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Argentine, Venezuela et Colombie déstabilisent l'Amérique du Sud

Analyse, par Christian Galloy

QUITO, mardi 19 février 2002 (latinreporters.com) - L'ampleur des crises à la fois politiques, économiques et sociales qui frappent l'Argentine, la Colombie et le Venezuela, soit 30% des 350 millions d'habitants de l'Amérique du Sud (sans donc compter l'Amérique centrale ni le Mexique), fait peser l'incertitude sur l'ensemble de ce sous-continent où domine la pauvreté.

La démocratie formelle qui a succédé aux dictatures militaires dans cette région du monde ne suscite plus l'enthousiasme. Favorisé par les crises et les alimentant à la fois, le retour au populisme, antichambre de la dictature, semble le danger le plus immédiat.

La crise argentine est globale. Elle provoque une véritable liquéfaction de la deuxième puissance d'Amérique du Sud. Des salaires ne sont plus versés. Les systèmes de retraite et de santé ne fonctionnent plus. Le blocage des comptes bancaires a ruiné la classe moyenne et brisé le commerce extérieur.

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Dans les autres pays membres ou associés du marché commun sud-américain Mercosur (Brésil, Uruguay, Paraguay, Chili et Bolivie), l'effondrement brutal du marché argentin et de ses 37 millions de consommateurs fait hoqueter commerçants et industriels exportateurs. La Banque centrale d'Uruguay, pays longtemps considéré comme la Suisse sud-américaine, vient de prendre le contrôle des deux principales banques commerciales privées, victimes de la crise argentine. La Banque centrale du Brésil vole, elle, au secours des exportateurs brésiliens non payés par leurs clients argentins.

Confirmant le moratoire de la dette publique de 141 milliards de dollars, maintenant le gel partiel de l'épargne et convertissant en pesos tous les dépôts bancaires libellés en dollars, à un taux infligeant une perte d'au moins 30% aux épargnants, le président argentin Eduardo Duhalde a probablement brisé pour une génération la confiance tant nationale qu'internationale dans le système politique et financier de l'Argentine.

L'octroi probable de l'aide financière internationale à nouveau réclamée par Buenos Aires répondra plus à des préoccupations politiques qu'économiques. Washington redoute un effet domino politique de la crise argentine sur une Amérique du Sud déjà déstabilisée par le virage procubain du Venezuela pétrolier et par la puissance de la guérilla marxiste de Colombie, à quelques encablures du canal de Panama.

Dans l'ensemble du continent américain, comme au Forum social mondial clôturé le 5 février dernier à Porto Alegre (Brésil), la crise argentine, due essentiellement à la corruption et à une gestion irresponsable, est présentée par les adversaires de la globalisation comme une conséquence de la mondialisation de l'économie. Les malheurs de l'Argentine sont désormais brandis contre l'axe essentiel de la politique continentale américaine de George W. Bush, à savoir le lancement, en 2005, de la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA), qui s'étendrait de l'Alaska à la Terre de Feu.

La globalisation est critiquée même par le président argentin Eduardo Duhalde, qui avait contribué à la ruine de son pays lorsqu'il dirigeait la puissante province de Buenos Aires. Sa récente "pesification" de l'économie -alors que seule une dollarisation totale pourrait ramener graduellement la confiance- et son discours nationaliste renouent avec le populisme péroniste. Son mépris de la Constitution (en particulier du droit de propriété et du droit à la justice) au nom du sauvetage de l'économie est, pour le moins, une semence de totalitarisme.

Venezuela: "révolution bolivarienne", fuite des capitaux et grogne de militaires

Au Venezuela, misère et décennies de corruption expliquent l'élection à la présidence en 1998, et la réélection en 2000, du populiste de gauche Hugo Chavez, ex-lieutenant-colonel putschiste.

Quatrième producteur mondial de pétrole et troisième fournisseur des Etats-Unis, le Venezuela de Hugo Chavez est désormais le principal allié de Cuba. Le virage procubain de Caracas s'accompagne de relations amicales avec la guérilla marxiste de Colombie.

La "révolution bolivarienne" de Hugo Chavez a dressé contre lui Eglise, presse, syndicats et patronat. Soutenus parfois par des milliers de manifestants, des officiers de l'armée, quatre jusqu'à présent, réclament publiquement la démission du chef de l'Etat. Le vice-amiral Carlos Molina Tamayo a accusé lundi Hugo Chavez de "transformer l'armée en parti politique" et de mettre en place "un régime d'extrême gauche", appuyé sur des "cercles bolivariens" calqués sur les comités de citoyens cubains, risquant de provoquer "des affrontements sanglants" avec une opposition de plus en plus nombreuse.

Cette tension politique, le bas niveau du prix du pétrole et la fuite des capitaux face à l'incertitude ont contraint, la semaine dernière, le président Chavez à réduire le budget national et à laisser flotter le bolivar, qui a perdu près de 20% par rapport au dollar. Cette dépréciation de la monnaie nationale a provoqué une hausse immédiate des prix et des revendications salariales assorties par les syndicats de menaces de grèves.

Des heurts graves risquent d'éclater à tout moment au Venezuela. Des éditorialistes de Caracas mettent en garde contre un danger de guerre civile. Ouvertement critiqué par Washington, le régime populiste de Hugo Chavez pourrait, s'il était acculé, devenir l'un des principaux symboles de l'antiaméricanisme en Amérique latine et susciter des appuis qui exacerberaient, comme à l'époque de la guerre froide, les divisions idéologiques au sein de plusieurs pays du continent.

La Colombie, nouvel Afghanistan?

La résurgence d'un antiaméricanisme militant dans le sous-continent pourrait aussi être favorisée par l'implication financière et militaire croissante de Washington en Colombie. Trente-huit ans de guerre civile larvée menée par des mouvements de guérilla d'extrême gauche y ont tué plus de 200.000 personnes et déplacé plus de deux millions de villageois.

Depuis 1998, les concessions sans contrepartie faites par le président conservateur colombien Andres Pastrana ont permis à la guérilla marxiste des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie) de devenir un Etat dans l'Etat, avec une armée de 17.000 combattants bien équipés grâce, surtout,  à leur contrôle de la production et de la commercialisation de la cocaïne.

Populiste mais très peu populaire, Andres Pastrana refuse de soumettre au contrôle du Parlement ou du peuple, par référendum, une politique dite de paix se résumant à des embrassades télévisées avec la guérilla. Ces images serviront de pièces à conviction lorsque probablement, dans un futur proche, Andres Pastrana devra expliquer à la justice sa complaisance à l'égard des insurgés.

Une autre complaisance, celle de pays de l'Union européenne et de l'ONU, qui parrainent les pourparlers stériles entre Bogota et la guérilla, complique le conflit en conférant une respectabilité aux insurgés honnis, selon les sondages, par plus de 90% des Colombiens.  La cruauté des FARC et leur mépris absolu du droit humanitaire international ont poussé l'organisation humanitaire Human Rights Watch à mettre les chefs de cette guérilla sur le même pied que les dictateurs Pinochet et Milosevic, méritant de comparaître devant un tribunal international pour crimes contre l'humanité.

Les FARC, qui avaient applaudi les attentats islamistes du 11 septembre dernier contre "l'impérialisme gringo", figurent sur la liste des organisations terroristes internationales dressée par les Etats-Unis. Le caractère de "narcoguérilla" attribué par Washington aux FARC pousse désormais le département d'Etat à autoriser l'utilisation contre la guérilla du matériel militaire américain octroyé à la Colombie pour lutter, en principe, contre le narcotrafic. Une nouvelle frontière est ainsi franchie dans l'implication des Etats-Unis dans le conflit colombien.

Sans l'aide militaire américaine à la Colombie, les FARC, appuyés plus ou moins discrètement par Cuba et par le Venezuela voisin, seraient sans doute proches de prendre le pouvoir -ou pour le moins d'y participer- dans un pays qui jouxte le canal de Panama et qui produit les deux tiers de la cocaïne mondiale.

Contre les organisations colombiennes qu'ils jugent terroristes, les Etats-Unis pourraient faire "usage de la puissance militaire, comme en Afghanistan, si nécessaire" menaçait le 15 octobre dernier Francis Taylor, coordinateur de la lutte antiterroriste au département d'Etat. Selon Francis Taylor, "les FARC sont aujourd'hui le groupe terroriste international le plus dangereux basé dans notre hémisphère."

Moins de la moitié des Latino-Américains appuient la démocratie

Véritables épouvantails repoussant les investisseurs internationaux, l'Argentine, la Colombie et le Venezuela populistes nuisent globalement à l'image et, partant, au développement de l'ensemble des pays latino-américains. La crise économique quasi permanente de la région, avec ses 44% de pauvres (plus de 70% en Colombie et au Venezuela) n'en est que plus aiguë.

Or, c'est précisément la stagnation économique et la misère qui expliquent une chute inquiétante du sentiment démocratique en Amérique latine. En 2001, selon un sondage effectué par "Corporacion latinbarometro" auprès de 18.135 personnes de 17 pays, à peine 48% des Latino-Américains appuyaient la démocratie, contre 60% en 2000.

Le même sondage indiquait que, désormais, en Amérique latine, l'Eglise et l'armée inspirent davantage confiance que le parlement et les partis politiques.


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