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Le sous-commandant Marcos transfère les pouvoirs de l'EZLN à des "Conseils de bonne gouvernance"

Mexique: les zapatistes proclament "l'autonomie" de 30 communes du Chiapas

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MEXICO, dimanche 10 août 2003 (LatinReporters.com) - Saut décisif vers l'autonomie indigène ou enfermement dans une nouvelle sorte de réserve indienne? La réponse risque de rester floue quelque temps. Elle sera positive si les zapatistes conservent avec le reste du Mexique, fût-il néolibéral, des relations fluides et plus pragmatiques qu'idéologiques. Sinon un isolement carcéral assécherait peut-être une expérience qui fait rêver les altermondialistes. Quoiqu'il en soit, les sciences humaines et politiques s'intéresseront à la proclamation, vendredi et samedi par les zapatistes du sous-commandant Marcos, de "l'autonomie" d'une trentaine de communes de la province du Chiapas.

Ce défi pacifique à l'Etat mexicain marque le retour sur la scène médiatique internationale, après une éclipse de deux ans, de Marcos et de son Armée zapatiste de libération nationale (EZLN).

A Oventic, village du Chiapas à 1000 km au sud-est de Mexico, les chefs de l'EZLN ont annoncé devant plusieurs milliers de sympathisants mexicains et étrangers la création de cinq "Conseils de bonne gouvernance" (Juntas de Buen Gobierno). Ces conseils devraient administrer et coordonner plus de 30 communes déclarées désormais "autonomes". La guérilla les contrôle de fait depuis le retrait partiel de l'armée consenti en 2001 par le président mexicain Vicente Fox.

Le visage caché sous un traditionnel passe-montagne, plusieurs dirigeants de la guérilla zapatiste, tel le commandant Moisés, ont expliqué à la foule enthousiaste qu'ils lançaient ainsi "une nouvelle forme de lutte et de résistance" pour obtenir "le droit des peuples indigènes à se gouverner dans la liberté et l'autonomie".

Le tiers des quatre millions d'habitants de la province déshéritée du Chiapas sont des Indiens descendants des Mayas. Au niveau national, on compte dix pour cent d'Indiens parmi les cent millions de Mexicains. Cette proportion relativement faible, ainsi que la dispersion géographique et ethnique de cette minorité contribuent à sa marginalisation.

Comme pour faire taire des secteurs politiques qui assimilent la réorganisation zapatiste à un plan indépendantiste, l'hymne national mexicain a retenti au moins deux fois ce week-end à Oventic.

Le mouvement rebelle lança même un message à l'ensemble de la société mexicaine pour défendre la souveraineté nationale en s'opposant "de front et radicalement aux privatisations imminentes de l'énergie électrique, du pétrole et d'autres ressources naturelles".

Dans le même ordre d'idées, saluant le rassemblement altermondialiste du Larzac (France), les zapatistes promirent de participer, en septembre à Cancun (Mexique), à la contestation contre le sommet de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Au même moment, samedi à Mexico, à l'occasion de la Journée internationale des peuples indigènes, des fonctionnaires des Nations unies et du gouvernement mexicain appelaient la communauté mondiale à rédiger cette année une Déclaration des droits humains collectifs des peuples indigènes. "L'autonomie des peuples indigènes est un droit collectif que les Etats nationaux ont l'obligation de respecter" déclarait le rapporteur spécial de l'ONU Rodolfo Stavenhagen.

Celui que la foule attendait à Oventic, le sous-commandant Marcos, leader charismatique de la guérilla zapatiste et icône de l'antiglobalisation, ne réapparut que par la voix. Selon ses compagnons, une "douleur au ventre" l'immobilisait. C'est donc dans un message enregistré et diffusé par les haut-parleurs que la foule entendit Marcos annoncer le transfert des pouvoirs de l'EZLN aux Conseils de bonne gouvernance.

"Les armées doivent servir à se défendre, mais non à gouverner" expliqua Marcos. Selon lui, "à partir de maintenant, les détachements (de la guérilla zapatiste) ne seront déployés qu'en cas d'alerte rouge, pour protéger nos communautés des agressions du mauvais gouvernement (celui du président Fox), des paramilitaires et de tous ceux qui veulent nous faire du mal".

En attendant, "l'EZLN se retirera de sa zone d'influence et cessera de réclamer un impôt aux automobilistes qui circulent sur ses territoires" a poursuivi Marcos. (L'existence de cet impôt révolutionnaire avait parfois été niée par les zapatistes).

Marcos critiqua vivement, d'autre part, les chefs d'Etat qui firent ou appuyèrent la guerre en Irak, l'américain George W. Bush, le britannique Tony Blair, l'italien Silvio Berlusconi et l'espagnol José Maria Aznar.

Les trois phases de l'offensive zapatiste

Le 1er janvier 1994, au Chiapas, l'EZLN se révélait au monde par un soulèvement armé dont le bilan fut de 300 morts et 10.000 déplacés.

Sept ans plus tard, en mars 2001, une longue marche pacifique sur Mexico des chefs zapatistes, leur main tendue aux députés à la tribune même du Congrès, la libération d'une centaine de prisonniers zapatistes, le retrait de l'armée de sept positions stratégiques au Chiapas, tout cela devait sceller la paix et redonner aux Indiens leur place dans la société mexicaine sous la houlette du président conservateur Vicente Fox, fraîchement investi..

Mais, la "Loi pour la culture et les droits indigènes" présentée aux parlementaires par le président Fox était dénaturée par les amendements des députés et sénateurs fédéraux. Le sous-commandant Marcos claquait alors la porte des négociations et s'enfonçait dans un silence qu'il ne vient de rompre, ce week-end, qu'après deux ans.

Après le recours aux armes et la tentative avortée de transformer juridiquement le pays, l'offensive zapatiste entre désormais dans une troisième phase: la transformation effective du cadre de vie, par l'autonomie locale, des Indiens du Chiapas.

Les réactions du pouvoir fédéral? Pris à contre-pied après l'échec de son Parti d'action nationale (PAN) aux législatives du 6 juillet dernier, le président Fox (son mandat n'expire qu'en 2006) évite de jeter de l'huile sur le feu. Mais tant son silence que ses commentaires éventuels seront utilisés par ses adversaires.

L'opposition la plus vive risque de venir à nouveau du Congrès fédéral des députés, dominé à la majorité simple par le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI, opposition). Si l'article 115 de la Constitution fédérale permet "l'association" et la "coordination" de plusieurs municipalités, il est par contre muet sur "l'autonomie" que viennent de proclamer les zapatistes dans les communes qu'ils contrôlent.

La véritable question est peut-être de savoir jusqu'où comptent-ils réellement pousser cette "autonomie". "Cette nouvelle république se dotera de ses propres lois et de son propre gouvernement... ses porte-parole et ses partisans présument qu'elle sera un exemple mondial d'autogouvernement et d'autogestion, avec une pleine autonomie à l'égard des républiques voisines et où tous, du coiffeur au cordonnier, vivront en parfaite harmonie et prospérité, comme dans les images qu'on vient de diffuser dans le monde entier par satellite" écrit avec rage dans le quotidien "El Universal" César Cansino, directeur du Centre d'études de politique comparée de Mexico.

Par contre, sous le titre "Autonomie, sans demander la permission", l'éditorialiste de l'influent quotidien de centre gauche "La Jornada" écrivait: "Ce 8 août, anniversaire de la naissance d'Emiliano Zapata, l'autonomie indigène au Mexique a fait un énorme bond en avant." Ici donc applaudissements pour un diagnostic qui, sur le fond, n'est pas tellement éloigné de celui de César Cansino, à savoir que les zapatistes ne se contenteront pas d'une autonomie embryonnaire.

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