquelle a été condamnée Florence Cassez) ne soit pas réduite par l'application d'une législation moins sévère.

Or la peine de Florence Cassez serait effectivement réduite si elle était adaptée à la législation française suite à un transfèrement. Le président Sarkozy ne s'en cache pas. Il n'en réclame pas moins à nouveau le transfèrement de Florence Cassez en France. Il fait croire à l'opinion publique que le Mexique y serait obligé par la Convention de Strasbourg, mais il se garde opportunément de mentionner la 3e déclaration interprétative consignée par le Mexique dans son instrument d'adhésion.

Exhorter le Mexique à contredire son instrument d'adhésion à la Convention de Strasbourg et lui reprocher de se refuser à cette contradiction n'est peut-être pas le meilleur moyen d'écourter l'emprisonnement de Florence Cassez.

Consensus nécessaire

Un silence plus criant encore est celui dont Nicolas Sarkozy entoure le consensus sur lequel repose la Convention de Strasbourg. L'article 3.1.f. de la convention indique en effet, parmi les conditions préalables à un transfèrement, que les Etats concernés "doivent s'être mis d'accord sur ce transfèrement".

Il n'existe donc aucune obligation automatique de transférer vers son pays d'origine une personne condamnée dans un autre pays, contrairement à ce que ne cessent d'affirmer le président Sarkozy, ses ministres et les avocats de Florence Cassez en accusant le Mexique de "manquer à ses obligations internationales".

Ces considérations n'empêchent pas que la lourdeur de la peine de Florence Cassez, 60 ans de prison, puisse logiquement être considérée en France comme excessive en démocratie, le Mexique en étant une.

Convention de Strasbourg
- Texte intégral
- Déclarations interprétatives du Mexique


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