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Réaction aux déclarations du président français Nicolas Sarkozy
Affaire Cassez - Mexico se retire de l'Année du Mexique en France (communiqué intégral)
 

MEXICO, mercredi 16 février 2011 (LatinReporters.com) - "Au vu des déclarations du président Nicolas Sarkozy, le gouvernement du Mexique considère que les conditions pour que l'Année du Mexique en France ait lieu de façon appropriée (...) ne sont pas réunies" affirme le ministère mexicain des Affaires étrangères, annonçant cette annulation ou peut-être seulement suspension dans un communiqué daté du lundi 14 février.

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Ce jour-là, le président français Nicolas Sarkozy avait décidé de maintenir l'Année du Mexique en France, mais en la dédiant à la Française Florence Cassez, emprisonnée au Mexique depuis décembre 2005.

La justice mexicaine a rejeté le 10 février le pourvoi en cassation de Florence Cassez, âgée de 36 ans, et confirmé sa condamnation à 60 ans de prison pour enlèvements, port d'armes et participation à des actes de délinquance organisée. Ce verdict a fait éclater une crise diplomatique, la ministre française des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, dénonçant un "déni de justice", qui "va peser sur nos relations bilatérales", et le président Sarkozy stigmatisant "certains dirigeants" mexicains.

Le chef de l'État français et la ministre Alliot-Marie estiment que de graves irrégularités ont entouré la condamnation de Florence Cassez et ils réclament à nouveau son transfèrement en France en invoquant la Convention de Strasbourg sur le transfèrement des personnes condamnées. L'application de cette convention, dont le Mexique est signataire, permettrait théoriquement que Florence Cassez puisse purger en France sa peine, dont la durée serait nécessairement réduite par son adaptation à la législation française, une éventuelle grâce présidentielle n'étant en outre pas exclue.

Contradictions de Nicolas Sarkozy

Dans son communiqué, le ministère mexicain des Affaires étrangères rappelle que la Convention de Strasbourg, qui repose sur le consensus des États concernés [selon son article 3.1.f. - NDLR] "n'oblige en aucune façon l'État requis de consentir à une demande de transfèrement".

Lundi, Nicolas Sarkozy prétendait, en contradiction avec le texte de la convention, que "quelqu'un qui est condamné définitivement doit être transféré". En outre, en rappelant la condition de condamnation définitive, le président français s'enfonçait davantage dans la contradiction, puisqu'il réclamait déjà le transfèrement de Florence Cassez en mars 2009, soit quasi deux ans avant le rejet de son pourvoi en cassation, le 10 février dernier.

Le communiqué officiel mexicain ajoute que "les conditions permettant d'autoriser un transfèrement de Florence Cassez en France, comme prévu par la Convention de Strasbourg, n'existent pas, en raison d'importants différends entre les systèmes juridiques des deux pays".

[NDLR - En déposant en juillet 2007 l'instrument de son adhésion à la Convention de Strasbourg, le Mexique consignait 4 déclarations interprétatives dans cet instrument. La 3e dit que "L'article 9, paragraphe 1, alinéa b, ne sera pas applicable si c'est le gouvernement mexicain qui est l'État répondant favorablement à une demande".

Cela signifie que le Mexique refuse qu'un condamné dont il accepterait le transfèrement vers son pays d'origine (la France dans le cas de Florence Cassez) puisse jouir de l'adaptation de sa peine à la législation de ce pays d'origine.

Le Mexique veut ainsi s'assurer que, conformément à ses lois, la peine prononcée pour les délits les plus graves (y compris ceux pour lesquels a été condamnée Florence Cassez) ne soit pas réduite, en l'occurrence par l'application d'une législation moins sévère.

Sur ce point, Mexico n'a effectivement reçu aucune assurance de la France, ouvertement décidée, au contraire, à adapter à sa législation la peine de Mademoiselle Cassez si elle était transférée. Sa peine de 60 ans de prison est atypique en démocratie, quoique le Mexique en soit une.]

Une phrase du communiqué officiel mexicain est particulièrement cinglante : "Il est réellement surprenant qu'un chef d'État prenne une décision de politique étrangère qui affecte les relations entre deux peuples et gouvernements en consultation avec une personne condamnée par la justice mexicaine pour des délits de nature particulièrement grave."

Le 14 février, Nicolas Sarkozy avait affirmé avoir parlé "longuement" au téléphone avec Florence Cassez [qui jouit largement de cette facilité dans sa prison mexicaine - NDLR] avant de décider de maintenir l'Année du Mexique en France, dont les parents de la détenue réclamaient l'annulation, mais en la dédiant donc à la prisonnière française.

L'Année du Mexique devait être célébrée jusqu'à fin 2011 à travers plus de 360 manifestations, dont plusieurs grandes expositions et événements culturels, scientifiques et économiques. L'ambassadeur du Mexique à Paris, Carlos de Icaza, laisse la porte très légèrement entrouverte. Selon lui, son pays pourrait revenir sur sa décision, à condition que les autorités françaises renoncent à lier l'Année du Mexique à l'affaire Cassez.

Texte intégral du communiqué diffusé en espagnol et en français par le Ministère mexicain des Affaires étrangères (dont l'appellation officielle est Secrétariat aux Relations extérieures) :
Source : http://www.sre.gob.mx/csocial/contenido/comunicados/2011/feb/cp_043.html

POSITION DU GOUVERNEMENT MEXICAIN SUR LES DÉCLARATIONS FORMULÉES PAR LE CHEF DE L'ÉTAT FRANÇAIS, NICOLAS SARKOZY

Lundi 14 février 2011 | Communiqué # 043 | Mexico, D.F.
 
Le ministère des Affaires étrangères du Mexique a bien pris note des déclarations formulées par le chef de l'État français sur le verdict de la justice mexicaine confirmant la condamnation de la citoyenne française Florence Cassez, ainsi que de la tenue de l'Année du Mexique en France.

La position du gouvernement du Mexique par rapport au procès de Florence Cassez est notoire. L'affaire a été jugée : il existe une sentence définitive prononcée par un pouvoir autonome qui a toujours procédé conformément au droit.

Le Mexique a travaillé de façon constante, et continuera à le faire, pour consolider l'état de droit dans le pays et n'est pas disposé à négocier sa validité, quel que soit le dossier.

L'enlèvement est un délit violent. Ceux qui le commettent non seulement privent leurs victimes d'un droit fondamental, comme celui de la liberté, mais ils ont également recours à la torture physique et psychologique pour atteindre leurs objectifs.

Les séquelles de ce crime accompagnent pendant de nombreuses années ceux qui se sont trouvés entre les mains de ravisseurs. Il s'agit d'un délit qui s'est propagé ces dernières années et qui offense profondément la société mexicaine, raison pour laquelle il a été et sera combattu avec force.

Lors du procès de Florence Cassez, il a été démontré sa culpabilité. Son dossier comporte des déclarations des victimes et des témoins, ainsi que des pièces judiciaires qui ont prouvé sa responsabilité pénale.

Le juge de première instance et le tribunal unitaire qui a jugé le recours en appel ont examiné les preuves qui figurent dans son dossier. La légalité du procès a été confirmée à l'unanimité par le Septième tribunal collégial en matière pénale du premier circuit lors du jugement du recours en cassation (« amparo ») prononcé le 10 février dernier.

En 2009, le gouvernement du Mexique a annoncé que les conditions permettant d'autoriser un transfèrement de Florence Cassez en France, comme prévu par la Convention de Strasbourg, n'existaient pas, en raison d'importants différends entre les systèmes juridiques des deux pays.

La Convention de Strasbourg n'oblige en aucune façon l'État requis de consentir à une demande de transfèrement.

Le gouvernement du Mexique déplore profondément qu'un cas d'ordre strictement pénal soit lié aux relations entre deux nations qui ont maintenu une longue histoire d'amitié et une profonde affinité de valeurs.

Il est réellement surprenant qu'un chef d'État prenne une décision de politique étrangère qui affecte les relations entre deux peuples et gouvernements en consultation avec une personne condamnée par la justice mexicaine pour des délits de nature particulièrement grave.

L'organisation de l'Année du Mexique en France a été une expression de l'amitié et de l'affinité entre les deux pays et a été mise en place sur invitation du Président de la République française.

Il s'agit d'un vaste programme d'activités qui a été planifié et qui devrait être réalisé conjointement par les deux gouvernements, avec la participation de nombreuses organisations et de personnalités tant mexicaines que françaises.

Ce grand projet a eu, dès sa conception, pour objectif de rapprocher les peuples du Mexique et de la France, et il ne serait pas possible de le mener à bien sans une étroite collaboration entre les autorités des deux pays.

Utiliser l'Année du Mexique en France pour que dans chacune de ses activités soit mentionné le cas de Florence Cassez, comme l'a indiqué le président Nicolas Sarkozy, va à l'encontre de la Déclaration conjointe Mexique-France souscrite en septembre 2010.

Dans cette Déclaration, les deux gouvernements sont convenus de réaliser l'Année du Mexique en France pour « permettre au public français de connaître la diversité et la richesse du patrimoine culturel du Mexique et son dynamisme créatif ».

Une fin différente de celle établie à l'origine éloigne la France de l'objectif sur lequel les deux gouvernements ont décidé de coopérer dans l'intérêt de leurs peuples.

Le gouvernement du Mexique ne permettra pas que les artistes et créateurs, ainsi que les chefs d'entreprise et autres participants à ce programme, soient exposés à des manifestations contraires à la finalité pour laquelle ils ont été convoqués au départ et qui empêcheraient la bonne appréciation de leurs oeuvres et de leurs contributions.

Au vu des déclarations du président Nicolas Sarkozy, le gouvernement du Mexique considère que les conditions pour que l'Année du Mexique en France ait lieu de façon appropriée et selon les modalités fixées lors de sa mise en place ne sont pas réunies.

Le gouvernement du Mexique regrette profondément que soit dénaturé un projet qui permettrait à un peuple, dont l'énorme tradition culturelle et artistique est reconnue tout comme l'intérêt qu'il porte aux manifestations créatives dans le monde, de se rapprocher de la richesse et de la diversité du Mexique.

Tant que les conditions indispensables au déroulement de l'Année du Mexique en France, conformément aux termes accordés pour sa réalisation, ne seront pas réunies, le gouvernement du Mexique sera malheureusement dans l'impossibilité de participer aux activités.

SARKOZY vu par la presse française :
"ÉLÉPHANT DANS UN MAGASIN DE PORCELAINE"

PARIS, mercredi 16 février 2011 - Cités par l'AFP, les éditorialistes français critiquent mercredi avec un bel ensemble les "cafouillages" et "bredouillements" contre-productifs de la diplomatie française dans l'affaire Cassez, allant jusqu'à accuser Nicolas Sarkozy de s'être comporté "comme un éléphant dans un magasin de porcelaine".

"En dédiant cette manifestation à Mme Cassez, M. Sarkozy ne pouvait ignorer qu'il allait provoquer le retrait du Mexique", selon l'éditorialiste du Monde qui se demande si M. Sarkozy, "plus justicier que diplomate", a eu "raison de transformer, lui aussi, une affaire particulière en affaire d'État ?"

Pour Jean-Marcel Bouguereau, l'éditorialiste de La République des Pyrénées, "Sarkozy a agi comme un éléphant dans un magasin de porcelaine". "En 24 heures, il s'est mis à dos tout un pays!"

Daniel Ruiz, dans le Journal La Montagne, déplore lui aussi que "décidément les tenants de notre politique extérieure n'en finissent plus de se prendre les pieds dans le tapis." "Cette affaire du Mexique dans laquelle, une fois encore, la France a réagi à l'émotion, ne fait qu'enchaîner avec nos bredouillements dans les révolutions arabes, notre brouille avec les Chinois, ou la vente ratée du Rafale à notre ami Lula", estime l'éditorialiste.

"Une politique de l'émotion est-elle viable?" s'interroge Gérard Noël dans Vosges Matin. "La diplomatie à la hussarde avec menaces de représailles n'aboutit jamais aux résultats escomptés", juge l'éditorialiste lorrain.

"S'adresser au président mexicain comme s'il s'agissait d'un vulgaire préfet français ne pouvait être que contre-productif, surtout dans un pays qui garde encore le souvenir de l'expédition lancée par Napoléon III pour installer un prince autrichien sur le trône du Mexique", estime pour sa part Bruno Dive dans Sud-Ouest, tandis que Gilles Debernardi (Dauphiné Libéré) ironise: "On dirait l'histoire du "pavé de l'ours, à la sauce chili con carne." "Au lieu d'une attaque frontale, l'Élysée aurait quand même pu réagir par les voies diplomatiques. La finesse et l'humilité ne nuisent pas, parfois", assène l'éditorialiste.

Michel Vagner (L'Est Républicain) critique lui aussi "une infructueuse stratégie du bulldozer" du président Sarkozy contre son homologue Felipe Calderon, tandis que Philippe Waucampt, dans Le Républicain Lorrain, stigmatise "la diplomatie d'opérette de ces dernières années". "Il est évident qu'on ne traite pas un pays comme le Mexique avec une désinvolture de garçons de bain", juge-t-il.

Seul Laurent Joffrin, dans Libération, trouve quelques excuses à la diplomatie française, vu les "graves irrégularités" de la procédure: "On peut difficilement reprocher au président Sarkozy de s'intéresser de près au sort d'une de ses compatriotes condamnée dans des conditions contestables dans un pays étranger" juge-t-il, même si "on peut ensuite discuter à perte de vue sur la meilleure manière de le faire."


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