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Le président du Venezuela à la Mostra de Venise
"Au sud de la frontière": Stone, cinéaste officiel de Hugo Chavez

Mardi, 8 septembre 2009 (LatinReporters.com) - Plus de 20 ans après ses Oscars du meilleur réalisateur pour "Platoon" (1986) et "Né un 4 juillet" (1989), le cinéaste américain Oliver Stone affronte-t-il des fins de mois difficiles? Pour continuer à tourner, aurait-il besoin de pétrodollars puisés par le Vénézuélien Hugo Chavez dans le budget de son peuple? Peut-être pas, quoique son dernier film, "South of the Border" (Au sud de la frontière), présenté le 7 septembre à la Mostra de Venise en présence de son interprète vedette, le président Chavez en personne, mérite l'Oscar de la plus flagorneuse hagiographie.

"Très applaudi bien que plutôt hagiographique, voire superficiel, ce long métrage retrace les changements politiques des dix dernières années sur le continent latino-américain à partir de l'élection de Hugo Chavez, en 1998" explique l'Agence France Presse.

"En 75 minutes d'entretiens et d'images d'archives, pour la plupart des journaux TV de la chaîne Fox News qui "diabolise" à l'envi le dirigeant vénézuélien, il s'agit pour Oliver Stone de démontrer qu'Hugo Chavez n'est pas "l'ennemi public numéro un" qu'ont fait de lui les médias des Etats-Unis" ajoute l'AFP.

Mais Stone, 62 ans, surpasse en sens contraire le déséquilibre qu'il reproche aux détracteurs de Chavez. Il présente un Venezuela aussi idyllique que l'était en 1950 l'Union soviétique stalinienne aux yeux de l'intelligentsia occidentale de gauche.

L'Europe et le monde en général nécessitent "des dizaines de Hugo Chavez" a affirmé à Venise Oliver Stone, soulignant la série de succès électoraux du maître de Caracas. Mais aucun mot, aucune image sur l'usage de la démocratie pour mieux la réduire.

Oliver Stone méconnaît par exemple la publication sur Internet, par le député chaviste Luis Tascon, de la liste des plus de 2,5 millions de Vénézuéliens qui avaient sollicité et obtenu la convocation, en août 2004 contre Chavez, d'un référendum révocatoire finalement remporté par le leader bolivarien. La possibilité de révoquer par référendum les mandataires publics a souvent été présentée comme la perle démocratique de la Constitution bolivarienne. Mais les 2,5 millions de Vénézuéliens qui y avaient recouru en 2004, avec nom, adresse et signature obligatoires, sont depuis fichés dans les ordinateurs du pouvoir comme  adversaires de Chavez, ce qui rend vaine leur éventuelle aspiration à occuper un emploi public.

Méconnaissance aussi de la mésaventure de l'opposant Antonio Ledezma. Aux élections municipales de novembre 2008, il remportait avec plus de 800.000 voix la mairie majeure de Caracas. Hugo Chavez nommait aussitôt à la tête de la ville une super-fonctionnaire, lui confiant les principales attributions du maire de la capitale. Dépouillé de son pouvoir légitime, Antonio Ledezma, qui n'a même pas pu prendre possession de son bureau officiel, croit que Chavez triture le Venezuela par "un coup d'Etat à petit feu".

Le Parlement européen dénonçait pour sa part en mai dernier la "dérive autoritaire inquiétante" du président vénézuélien. Les abus de son régime sont également dénoncés dans le dernier Rapport annuel (2008) de la Commission interaméricaine des droits de l'homme.

A propos de l'accusation d'étouffement progressif des médias indépendants lancée contre Hugo Chavez, Oliver Stone la range dans le tiroir aux "mensonges". C'est donc dans la meilleure des bonnes consciences démocratiques que les organisateurs de la Mostra de Venise ont ouvert leurs portes pour la première fois à un chef d'Etat et au pamphlet dit documentaire qui le sacralise.

En déduirait-on que la "tentation totalitaire", redoutée voici plus de trente ans par le regretté Jean-François Revel, n'est pas éteinte en Europe? Mais il faudrait alors aussi se demander si une puissance dite démocratique, les Etats-Unis, qui continue de semer la mort sur la planète au nom de la démocratie, a jamais échappé durablement à cette tentation hors de ses frontières.

C'est ce qui permet à Stone, y mêlant les diktats du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, d'encenser impunément les nouveaux messies au pouvoir "Au Sud de la frontière". Dans le film, Chavez est secondé par ses amis ou alliés Evo Morales (Bolivie), Rafael Correa (Equateur), Raul Castro (Cuba), Cristina Fernandez de Kirchner (Argentine), Fernando Lugo (Paraguay) et Luiz Inacio Lula da Silva (Brésil).

Sauf Raul Castro, successeur de son frère Fidel à la présidence d'une île dont est banni le pluralisme depuis 50 ans, ils sont tous jusqu'à présent, quoiqu'à des degrés divers, plus présentables que Hugo Chavez sur le plan de la démocratie. On se battait néanmoins presque sur le tapis rouge de la Mostra de Venise pour s'arracher les autographes du Vénézuélien. Il est vrai que dans le rôle de bienfaiteur des peuples d'Amérique latine que lui fait interpréter Oliver Stone, Chavez révèle, pour métamorphoser la réalité, des dons d'acteur qui mériteraient à leur tour un Oscar.



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