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30 ans après la mort de Salvador Allende

Chili de Pinochet et Etats-Unis de George Bush: la leçon de deux 11 septembre tragiques

par Christian Galloy

Hortensia Bussi (à droite), veuve de Salvador Allende, et sa fille Isabel Allende (centre), députée socialiste et présidente de la Chambre, accueillies au palais présidentiel de La Moneda par le président socialiste Ricardo Lagos lors d'une cérémonie marquant le 30e anniversaire du 11 septembre 1973. En superposition, à gauche, Salvador Allende.
Photos Presidencia de la República
MADRID, mercredi 10 septembre 2003 (LatinReporters.com)

Santiago du Chili, 11 septembre 1973, 11h52: des Hawker Hunter de l'armée de l'air bombardent le Palais de La Moneda où s'est retranché quatre heures plus tôt le président Salvador Allende. Le coup d'Etat ne peut plus être arrêté. La dictature du général Pinochet aura pour prix quelque 3.000 morts ou disparus, 40.000 torturés et 200.000 exilés.

New York, 11 septembre 2001, 10h28: la tour nord du World Trade Center s'effondre à son tour, anéantie comme sa jumelle par l'impact d'un avion de ligne détourné par des kamikazes islamistes. Dans les décombres, également près de 3.000 morts ou disparus.

Des similitudes plus profondes entourant ces deux 11 septembre tragiques incitent à tenter d'en tirer la leçon.

"Salvador s'est trompé en entreprenant des changements aussi grands avec une base électorale très petite. Et, en outre, la gauche, malgré une victoire électorale minime, s'est fractionnée davantage encore. J'estime que ce fut l'erreur majeure de Salvador..." déplore, à 89 ans, Hortensia Bussi. Elle est l.a veuve de Salvador Allende. Son mari, président socialiste du Chili, s'est suicidé le 11 septembre 1973 plutôt que de se rendre aux putschistes d'Augusto Pinochet.

Le regret peu banal, confié au journal madrilène El Pais, de la femme du mythique président -elle dit presque "Si Salvador avait été réaliste..."- conduit à rappeler des résultats électoraux oubliés par la plupart des médias en ce trentième anniversaire du drame chilien.

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Appuyé par l'Unité populaire -une coalition de socialistes, de communistes et de radicaux- Salvador Allende fut élu à la présidence du Chili le 4 septembre 1970 avec 36,3% des suffrages, contre 34,9% à Jorge Alessandri (Parti national, droite) et 27,8% à Radomiro Tomic (Démocratie chrétienne). L'élection présidentielle se jouait à tour unique, le candidat ayant le plus de voix emportant la présidence, moyennant confirmation du Congrès en cas d'absence de majorité absolue. Le report, au Congrès, des voix des législateurs démocrates-chrétiens assura la victoire de Salvador Allende.

Une présidentielle à deux tours -comme aujourd'hui en France, en Argentine ou désormais aussi au Chili- aurait peut-être barré la route à Salvador Allende. L'extrême gauche qui cohabitait avec la gauche au sein de l'Unité populaire aurait en effet pu favoriser un rapprochement, au second tour, entre le Parti national et une proportion non négligeable d'électeurs démocrates-chrétiens.

Président légalement et légitimement élu selon la loi électorale de l'époque, Salvador Allende n'avait donc recueilli qu'un peu plus du tiers des voix, soit la "base électorale très petite" dont parle sa veuve. Il entreprit néanmoins "des changements aussi grands" que la nationalisation des mines de cuivre, de nitrate et de fer, puis des banques et d'entreprises diverses. Dans le secteur agricole, il liquida le système latifundiaire, lui substituant des "centres de réforme agraire". Poussant à la radicalisation des réformes de l'Unité populaire, les activistes castristes du MIR (Movimiento de la Izquierda Revolucionaria, Mouvement de la gauche révolutionnaire) firent craindre "le danger marxiste" à l'ensemble de la classe moyenne.

L'opposition politique (aux législatives de mars 1973, elle totalisa, toutes tendances confondues, 54,7% des suffrages) se tourna alors vers l'armée, qui ne se fit pas prier, d'autant plus qu'elle avait l'appui des multinationales et, surtout, du président américain Richard Nixon. (Les papiers déclassés de la CIA témoignent du sabotage économique et politique organisé par Washington contre Salvador Allende).

"Au nom de l'anticommunisme, les Etats-Unis ont commis de nombreuses erreurs en appuyant des dictatures et pas seulement celle de Pinochet" reconnaît Ambler Moss, ex-ambassadeur américain au Panama et directeur du Centre nord-sud d'études latino-américaines de l'Université de Miami. "Mais, poursuit-il, tout a changé depuis la chute du mur (de Berlin). Paradoxalement, le grand symbole de ce changement fut le 11 septembre 2001. Ce jour-là, (le secrétaire d'Etat) Colin Powell signait la Charte démocratique de l'Organisation des Etats américains...".

"Pourquoi tant de Chiliens ont-ils feint d'ignorer les massacres?"

Malgré le "changement" évoqué par Ambler Moss, le putsch avorté d'avril 2002 contre le président Hugo Chavez du Venezuela -élu avec près de 60% des suffrages, mais prédicateur d'une "révolution bolivarienne" à fort accent castriste- souligne les risques qui entourent encore en Amérique latine de brusques virages politiques à gauche.

La prudence actuelle du président socialiste chilien Ricardo Lagos et la modération de son confrère brésilien Luiz Inacio Lula da Silva, passé du marxisme à la social-démocratie, participent d'un réalisme découlant certes de contraintes économiques, mais aussi de la tragique expérience chilienne. Malade et retiré de la vie politique, Pinochet hante toujours, comme Salvador Allende, la mémoire collective latino-américaine.

Si Salvador Allende avait trop présumé de sa force politique, les Etats-Unis, eux, avaient présumé davantage encore de leur puissance globale, sans trop se soucier, avant 2001, de l'ampleur de l'antiaméricanisme soulevé dans le monde par leur influence écrasante.

Le 11 septembre 2001, des intégristes islamistes blessaient grièvement l'Amérique. Le 11 septembre 1973, le Chili, lui, était passé sous le joug d'intégristes anticommunistes.

Dans le pays andin, la peur d'un présumé chaos marxiste conduisit aux pires atrocités. Les militaires ne furent pas les seuls coupables. "Pourquoi tant de Chiliens ... ont-ils feint d'ignorer les tortures, massacres et disparitions?" s'interroge l'écrivain chilien Ariel Dorfman. "De nombreux êtres humains décents et normaux, poursuit-il dans une tribune libre du quotidien El Pais, ont permis sur ma terre que leur liberté et celle de leurs compatriotes persécutés soient anéanties au nom de la sécurité, au nom de la lutte contre la terreur".

Cette érosion de la liberté, acceptée comme irrémédiable par tant de Chiliens, risque-t-elle de resurgir en Amérique latine, voire aux Etats-Unis ou en Europe?

"Il n'est pas encourageant de contempler ce qui s'est passé au cours des deux années qui ont suivi les attaques désastreuses contre New York et Washington" estime Ariel Dorfman. Selon l'écrivain chilien, "au nom sacré de la sécurité et dans le cadre d'une guerre contre le terrorisme sans cesse monopolisée et mise à profit par le gouvernement Bush, de nombreuses franchises dont jouissaient les citoyens américains -sans parler de ceux qui n'ont pas la citoyenneté- ont été restreintes. Hors des Etats-Unis, la situation est encore pire, vu que cette bataille sempiternelle contre les fanatiques fondamentalistes a servi d'excuse à la limitation des droits dans de nombreuses sociétés du monde, démocratiques ou autoritaires".

Et de conclure: "Notre souffrance aura été vaine si aujourd'hui, dans d'autres régions du monde, on n'apprécie pas la profonde signification de la catastrophe que commença à vivre le peuple chilien il y a 30 ans".

Dit d'une autre façon, mutiler à cause du 11 septembre 2001 la démocratie en prétendant, comme le fit Pinochet, la défendre de ses ennemis serait ignorer la leçon du 11 septembre 1973.

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