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Chavez hôte du sommet des 33 pays d'Amérique latine et des Caraïbes
La Celac naît aussi au Venezuela: Amérique sans Etats-Unis ni Canada
 

CARACAS / MADRID, jeudi 1er décembre 2011 (LatinReporters.com) - Troisième volet, les 2 et 3 décembre à Caracas, de l'accouchement du bloc continental Amérique latine-Caraïbes, soit l'Amérique sans les Etats-Unis ni le Canada. Après le Brésil en décembre 2008 et le Mexique en février 2010, c'est au tour du Venezuela, avant le Chili en 2012, de proclamer la concrétisation d'un rêve dénommé provisoirement Celac (Communauté des Etats latino-américains et des Caraïbes).

En cette année du bicentenaire de la déclaration de l'indépendance du Venezuela, le président Hugo Chavez exulte. "Nous avons vécu à la périphérie du monde pendant des siècles. On nous a imposé ce que le Nord avait envie de nous imposer. Mais l'heure du Sud est venue, l'heure d'être nous-mêmes" clame le leader bolivarien, giflant ainsi les Etats-Unis. "Un nouvel organisme va naître, c'est un véritable fait historique. Combien d'années de lutte ! Ce n'est pas la victoire, c'est un premier pas" réfléchit-il à voix haute, revendiquant donc la naissance de la Celac en ses murs.

Remplacer l'OEA ou la vider de son sens ?

Près de 600 millions d'âmes seront représentées à Caracas par les 33 chefs d'Etat ou de gouvernement de tous les pays continentaux et insulaires, y compris donc Cuba, s'étendant du Rio Grande à la Terre de Feu. Parmi ces 33 pays, les 12 de l'Unasur (Union des nations sud-américaines) et les 18 de l'alliance pétrolière Petrocaribe, arme économico-politique du Venezuela pétrolier, tiendront leur propre sommet en marge de celui de la Celac.

Remise sur les fonds baptismaux au moment où se lézarde l'Union européenne, longtemps considérée comme modèle à suivre, l'unité de l'Amérique latine-Caraïbes devrait se forger à Caracas, puis l'an prochain à Santiago du Chili, autour de cinq axes dits stratégiques : politique, énergie, développement social, environnement et économie. Soutenue par la persistante plus-value des matières premières, l'insolente prospérité actuelle de l'Amérique latine au milieu de la crise globale favorisera peut-être les projets d'union.

Quoique le tiers au moins des pays de la Celac soit lié aux Etats-Unis par des accords de libre-échange, le rééquilibre des relations avec Washington et l'émergence d'une forte voix latino-américaine dans un monde globalisé sont, au-delà de l'idéologie, des ambitions partagées par les 33 pays concernés. Mexique, Colombie et Chili, principaux fleurons de la droite régionale, en font foi.

Le pôle de la gauche radicale formé par l'ALBA (Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique, unissant Venezuela, Cuba, Bolivie, Nicaragua, Equateur, la Dominique, Antigua-et-Barbuda et Saint-Vincent-et-les-Grenadines) a souvent estimé que la Celac remplacera ou pour le moins videra de sens l'Organisation des Etats américains (OEA), longtemps dominée et encore très influencée par Washington.

L'épine des droits de l'homme

Dans cette optique, le président socialiste équatorien Rafael Correa propose, avec l'aval de Hugo Chavez, que la Celac soit habilitée, en lieu et place de l'OEA, à résoudre les conflits touchant ses membres, notamment en matière de droits humains. Or, le harcèlement en Equateur de médias critiques du pouvoir inquiète actuellement la Commission interaméricaine des droits de l'homme de l'OEA, qui épingle en outre depuis longtemps deux autres pays de l'ALBA, le Venezuela et Cuba. L'ALBA ayant de surcroît soutenu feu Mouammar Kadhafi contre les insurgés libyens et appuyant aujourd'hui le président syrien Bachar al-Assad dans une répression qui a fait, selon les Nations unies, "au moins 4.000 morts" en huit mois (soit davantage qu'en 17 ans de dictature du général Pinochet au Chili), le souci manifesté par Rafael Correa sur les droits humains laisse perplexes nombre d'observateurs, y compris certains peu indulgents à l'égard des conséquences parfois dramatiques de la politique extérieure musclée de Washington.

Le sommet de la Celac permettra peut-être à Hugo Chavez de recomposer son image internationale ternie par son soutien, critiqué même par l'extrême gauche européenne, aux régimes dictatoriaux responsables du massacre d'opposants en Libye et en Syrie. Sur le plan intérieur, le leader bolivarien tentera de mettre à profit ce rendez-vous politique et diplomatique majeur pour contredire ceux qui croient que son cancer l'empêchera de briguer sa réélection à la présidentielle du 7 octobre 2012. Sa maladie avait provoqué le report du sommet, prévu initialement pour les 5 et 6 juillet derniers.

A noter que les idéaux proclamés de justice, de liberté et d'indépendance soutenant la Celac cadrent mal avec les 18 mois d'autocratie présidentielle pour gouverner par décrets que M. Chavez s'est fait octroyer jusqu'en juin 2012 par sa majorité parlementaire sortante après les dernières élections législatives et avant l'installation de l'Assemblée nationale résultant de ces élections qui ont renforcé l'opposition.

Le Brésil, principal inspirateur et bénéficiaire de l'unité latino-américaine

Qu'il s'active aujourd'hui au Venezuela et l'an prochain au Chili, le chantier d'une Amérique sans les Etats-Unis ni le Canada a pour principal inspirateur et bénéficiaire le Brésil. Dans ce pays, l'alors président Luiz Inacio Lula da Silva réunissait pour la première fois en décembre 2008, à Costa do Sauipe, près de Salvador de Bahia, un sommet des 33 pays de l'actuelle Celac passé relativement inaperçu en Europe. Lors de la conférence de presse finale, Lula et son homologue mexicain, le conservateur Felipe Calderon, annonçaient la décision de créer ce qui pourrait s'appeler un jour l'Union de l'Amérique latine et des Caraïbes, le nom définitif n'étant pas encore arrêté. La Déclaration de Salvador de Bahia exprimait au nom de ses 33 signataires "la conviction que l'intégration politique, économique, sociale et culturelle de l'Amérique latine et des Caraïbes est une aspiration historique de leurs peuples et constitue un facteur nécessaire au progrès du développement soutenable et au bien-être social dans toute la région".

Lula passait ensuite le relais au Mexique, sous couvert de sa présidence tournante du Groupe de Rio désormais englobé par la Celac. Et à l'issue d'un second sommet plus médiatisé que le premier, en février 2010 sur la Riviera Maya mexicaine, près de Cancun, le président Felipe Calderon annonçait que les 33 pays "ont décidé de constituer la Communauté des Etats latino-américains et des Caraïbes [donc la Celac] en tant qu'espace régional propre unissant tous les Etats" concernés. Les signataires de la Déclaration de Cancun s'affirmaient "décidés à construire un espace commun pour approfondir l'intégration politique, économique, sociale et culturelle de notre région (...) dans un cadre d'unité, de démocratie, de respect sans restriction des droits de l'homme...".

Comme celle de Salvador de Bahia, la Déclaration de Cancun reflétait plus une promesse qu'une réalité. Elle ne mentionnait même pas la Celac, pourtant annoncée par le président mexicain. En fait, les 33 pays de l'Amérique latine et des Caraïbes avaient décidé une seconde fois de s'unir, mais toujours sans concrétiser. Cela donne au Venezuela le droit moral d'affirmer que la Celac va enfin naître à Caracas. Mieux vaudra étudier les textes officiels approuvés au sommet pour y croire, quoiqu'exister au niveau élémentaire de la concertation politique, sans structures définies ni personnalité juridique, soit déjà une étape positive pratiquement franchie.

Pour le Brésil, la Celac qu'il a impulsée est le troisième étage de sa montée en puissance. Le premier, Mercosur, Marché commun du Sud créé en 1991 avec l'Argentine, le Paraguay et l'Uruguay, consacrait le Brésil comme puissance sous-régionale. Le second, l'Union des nations sud-américaines (Unasur), dont le traité constitutif fut signé en mai 2008 à Brasilia, élevait le géant sud-américain au rang de puissance régionale. Et le troisième étage, sur une orbite ébauchée aux sommets de Salvador de Bahia et de Cancun, orbite qu'on tentera de mieux dessiner à Caracas, devrait consacrer le statut d'acteur global d'un Brésil qui revendique un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies.

Septième puissance mondiale avec en 2010 un PIB de 2.090 milliards de dollars (sept fois celui du Venezuela), membre du G-20 et du groupe des puissances émergentes dénommées BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), grand comme quinze fois la France et fort d'un marché intérieur de 190 millions d'habitants, le Brésil a réussi le tour de force de s'ériger en leader incontournable de l'Amérique latine sans confrontation avec les Etats-Unis. D'autant que la perte progressive de son hégémonie au sud du Rio Grande pousse Washington à miser sur le rôle modérateur et stabilisateur du géant brésilien face aux poussées de la gauche radicale.


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