Les scénarios que pourraient affronter Chavez et son rival Capriles
Présidentielle au Venezuela : la mère de toutes les élections
 

  • Article de Daniel Zovatto, directeur régional pour l'Amérique latine et les Caraïbes de l'organisation intergouvernementale International IDEA (International Institute for Democracy and Electoral Assistance).
  • Traduit en français le 4 octobre 2012 par LatinReporters.com   
L'élection présidentielle vénézuélienne du dimanche 7 octobre peut être qualifiée, sans crainte d'exagération, de "mère de toutes les élections". Son résultat aura des répercussions non seulement au Venezuela, mais aussi partout en Amérique latine, où Hugo Chavez mène et finance une alliance continentale, l'Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (ALBA), basée sur les postulats idéologiques du dénommé "socialisme du XXIe siècle".

Par ses caractéristiques, cette élection présidentielle est davantage un plébiscite dont l'enjeu est la continuité de Chavez et de son régime. S'il perd, le régime s'effondrera, mais pas nécessairement le chavisme comme mouvement, et, très probablement, l'ALBA sera affaiblie ou même disparaîtra. Par contre, s'il gagne, ce sera la quatrième victoire consécutive du chavisme à une élection présidentielle, lui permettant d'aboutir à vingt ans de gouvernance ininterrompue.

Résultat ouvert

Au vu des élections présidentielles précédentes, celle-ci apparaît comme la plus disputée des 14 dernières années. Pour la première fois, Chavez n'est pas le favori incontesté. En 1998, il surpassa de 16 points son rival, en 2000 son avantage fut de 22 points et en 2006 de 26. Pour cette élection, selon les sondages les plus sérieux, son avantage s'est réduit et, quoique Chavez demeure le favori, un triomphe de son rival Henrique Capriles n'est nullement impossible.

Le dernier sondage de Datanálisis, dont les résultats ont été diffusés le 25 septembre, donne à Chavez un avantage de 10 points sur Capriles (49,4% contre 39%), mais avec 11,6% d'indécis, qui se décantent en majorité (à raison de 83,6%) en faveur de Capriles.

Pour la première fois aussi, l'opposition s'est unie au sein d'une ample coalition, la Table de l'Unité démocratique (Mesa de la Unidad Democratica, MUD), avec un candidat unique. Henrique Capriles est jeune (40 ans), énergique et libre de liens à l'égard de la vieille particratie. Il se situe idéologiquement au centre-gauche (nommant comme référence le Brésilien Lula) et a assumé des mandats publics en tant que maire et gouverneur. Pendant sa campagne électorale, il a parcouru le pays tout entier dans une stratégie de porte-à-porte, débordant de vitalité, face à un Chavez diminué physiquement et en pleine convalescence d'un cancer.

Élection inédite

Cette élection présidentielle est particulière. Le Venezuela est l'unique pays d'Amérique latine (en exceptant le cas spécial de Cuba) où la réélection est autorisée indéfiniment. Cela signifie que Chavez, s'il gagne, étendra sa permanence au pouvoir jusqu'en 2019, pour un total de 20 ans, ce qui est atypique et inouï sur la scène latino-américaine où les hégémonies politiques personnalistes ont rarement excédé, en démocratie, 10 années consécutives.

La santé de Chavez a marqué le rythme de la campagne et quoiqu'il semble avoir vaincu le cancer après son traitement à Cuba, une rechute ne peut être écartée. S'il gagne le 7 octobre, mais que sa santé se complique à nouveau au cours des quatre premières années de son nouveau mandat, le plaçant dans une "absence absolue", le vice-président prendrait la relève et devrait convoquer de nouvelles élections dans les 30 jours, en application de l'article 233 de la Constitution bolivarienne. Si Chavez était relevé après quatre ans, le vice-président assumerait le pouvoir jusqu'à la fin du mandat de six ans en cours.

Mais ce n'est pas la seule situation pouvant affaiblir le régime chaviste dans un futur proche. Le 16 décembre prochain auront lieu les élections régionales désignant les gouverneurs, les élections municipales sont prévues pour avril 2013 et les législatives en 2015. En outre, à partir de 2016 pourrait être convoqué un référendum révocatoire (article 72 de la Constitution bolivarienne) et, comme nous le disions, de 2013 à 2017 une nouvelle élection présidentielle devrait être convoquée en cas d'"absence absolue" du président. C'est-à-dire qu'au cours des prochaines années, le Venezuela sera confronté à la possibilité d'aller aux urnes pratiquement tous les ans, testant la résistance du régime chaviste.

Scénarios possibles

Les résultats de l'élection présidentielle (surtout l'écart entre le vainqueur et le second) seront aussi importants que leur acceptation ou leur rejet par le régime chaviste et par l'opposition.

Les deux parties considèrent que le système électoral est fiable et permet aux acteurs politiques d'en surveiller et vérifier l'intégrité au cours de l'ensemble du processus électoral. Le risque de fraude massive indétectable est très faible, pour autant, c'est crucial, que la coalition d'opposition MUD place ses "témoins" dans tous les bureaux de vote.

Si la fraude est donc improbable, la déficience majeure de cette élection est le déséquilibre manifeste, au profit du régime en place, de la campagne électorale, menée dans des conditions inéquitables. Selon le récent rapport du Woodrow Wilson Center et d'IDEA International (élaboré par Genaro Arriagada y José Woldenberg), l'appareil de l'État s'est mis au service du candidat du régime, utilisant abusivement les ressources et les médias publics, imposant en particulier les "cadenas" ["chaînes"; le mot désigne les retransmissions obligatoires, par les médias audio-visuels publics et privés, d'actes et de discours officiels quasi monopolisés par Hugo Chavez - ndlr]. A cela s'ajoute l'utilisation clientéliste par le régime des "missions" [nom générique de divers programmes sociaux - ndlr]. Le financement des campagnes électorales est, quant à lui, particulièrement opaque, quoique la prédominance des dépenses du chavisme soit évidente et écrasante.

Une attention particulière doit être accordée au rôle des forces armées. Si son haut commandement est clairement chaviste, il est très douteux (ou du moins on le souhaiterait) que l'armée, en tant qu'institution, appuie une fraude ou ne reconnaisse pas un résultat électoral qui signifierait le triomphe de l'opposition.

Résultats probables et principaux défis

Sans même tenir compte de la réaction du perdant de l'élection présidentielle (qu'il en accepte les résultats ou crie à la fraude), celui qui assumera la présidence aura à affronter des défis majeurs.

Si Chavez gagne, il devra mettre en oeuvre des mesures économiques qu'on ne peut ajourner, compte tenu de la spirale inflationniste dans laquelle est plongé le pays. Sur le plan social, l'insécurité demeure un problème grave. Selon un rapport récent de l'ONU, le Venezuela est le cinquième pays au monde en nombre d'homicides et le huitième concernant les enlèvements.

Dans le domaine politique, Chavez s'efforcerait d'approfondir le modèle "socialiste bolivarien du XXIe siècle", mais cela dépendrait de l'évolution de sa santé. S'il ne se rétablissait pas complètement et subissait une rechute, le régime tenterait de le maintenir au pouvoir le plus longtemps possible (comme il le fit lorsqu'il gouvernait depuis La Havane) afin d'éviter d'avoir à convoquer de nouvelles élections, car il faudrait planifier une campagne en à peine 30 jours et, tâche beaucoup plus difficile, trouver un héritier politique.

Dans ce scénario d'un triomphe de Chavez, le défi pour Capriles serait de maintenir l'unité de l'opposition, très hétérogène et disparate, surtout si surgissaient au sein de la coalition des divergences à propos, par exemple, de la reconnaissance ou non du résultat de l'élection présidentielle. Le maintien éventuel de l'unité de la MUD et du leadership de Capriles dépendrait dans une large mesure de l'écart le séparant du vainqueur.

Si, par contre, l'opposition gagne, les trois principaux défis que devrait relever Capriles sont : 1º qu'on reconnaisse sa victoire; 2º franchir avec succès la période de transition qui va du 8 octobre au 10 janvier 2013 (date de l'investiture présidentielle); et 3º gouverner dans un contexte très complexe, en particulier durant les premières années. La forte concentration du pouvoir aux mains des partisans de Chavez poserait alors à l'opposition d'énormes difficultés pour garantir la gouvernabilité. Capriles serait confronté à un pouvoir législatif détenu par une majorité chaviste au moins jusqu'au renouvellement de l'Assemblée nationale. Suite aux résultats des prochaines élections régionales et municipales, Capriles devrait éventuellement travailler aussi avec un nombre important de gouverneurs et de maires chavistes. En plus, en matière de justice, il cohabiterait avec une Cour suprême contrôlée également par les partisans de Chavez, comme les autres pouvoirs de l'État.

Le Venezuela va vivre ainsi une élection présidentielle cruciale, un plébiscite au dénouement incertain, qui pourrait donner un nouveau souffle au régime de Chavez ou, au contraire, signifier la fin du chavisme en tant que régime de pouvoir. Le chavisme, toutefois, survivrait peut-être comme mouvement politique.


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