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Misère, populisme et rôle des Etats-Unis en Amérique latine
Pérou - "Peur d'Ollanta Humala?... La misère est pire" nous dit Hernando de Soto

Hernando de Soto, le Péruvien le plus écouté de la planète
© Photo Norma Domínguez
Ollanta Humala - Photo PNP
par Norma Domínguez

PORTO ALEGRE, avril 2006 (LatinReporters.com) - Faut-il avoir peur du renouveau populiste en Amérique latine et notamment d'une victoire de l'ex-militaire putschiste Ollanta Humala au prochain second tour de l'élection présidentielle au Pérou? Cette évolution politique "devait se produire" et il faut craindre plus la misère que les candidats aux élections estime l'économiste universel Hernando de Soto.


Nous l'avons interviewé lors du Forum Libéral réuni la première semaine d'avril à Porto Alegre (Brésil). Deux livres, "Le mystère du capital" (2000) et "L'autre sentier" (1986), ont fait d'Hernando de Soto le Péruvien le plus écouté de la planète. L'Institut Liberté et Démocratie (ILD, Lima) qu'il a fondé et qu'il préside est considéré par l'Economist comme l'un des deux plus importants centres mondiaux d'étude des politiques publiques.

Chefs d'Etat et leaders de l'opposition des Amériques, d'Europe, d'Asie et d'Afrique, tant de droite que de gauche, consultent cet économiste péruvien. Il lie le sous-développement au caractère informel, sans les garanties juridiques nécessaires au crédit et à l'expansion, d'une large part de l'économie des pays souffrant de la misère.

Parmi ceux qui "nous ont appelé" (pour consultation), Hernando de Soto cite notamment le président Hugo Chavez du Venezuela et "Ollanta, Lourdes et Alan". (Le nationaliste Ollanta Humala, le social-démocrate Alan Garcia et la conservatrice Lourdes Flores sont, dans l'ordre, les trois candidats arrivés en tête, le 9 avril, du premier tour de la présidentielle péruvienne).

En tant que Péruvien et en tant qu'économiste international, Hernando de Soto redoute-t-il Ollanta Humala? "Je ne sais pas. Je vais attendre... Je fais une distinction entre la campagne électorale et la réalité" nous répond le président de l'ILD.

Il rappelle que le président sortant, Alejandro Toledo, métis comme Ollanta Humala, "était arrivé en parlant d'un problème ethnique, comme le fait en quelque sorte Humala, mais il se révéla plus blanc que n'importe lequel d'entre nous. Il y a des points préoccupants, comme les déclarations de membres de la famille d'Humala [NDLR; demandant notamment, sans être approuvés par Ollanta, que soient fusillés les parlementaires corrompus], mais des déclarations et actions de parents de Toledo furent aussi préoccupantes".

"Je suis davantage préoccupé, poursuit Hernando de Soto, par le fait que nous avons eu tant d'années de croissance au Pérou, au-delà de 5 ou 6% par an, et que cela n'ait pas été une opportunité pour les plus pauvres. Il est évident qu'ils sont mécontents. Quatre-vingt pour cent des jeunes Péruviens disent qu'ils émigreraient s'ils le pouvaient. C'est cela la véritable situation préoccupante, qu'existent ou non les candidats actuels [à l'élection présidentielle]... Lorsque les gens disent qu'ils ont un problème de pauvreté que le statu quo ne résout pas et qu'ils sont prêts à voter pour quiconque changera radicalement le présent, là réside le phénomène."

Selon l'économiste péruvien, "si la majorité des jeunes veulent émigrer, si nous ne pouvons pas agir dans un monde global, si nous n'avons pas d'identité, si nous ne pouvons pas transférer des biens ou des fonds, si nous n'avons pas la capacité de nous organiser et si les citoyens sont disposés à un changement radical, alors tout mouvement vers le changement est bienvenu, quelle que soit sa forme... Je préfère le voir dans le cadre d'une discussion appelée démocratique plutôt qu'avec quelqu'un qui brandirait des fusils dans la montagne".

"Il est préoccupant, insiste Hernando de Soto, que dans mon pays 70% de la population continue à souffrir de la misère. Et si quelques soubresauts sont nécessaires pour aboutir à une solution rapide, je le préfère. Ce qui se passe aujourd'hui devait se produire. C'est comme les digues de La Nouvelle Orléans [NDLR; qui cédèrent en août 2005 au passage de l'ouragan Katrina]".

Hernando de Soto croit toutefois que "les régimes de Chavez (Venezuela), d'Evo Morales (Bolivie) et, le cas échéant, d'Humala au Pérou ne sont pas soutenables dans le temps. Ils sont eux aussi confrontés au fait qu'une majorité de la population demeure hors du système. La charité est l'essentiel du système d'Hugo Chavez, une charité basée sur les pétrodollars. Le prix du pétrole lui permet de ne pas mettre le système à l'épreuve. Cela ne peut pas durer toujours. Tant la droite que la gauche sont confrontées au problème de l'exclusion. J'espère que cette notion d'exclusion sera traitée à un niveau de plus en plus élevé et que nous trouverons des mécanismes de marché qui ne soient pas seulement de redistribution".

Quoiqu'il en soit, Hernando de Soto "préfère les régimes qui surgissent actuellement en Amérique latine à ceux d'Afrique, par exemple, ou de certaines régions de l'ex-Union soviétique. A mon avis, nous ne sommes pas si mal en Amérique latine."

Quant à une diminution, supposée par de nombreux observateurs, de l'intérêt des Etats-Unis pour cette Amérique latine où progresse la gauche, le président de l'ILD estime qu'il n'est pas "mauvais de ne pas être une priorité pour les Etats-Unis. Je crois que nous résoudrons nous-mêmes une grande partie de nos problèmes. Généralement, nous n'aimons pas que les Etats-Unis s'occupent trop de nous. Je ne suis pas sûr qu'ils aient les connaissances adéquates -et je crois qu'ils acceptent ce point de vue- pour résoudre les problèmes de l'Amérique latine".




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