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Président du Venezuela traité comme un épouvantail à électeurs
Pérou-élections: Humala a fui Chavez pour gagner la présidentielle
 

LIMA, dimanche 10 avril 2011 (LatinReporters.com) - "Nous n'allons pas copier le modèle du Venezuela" répétait deux jours avant le scrutin Ollanta Humala, présenté par tous les sondages comme le vainqueur du premier tour de l'élection présidentielle, couplée aux législatives le 10 avril au Pérou. Qualifié par ses adversaires de "Chavez péruvien", ce lieutenant-colonel à la retraite s'est efforcé des semaines durant de se démarquer de l'image du président du Venezuela, comme s'il s'agissait d'un épouvantail à électeurs.

Le ton mesuré, en impeccable costume sombre remplaçant le polo rouge de sa campagne présidentielle de 2006, Ollanta Humala affirmait aussi, le 8 avril à Lima devant un groupe de journalistes étrangers, ne pas souhaiter l'adhésion du Pérou à l'ALBA, l'Alliance bolivarienne pour les Amériques dominée par les principaux pays de la gauche radicale d'Amérique latine (Venezuela, Cuba, Bolivie, Equateur et Nicaragua).

Ni le contrôle des changes ni la soumission de la Banque centrale à l'exécutif ni moins encore la réélection présidentielle, à vie à Cuba et sans limite du nombre de mandats au Venezuela, n'ont grâce aux yeux de l'Humala 2011, âgé de 48 ans et apparemment distinct de l'Humala 2006.

Il y a cinq ans, le 10 janvier 2006, trois mois avant l'élection présidentielle dont il remporta déjà le premier tour, le candidat Ollanta Humala était reçu à Caracas par le président Hugo Chavez. A la poignée de main et au sourire complice de ces deux lieutenants-colonels à la réserve, anciens putschistes à des degrés divers, succédait le soutien médiatique bruyant du leader bolivarien à la candidature présidentielle de celui qui en devenait de facto son poulain péruvien. Là résiderait l'explication de l'union sacrée contre Humala, débouchant le 4 juin 2006 sur la victoire au second tour du social-démocrate Alan Garcia, actuellement président sortant.

Aujourd'hui, seul candidat de gauche face à ses principaux adversaires relevant tous de la droite ou du centre droit, Humala doit tenter d'éviter la répétition du scénario de 2006. Tâche difficile, car des sondages prévoyant sa victoire ce dimanche au premier tour l'ont donné perdant au second, le 5 juin, quel que soit son adversaire, la députée Keiko Fujimori, l'ex-président Alejandro Toledo, l'ancien ministre de l'Economie Pedro Pablo Kuczynski ou Luis Castañeda, maire de Lima jusqu'en octobre dernier.

Le modèle, c'est Lula

Pour conjurer un second échec de l'officier à la réserve et ancrer à gauche un Pérou néolibéral depuis plus de vingt ans, le Parti des travailleurs (PT) du Brésil a dépêché auprès d'Ollanta des conseillers qui ont oeuvré aux trois victoires successives du PT, auquel appartiennent la présidente brésilienne Dilma Rousseff et son prédécesseur, Luiz Inacio Lula da Silva. Ce dernier demeure le symbole d'une gauche latino-américaine modérée et ouverte à la coopération tant avec la gauche radicale qu'avec l'Occident libéral.

Lula, l'homme capable de faire la leçon à Chavez (quoique discrètement) et d'apaiser ses colères chroniques, est devenu la référence explicite d'Ollanta Humala. Dans ce contexte, lorsque le Péruvien revendique à voix haute la liberté de la presse et le respect du droit de propriété, on en déduit qu'il critique ouvertement le régime bolivarien instauré à Caracas.

Conscient de la nouvelle donne, Hugo Chavez, en visite officielle en Uruguay le 30 mars dernier, tentait de demeurer prudent lorsque des journalistes l'interrogeaient sur Humala. Le président vénézuélien accusait ceux qui prétendent toujours le lier à l'ancien lieutenant-colonel péruvien de vouloir "nuire" à sa candidature présidentielle. Ollanta Humala, disait alors Chavez, fut "un bon soldat", ayant aujourd'hui derrière lui "un parti, un projet" et le peuple péruvien "saura pour qui voter".

Ces mots furent aussitôt interprétés à Lima comme la confirmation d'un appui vénézuélien. Humala était contraint de réagir. "Nous n'avons pas besoin qu'on nous dise si nous sommes de bons ou de mauvais soldats (...) J'exige qu'on ne s'immisce pas dans la campagne nationale [électorale au Pérou], tout comme moi je ne m'immiscerai pas dans les problèmes du pays frère qu'est le Venezuela" déclarait-il à la presse le 31 mars.

Humala martelait ensuite ce qu'il répétera une semaine plus tard à un groupe de journalistes étrangers, notamment que "le modèle de gouvernement du Venezuela n'est pas applicable au Pérou" et que s'il était élu président, il donnerait "une totale indépendance à la Banque centrale" nationale (ndlr.: indépendance que Chavez a supprimée au Venezuela).

"Nous autres, nous n'allons pas appliquer la politique de contrôle des changes; nous autres, nous ne croyons pas à la réélection [présidentielle] indéfinie; nous autres, nous allons respecter la liberté de presse et la liberté d'expression, comme je m'y suis engagé" ajoutait-il.

Loup déguisé en agneau?

Jamais de tels obus visant des points sensibles du régime d'Hugo Chavez n'avaient été lancés publiquement par le leader national du principal parti de gauche d'un pays d'Amérique latine. L'un des porte-parole d'Ollanta Humala, le député Daniel Abugattas, envoyait une salve finale en menaçant de dénoncer Hugo Chavez devant des organismes internationaux s'il faisait de nouvelles déclarations sur les élections péruviennes.

Ollanta Humala n'en demeure pas moins un homme de gauche. Le Parti nationaliste péruvien (PNP) qu'il a fondé s'est uni notamment au Parti communiste du Pérou, au Parti socialiste et au Parti socialiste révolutionnaire pour former la coalition électorale Gana Perú (le Pérou gagne) sous la bannière de laquelle il brigue la présidence.

Et dans le "Plan de gouvernement 2011-2016" de Gana Perú, intitulé "La grande transformation", de multiples propositions économiques et sociales pourraient être applaudies à Caracas. La majorité des médias péruviens et les adversaires d'Ollanta Humala en tirent argument pour le qualifier de loup déguisé momentanément en agneau.

LE PÉROU AUX URNES
29,5 millions d'habitants / 19,9 millions d'électeurs

LIMA, dimanche 10 avril 2011 (LatinReporters.com) - Troisième pays le plus vaste d'Amérique du Sud après le Brésil et l'Argentine, le Pérou compte 29,5 millions d'habitants selon l'estimation pour 2010 du Fonds des Nations unies pour la population. Amérindiens et métis sont majoritaires.

Ce 10 avril seront élus pour un mandat de 5 ans le président, deux vice-présidents, les 130 membres du Congrès de la République (Parlement monocaméral) et 15 représentants au Parlement andin (5 titulaires et 10 suppléants). Un total de 19,9 millions de Péruviens âgés d'au moins 18 ans sont appelés aux urnes. Le vote est obligatoire.

Le pourcentage de Péruviens pauvres, définis comme ceux vivant avec moins de 4 $ par jour, a baissé de manière spectaculaire depuis 2004, passant de 49% à 34% de la population. Cette évolution est liée à un néolibéralisme marqué par l'orthodoxie financière, l'ouverture aux investisseurs étrangers et une politique d'accords de libre-échange, signés notamment avec la Chine, les Etats-Unis, l'Union européenne et le Mexique.

Gouverné depuis 20 ans par la droite (Alberto Fujimori) et par le centre droit (Alejandro Toledo et Alan Garcia), le Pérou  a été ces dernières années le champion latino-américain de la croissance : 8,8% en 2010 et 9,8% en 2008, résistant à l'impact de la crise mondiale avec un taux  légèrement positif de 0,9% en 2009.

Mais de vastes poches de misère persistent, frappant surtout les populations amérindiennes des Andes et de l'Amazonie péruvienne. Aussi, au delà d'une éventuelle alternative politique, l'enjeu des élections du 10 avril est-il une meilleure répartition des fruits de la croissance.

C'est le cheval de bataille du candidat de la gauche et favori des sondages, le lieutenant-colonel à la retraite Ollanta Humala, un métis de 48 ans. Sa popularité a contraint les autres candidats à émettre la même revendication.

Dernier Sondage

La publication de sondages est prohibée depuis le 3 avril. Ils continuent néanmoins à être effectués. LatinReporters a eu accès aux résultats connus samedi soir d'un sondage de la société Ipsos Apoyo basé sur un échantillon de 6.000 personnes. Il confirme l'avantage d'Ollanta Humala, favori de la présidentielle avec 28,1% des intentions de vote.

Il est suivi de Keiko Fujimori (21,1%), fille de l'ancien président d'origine japonaise Alberto Fujimori, qui purge à Lima une peine de 25 ans de prison pour crimes contre l'humanité.

La 3e place revient à l'ex-ministre de l'Economie Pedro Pablo Kuczynski (19,9%). Il précède l'ex-président Alejandro Toledo (16,8%) et l'ex-maire de Lima Luis Castañeda (12,1%).

Aucun des candidats ne serait en mesure d'obtenir d'emblée la majorité absolue. L'élection présidentielle se jouera donc probablement lors d'un second tour, le 5 juin, entre les deux candidats les mieux classés au premier tour.


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