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Deux militaires libérés unilatéralement par la guérilla
Colombie: trafic d'otages des FARC pour influencer l'élection présidentielle

BOGOTA, jeudi 1er avril 2010 (LatinReporters.com) - Deux militaires colombiens otages des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie) ont été libérés fin mars par cette guérilla marxiste soutenue par le président vénézuélien Hugo Chavez. Relevant d'un habituel trafic politique d'otages, cette double libération vise à influencer l'élection présidentielle du 30 mai prochain en Colombie.

L'impact émotionnel de la libération du sergent Pablo Emilio Moncayo était assuré. A 32 ans, il a passé plus du tiers de sa vie, 12 ans et 3 mois, comme otage de la guérilla. Son père, le professeur Gustavo Moncayo, est aussi connu que lui pour avoir parcouru, couvert de chaînes symboliques, des milliers de kilomètres à pied afin que son fils ne soit pas oublié.

Comme d'autres libérations unilatérales, celle du sergent Moncayo et du soldat Josué Daniel Calvo était accompagnée, dans un communiqué des FARC, d'une demande de rançon politique. Il s'agit, comme d'ordinaire, d'un chantage, la guérilla exigeant la négociation avec le gouvernement colombien d'un "échange immédiat de prisonniers de guerre", présenté comme "l'unique forme viable" de libération de séquestrés encore aux mains des insurgés.

En clair, le reste des otages dits politiques des FARC, 21 militaires et policiers, dont trois ont également passé le cap des douze ans de captivité, ne seraient libérables que contre des centaines de guérilleros emprisonnés en Colombie et plusieurs chefs rebelles incarcérés aux Etats-Unis pour trafic de stupéfiants et implication dans la prise d'otages américains.

Négocier avec Bogota serait en soi une victoire de la guérilla

Pour forcer l'ouverture d'une négociation, les FARC en appellent à la collaboration de "tous les pays intéressés à une solution du conflit social et armé colombien". C'est moins la libération de prisonniers que l'internationalisation du conflit et l'obtention d'un statut de force belligérante, avec ses attributs politiques et diplomatiques reconnus par les traités internationaux, que les dirigeants des FARC espèrent retirer de la négociation qu'ils réclament. Négocier serait en soi une victoire politique libérant la guérilla de l'encombrante étiquette d'organisation terroriste et favorisant en outre, vu la dépendance des FARC à l'égard du Venezuela, les ambitions expansionnistes d'Hugo Chavez et de son "socialisme du 21e siècle".

Dans ce contexte, il est pertinent de rappeler que la justice espagnole accuse depuis le 1er mars dernier le gouvernement du Venezuela d'avoir appuyé une alliance terroriste entre FARC et séparatistes basques de l'ETA. Le juge espagnol Eloy Velasco a ordonné recherche et capture de treize terroristes, six de l'ETA et sept des FARC, inculpés d'expérimentation en commun d'armes et d'explosifs dans des camps de la guérilla en Colombie et au Venezuela, ainsi que de la préparation d'assassinats de personnalités colombiennes, dont l'actuel président Alvaro Uribe, "en Espagne ou dans un autre pays de l'UE" (Union européenne).

Il n'empêche que la libération unilatérale des deux militaires colombiens a placé au centre de la campagne pour l'élection présidentielle le débat sur "l'échange humanitaire" de prisonniers et, au-delà, sur les espoirs d'une négociation plus générale visant à instaurer la paix en Colombie après presqu'un demi-siècle de conflit intérieur.

Le président colombien, le conservateur Alvaro Uribe, vient de répéter, comme il le dit depuis des années, qu'un échange de prisonniers devrait être conditionné à la certitude que les guérilleros libérés ne retourneraient pas grossir les rangs des FARC. Le chef de l'Etat a ajouté que "nous ne pouvons pas penser à des accords de paix tant que n'auront pas cessé les activités criminelles [des FARC]". Quant à la libération de chefs de la guérilla emprisonnés aux Etats-Unis, le gouvernement de Bogota a réitéré qu'il n'a aucun pouvoir sur la justice américaine.

Le président Uribe n'a pas dû, cette fois, rejeter une désormais inexistante prétention des FARC à n'ouvrir une négociation que dans une zone démilitarisée, que Bogota laisserait au seul contrôle de la guérilla. Depuis la libération spectaculaire par l'armée colombienne, le 2 juillet 2008, de 15 des otages les plus précieux de la guérilla, dont surtout Ingrid Betancourt et trois Américains, les insurgés ont perçu que l'exigence d'une zone démilitarisée ne pourrait plus que faire sourire.

Après deux mandats, soit huit ans, de sa politique de "sécurité démocratique", qui a réduit considérablement l'influence et la combativité tant des FARC que de leurs adversaires paramilitaires, Alvaro Uribe ne pourra pas briguer un 3e mandat présidentiel le 30 mai. Illustrant une indépendance rare en Amérique latine, la Cour constitutionnelle colombienne interdisait le 26 février, pour vices de forme et de fond, le référendum qui aurait ouvert la porte à une nouvelle réélection de l'actuel président. L'acceptation immédiate de la sentence par Alvaro Uribe, pourtant en tête de tous les sondages de popularité, refléta une humilité démocratique le distinguant des autocrates qui ont soumis la justice dans divers pays de la région.

Santos et Sanin favoris de la présidentielle, n'en déplaise aux FARC

L'incertitude politique et psychologique créée par la perspective du prochain départ d'Alvaro Uribe favorisera-t-elle la nouvelle manoeuvre des FARC? Pour satisfaire une improbable vanité de sortie en odeur de sainteté, le chef de l'Etat va-t-il soudain se départir de sa fermeté légendaire contre le terrorisme et négocier sans conditions avec lui? Le président Uribe dira-t-il qu'une autre voie pourrait assurer, face aux FARC et aux paramilitaires, la paix relative et la liberté de voyager dans le pays dont les Colombiens jouissent enfin? La promesse d'une négociation avec la guérilla serait-elle, comme celle-ci l'espère, un message rentable pour des candidats à l'élection présidentielle? Tant les résultats des législatives du 14 mars que les sondages pour la présidentielle incitent à répondre non à ces questions.

Les deux principaux alliés au sein de la coalition gouvernementale sortante, le Parti de l'U (U pour Unité) créé autour d'Alvaro Uribe et l'historique Parti conservateur, tous deux dépositaires de la politique uribiste de "sécurité démocratique", viennent en effet d'être consacrés comme les deux principales formations politiques colombiennes aux élections législatives. Et pour la présidentielle du 30 mai, le candidat du Parti de l'U, l'ex-ministre de la Défense Juan Manuel Santos, et la candidate du Parti conservateur, l'ex-ministre des Affaires étrangères Noemi Sanin, sont largement en tête des derniers sondages avec, respectivement, de 34 à 36% et de 17 à 23% des intentions de vote. Leur score triple ou double celui du plus proche des cinq autres candidats à la présidence, quasi tous moins inflexibles à l'égard des FARC.

Sauf surprise, la Colombie serait donc présidée à partir du 7 août, date de l'investiture présidentielle, par Juan Manuel Santos ou Noemi Sanin. Ni l'un ni l'autre n'ont jusqu'à présent donné suite à la requête des FARC sur la négociation d'un échange de prisonniers. Les deux candidats favoris sont sur la même longueur d'onde que les Nations unies, l'Organisation des Etats américains, les Etats-Unis, la France, l'Espagne et nombre d'autres gouvernements et organisations humanitaires qui prient les FARC de libérer unilatéralement tous leurs otages.

Réclamant de la guérilla cette libération totale "de manière immédiate et sans conditions", le bureau des Nations unies en Colombie rappelle que "la privation de liberté systématique et prolongée de militaires et de civils et les traitements inhumains ou dégradants auxquels ils sont soumis constituent un crime de guerre et pourraient constituer aussi un crime contre l'humanité, selon le droit humanitaire international".


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