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Inquiétudes avivées par le cancer de Chavez et la présidentielle de 2012
"Violence et politique au Venezuela" : diagnostic inquiétant du Crisis Group
 

BRUXELLES, vendredi 19 août 2011 (LatinReporters.com) - Dans son rapport "Violence et politique au Venezuela" diffusé le 17 août, l'International Crisis Group redoute l'éclatement d'une "violence meurtrière" pouvant provoquer "la perte de milliers de vies" et "menacer sérieusement la stabilité du pays et de la région".

Le Crisis Group estime que "la violence ou la menace d'y recourir sont devenues inhérentes au projet politique du président Hugo Chavez". Sa maladie, un cancer dont la nature n'a pas été révélée, et l'élection présidentielle de 2012 à laquelle Chavez a déjà annoncé sa candidature sont présentées dans le rapport comme deux facteurs supplémentaires d'inquiétude dans le climat politique vénézuélien.

L'intérêt de ce diagnostic préoccupant doit beaucoup à la nature même du Crisis Group, peu suspect d'antichavisme primaire. Née en 1995 et siégeant à Bruxelles, cette organisation non-gouvernementale indépendante et sans but lucratif travaille à la prévention et résolution des conflits armés, offrant ses recommandations aux gouvernements et aux organisations internationales.

Le Crisis Group est présidé par la Canadienne Louise Arbour, ex-Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme. Dans son conseil d'administration figurent notamment Kofi Annan, ancien secrétaire général des Nations unies; le socialiste Ricardo Lagos, ex-président du Chili; Joschka Fischer, qui fut ministre allemand des Affaires étrangères sous la bannière du parti Alliance 90 / Les Verts; Wim Kok, ancien Premier ministre travailliste des Pays-Bas, etc.

En une quarantaine de pages rédigées en anglais, le rapport du Crisis Group inclut parmi les facteurs de violence au Venezuela la présence de guérillas colombiennes, l'existence de groupes armés non-gouvernementaux tolérés par le pouvoir, la politisation et la corruption de l'armée et de la police, parfois associées aux gangs du narcotrafic, le déclin de la justice et d'autres institutions dont le pouvoir présidentiel anéantit l'indépendance, ainsi que "la rhétorique incendiaire" de Hugo Chavez.

Le rapport rappelle que le général Henry Rangel Silva a été promu par Chavez au rang de général en chef après avoir affirmé, en novembre dernier, que ni l'armée ni le peuple n'accepteraient un gouvernement issu de l'opposition. Le Crisis Group cite aussi Adan Chavez, frère aîné et possible dauphin de Hugo. Il estimait en juin la lutte armée toujours aussi légitime que des élections. Le rapport était peut-être déjà bouclé lorsque Hugo Chavez lui-même disait nourrir encore, selon son interview diffusée le 7 août par la chaîne Televen, des "doutes" sur le choix des armes ou de la voie démocratique comme chemin idéal de la révolution.

Cette verve totalitaire enfle les inquiétudes associées à une éventuelle succession de Chavez, s'il succombait prématurément à son cancer, et à l'élection présidentielle de 2012, qui sera peut-être très disputée au vu de la majorité en voix (non en sièges) obtenue par l'ensemble des diverses oppositions aux législatives de septembre 2010.

LatinReporters traduit ci-dessous le "résumé exécutif" qui ouvre le rapport du Crisis Group :

VIOLENCE ET POLITIQUE AU VENEZUELA

RÉSUMÉ EXÉCUTIF

Chaque demi-heure, une personne est tuée au Venezuela. La présence du crime organisé associé à un nombre énorme d'armes à feu aux mains de civils et à l'impunité, ainsi que la corruption et la brutalité de la police, ont renforcé la violence dans la société. Même si l'apparition de tels problèmes est antérieure à l'arrivée au pouvoir du président Hugo Chavez, son gouvernement doit expliquer son ambiguïté à l'égard de divers groupes armés, son incapacité ou sa réticence à s'attaquer à la corruption et à la complicité criminelle dans des secteurs des forces de sécurité, sa politique d'armer des civils "en défense de la révolution" et - dernier point, mais non le moindre - la propre rhétorique incendiaire du président. Des mesures positives telles qu'un engagement constructif avec la Colombie et certaines réformes limitées en matière de sécurité ne compensent pas ces manquements. Quoique l'expectative entourant l'élection présidentielle de 2012 puisse différer l'explosion sociale, la détérioration de la santé du président a ajouté une incertitude considérable. En tout cas, le niveau de polarisation et de militarisation dans la société sapera probablement les chances tant d'une continuation non violente du régime actuel que d'une transition pacifique à une ère post-Chavez.

Une partie significative du problème a été héritée de gouvernements antérieurs. En 1999, le nouveau président Chavez se trouva face à un pays dont le taux d'homicides avait triplé en moins de deux décennies et dont beaucoup d'institutions étaient en voie d'effondrement, érodées par la corruption et l'impunité. Pendant la "Révolution bolivarienne", néanmoins, ces problèmes se sont aggravés substantiellement. Aujourd'hui, plus de dix personnes sont assassinées chaque jour dans les rues de Caracas - la plupart par des délinquants isolés, par des membres de gangs urbains ou même par des policiers - tandis que les taux d'enlèvements et de vols montent en flèche. En attribuant le problème aux "perceptions sociales d'insécurité" ou à des causes structurelles, comme le haut indice de pauvreté, héritées de gouvernements antérieurs, le gouvernement minimise l'ampleur et le potentiel destructif de la violence criminelle. Le déploiement massif, mais temporaire, de forces de sécurité lors d'opérations extrêmement visibles et même la réforme de la police et des programmes de désarmement auront peu d'impact s'ils ne font pas partie d'une stratégie intégrée pour réduire la criminalité, mettre fin à l'impunité et protéger les citoyens.

La présence au Venezuela de groupes du crime organisé international n'est pas nouvelle non plus, mais il y a des preuves d'un accroissement de leur activité durant la dernière décennie, ce qui a contribué non seulement à l'augmentation des taux d'homicides, d'enlèvements et d'extorsions, mais aussi à une croissance du petit trafic de drogue, rendant ainsi plus violents les quartiers urbains défavorisés. Le Venezuela est devenu un couloir important du narcotrafic et à divers groupes, y compris de guérillas colombiennes, de paramilitaires et leurs successeurs, se sont joints des gangs mafieux du Mexique et d'ailleurs pour bénéficier de l'ample corruption et de la complicité des forces de sécurité, avec, semble-t-il, une certaine acceptation de la part de personnes situées dans les plus hautes sphères gouvernementales.

Le gouvernement a affiché une ambiguïté particulière envers des groupes armés non étatiques qui sympathisent avec son projet politique. Les "collectifs urbains", combinant politique et activités criminelles, incluant des actions armées contre des cibles de l'opposition, opèrent dans une grande mesure sans restriction et jouissent d'une large impunité. Les Forces bolivariennes de libération contrôlent des zones frontalières de la Colombie, tandis que les guérillas [colombiennes] des FARC et de l'ELN ont trouvé pendant longtemps refuge et appui en territoire vénézuélien. Dans le contexte du rapprochement entre les présidents Chavez et Santos, le rapport coût-bénéfice de l'alliance tacite entre guérillas colombiennes et gouvernement vénézuélien semble avoir changé. Cependant, il est encore trop tôt pour savoir avec certitude si le gouvernement est disposé et capable de traduire des engagements positifs en action efficace et durable contre ces groupes.

La violence et la corruption ont été facilitées par un processus continu d'érosion institutionnelle devenue particulièrement manifeste dans le système judiciaire et au sein des forces de sécurité. Alors que croissent les niveaux d'impunité, une police fortement caractérisée par le dysfonctionnement et les abus a mis en danger la sécurité des citoyens. Lourdement politisées, les forces armées paraissent de plus en plus être une partie du problème, prises dans les rets du crime organisé et pressées par le président de s'engager dans la défense partisane de sa "révolution". Le fait de créer, d'armer et d'entraîner des milices pro-gouvernementales accroît davantage le danger que les différences politiques soient finalement résolues hors du cadre constitutionnel, par une violence meurtrière.

Dans cet environnement très lourd, la violence politique est demeurée jusqu'à présent plus une menace latente qu'une réalité. Cependant, à mesure que le pays se dirige vers ce qui promet être une élection présidentielle très disputée, avec des enjeux très importants pour les deux camps, cet équilibre fragile pourrait s'effondrer. De plus, les incertitudes provoquées par la maladie du président [Chavez] ont exacerbé les perspectives à court et moyen terme. Le plus grand danger viendra probablement après l'élection présidentielle, quelqu'en soit le vainqueur, car les niveaux persistants de violence tendent à miner la continuité pacifique du régime ou la remise du pouvoir à un successeur ou encore tout autre arrangement transitoire. En outre, quelle que soit l'orientation politique d'un futur gouvernement, l'ample présence de réseaux du crime organisé constituera probablement une grave menace pour la stabilité à moyen et à long terme. Les actions nécessaires pour éviter ce scénario doivent commencer par l'engagement de toutes les parties de respecter les voies constitutionnelles pacifiques de résolution des conflits et par des actions gouvernementales efficaces pour désarmer et démanteler les structures criminelles, restaurer l'Etat de droit et éradiquer la corruption des institutions publiques.

Bogota / Bruxelles, le 17 août 2011


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