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L'opposition ne reconnaît pas la victoire du leader sandiniste
Nicaragua : réélection d'Ortega peu transparente selon l'UE et l'OEA
 

MANAGUA, jeudi 10 novembre 2011 (LatinReporters.com) - Le "manque de neutralité et de transparence" dans le processus ayant conduit le 6 novembre à la réélection du sandiniste Daniel Ortega à la présidence du Nicaragua est dénoncé par la mission d'observation électorale de l'Union européenne (UE). L'Organisation des Etats américains (OEA) tente d'élaborer une "réponse continentale" aux "irrégularités". Rejetant une "fraude monstrueuse", l'opposition nicaraguayenne réclame de nouvelles élections. La violence post-électorale a fait au moins 4 morts.

En dépit de l'interdit constitutionnel qui prohibe expressément la réélection présidentielle consécutive, celle de Daniel Ortega, leader du Front sandiniste de libération nationale (FSLN, gauche), a été proclamée définitivement le 8 novembre par le président du Conseil suprême électoral (CSE), Roberto Rivas. Ce haut fonctionnaire qui édicte les normes assurant en principe la régularité de tout scrutin a crédité le vainqueur de 62,66% des voix et l'a félicité pour son "triomphe écrasant" (sic).

Daniel Ortega dédie sa victoire à Hugo Chavez et Fidel Castro

Les quatre rivaux du président Ortega, tous issus de la famille libérale éclatée, ne reconnaissent ni cette victoire ni le score qui leur est attribué : 31,13% des suffrages au patron et homme de radio Fabio Gadea; 5,67% à l'ex-président Arnoldo Aleman; 0,33% à Enrique Quiñonez et 0,21% à Roger Guevara.

Dans un message radio-télévisé, diffusé obligatoirement par toutes les chaînes au soir du même 8 novembre, Daniel Ortega a dédié sa victoire à l'ALBA (Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique) et aux deux fondateurs de cette organisation politico-économique qu'a ralliée le Nicaragua, le président vénézuélien Hugo Chavez et le leader historique de la révolution cubaine, Fidel Castro.

Le président réélu a affirmé que les élections législatives tenues le même jour que la présidentielle ont octroyé à son parti, le FSLN, une majorité qualifiée permettant de réformer la Constitution. Quoique soupçonné de vouloir instaurer, comme au Venezuela, la réélection présidentielle illimitée, inhabituelle sur le continent américain, Daniel Ortega a promis d'administrer sans "changements dramatiques (...) ce grand pouvoir confié par Dieu".

Quelques heures plus tôt, le rapport préliminaire très critique de la mission d'observation électorale de l'Union européenne était présenté à la presse dans la capitale nicaraguayenne, Managua, par le chef de cette mission, l'eurodéputé socialiste espagnol Luis Yañez.

"Il est indubitable que Monsieur Ortega et le Front [sandiniste de libération nationale] ont gagné les élections", mais "je ne dis pas qu'ils ont gagné d'une manière transparente et propre, car nous ne savons pas ce qui se serait passé sans tous ces pièges et crocs-en jambe" a déclaré Luis Yañez. Précisant que cette reconnaissance nuancée de la victoire de M. Ortega était personnelle, le chef de la mission de l'UE a souligné qu'aucun vainqueur n'est désigné dans le rapport d'observation, intitulé "Journée électorale d'un calme relatif après un processus manquant de neutralité et de transparence".

La mission de l'UE doute de la légitimité de la candidature de Daniel Ortega

Participant également à la présentation du rapport, l'eurodéputée Ines Ayala, elle aussi Espagnole et socialiste, est remontée à l'origine du problème en "déplorant" "la profonde préoccupation" découlant, indépendamment des résultats de l'élection, de la candidature présidentielle de Daniel Ortega.

En octobre 2009, une décision controversée de magistrats pro-sandinistes de la Cour suprême avait donné au président Ortega le feu vert pour briguer un deuxième mandat consécutif de cinq ans, contrairement à ce que prévoit la Constitution nicaraguayenne (article 147), que seule une majorité qualifiée de l'Assemblée nationale est habilitée à modifier.

A propos de cette candidature contestée de Daniel Ortega, le rapport de la mission de l'UE assène, en page 5, que "conformément à l'ordre légal nicaraguayen, le canal de réformes constitutionnelles ne devrait être autre que le vote de l'Assemblée nationale, à la majorité prévue par la propre Constitution".

Il s'agit d'une reconnaissance quasi explicite de l'illégitimité de la candidature [et donc de la réélection; ndlr] de Daniel Ortega, dénoncée depuis plus de deux ans par l'opposition, ainsi que par des ONG et des juristes nationaux et internationaux. Que l'Union européenne s'en inquiète seulement au lendemain de l'élection présidentielle pourrait alimenter le débat sur l'utilité ou non de ses missions d'observation.

Quant aux modalités mêmes du processus électoral, les observateurs de l'UE dénoncent notamment la partialité et le manque d'indépendance du Conseil suprême électoral; l'impossibilité de voter frappant des milliers d'électeurs qui n'avaient pas reçu l'indispensable document d'identité, dont le FSLN contrôlait en certains endroits la distribution; l'accréditation tardive de témoins de l'opposition dans les bureaux de vote; le "pouvoir absolu" dans ces bureaux de "coordinateurs nommés à la dernière minute" sans base légale; le refus d'accréditation d'observateurs nationaux critiques du pouvoir; l'interdiction d'accéder à certains bureaux de vote opposée aux observateurs internationaux pendant une partie au moins de la journée électorale et "la réduction notable de la capacité de vérification de phases fondamentales du processus, y compris l'addition des résultats dans les centres de traitement informatique".

Consultations au sein de l'OEA

Dans un bref communiqué annonçant un prochain rapport, la mission d'observation de l'Organisation des Etats américains mentionnait elle aussi, le 7 novembre, la plupart de ces irrégularités. Le communiqué n'abordait toutefois pas la polémique sur la légitimité de la candidature de Daniel Ortega. Il mentionnait même un appel téléphonique au leader sandiniste du secrétaire général de l'OEA, le socialiste chilien José Miguel Insulza, pour "saluer le gouvernement et le peuple du Nicaragua", dont le déroulement des élections aurait démontré "la maturité".

La secrétaire d'Etat canadienne chargée des Amériques, Diane Ablonczy, déclarait néanmoins mercredi à l'agence espagnole Efe que M. Insulza, "très impliqué dans les préoccupations soulevées par les élections au Nicaragua", consulte les représentants des pays membres afin d'élaborer "une réponse continentale de l'OEA" à "toute érosion de la liberté électorale et de la transparence dans un pays des Amériques". La division de l'organisation, au sein de laquelle le Venezuela et ses alliés contestent vivement le rôle des Etats-Unis, rend toutefois improbable l'unanimité de l'OEA.

Dénonçant une gigantesque "fraude", l'influent quotidien nicaraguayen La Prensa réclame l'annulation des élections du 6 novembre et le leader libéral Fabio Gadea leur répétition. Les affrontements post-électoraux ont fait jusqu'à présent, selon la police, au moins quatre morts, un sandiniste et trois militants du Parti libéral indépendant de Fabio Gadea, ainsi que 47 blessés.

A noter que les sondages pronostiquaient la victoire de Daniel Ortega. Selon Luis Prados, correspondant du quotidien espagnol El Pais à Managua, l'ex-commandant de la révolution sandiniste combine agenda social populiste financé par le Venezuela et splendide relation avec le secteur privé, à l'opposé de l'interventionnisme étatique de Hugo Chavez. Il cultive en outre un message d'apparente solidarité chrétienne, bien reçu dans un pays où l'Eglise catholique et les groupes évangéliques ont une énorme influence. Mais, au Nicaragua comme au Venezuela ou ailleurs, popularité et convictions démocratiques ne vont pas nécessairement de pair.


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