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Après des déclarations sur la possibilité d'un retour à la lutte armée

Argentine: radicalisation des piqueteros?

par Julio Burdman

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Les piqueteros doivent leur nom aux barrages, les "piquetes", qu'ils dressent sur les routes pour protester. (En Argentine, le "piquete" est aussi un petit enclos familial dans lequel on enferme les animaux...)

Forme de lutte sociale d'abord locale et spontanée, le blocage de routes a été développé par des chômeurs qui, au fil de la crise sans précédent que traverse l'Argentine, se sont regroupés en associations très actives dans l'ensemble du pays. Les routes d'accès à Buenos Aires ont été la cible privilégiée des piqueteros en 2001 et 2002.

(latinreporters.com)

BUENOS AIRES, lundi 10 mars 2003 (NuevaMayoria.com) - Les récentes déclarations, lors du programme de télévision Hora Clave, de leaders du secteur le plus dur des piqueteros sur la possibilité d'un retour à la lutte armée en Argentine ont alarmé l'opinion publique. Ces prises de position sont graves et ne doivent pas être sous-estimées, mais elles n'annoncent pas nécessairement le retour de la guérilla. Nous verrons pourquoi.

D'abord, la menace de radicalisation doit être jugée dans le contexte politique. L'actuelle année politico-électorale promet des changements dans les conditions qui ont permis l'an dernier la forte croissance des groupes piqueteros et cela crée des tensions et craintes nouvelles au sein des groupes minoritaires. Le chômage de longue durée dont souffrent d'importants secteurs de la société est à l'origine du mouvement piquetero. Néanmoins, sa structure actuelle s'explique aussi par la culture clientéliste et opportuniste de certains partis de gauche.

Comme nous le décrivions dans d'autres articles publiés dans NuevaMayoria.com, il existe des douzaines de mouvements piqueteros (qui, eux-mêmes, sont dans chaque cas des groupements réunissant de petits groupes organisés dans les quartiers les plus pauvres). Mais pour simplifier l'analyse, nous pouvons distinguer deux grandes tendances:

-Les "modérés": ce sont ceux qui répondent à Federación Tierra (Fédération Terre), à Vivienda y Hábitat (Logis et Habitat), que dirige Luis D’Elía, en alignement sur la centrale syndicale Confederación de Trabajadores Argentinos (Confédération des Travailleurs Argentins) présidée par Víctor De Gennaro, et ceux de Corriente Clasista y Combativa (Courant de Classe et Combatif), dont les personnalités de référence sont Juan Carlos Alderete, Amancay Ardura et ‘El Perro’ Santillán. Ce Corriente Clasista y Combativa est le bras syndical-piquetero du maoïste Partido Comunista Revolucionario (Parti Communiste Révolutionnaire).

-Les "radicaux": ce secteur comprend les groupes du Bloque Piquetero Nacional (Bloc Piquetero National) -Polo Obrero, Movimiento Territorial de Liberación, Movimiento Teresa Rodríguez, MST Teresa Vive et d'autres- ainsi que le Movimiento Independiente de Jubilados (Mouvement Indépendant des Retraités) dirigé par Raúl Castells, l'ex-modéré Barrios de Pie (Quartiers Debout) et la CTD Aníbal Verón (Coordination des Travailleurs Sans-emploi), entre autres.

Les deux secteurs se distinguent fondamentalement par leurs rapports avec l'Etat à propos des plans sociaux. Néanmoins, le facteur idéologique n'est pas mineur: bien que tous participent d'une gauche dure, les "radicaux" considèrent que depuis le 20 décembre 2001 l'Argentine a entamé un processus de révolution sociale dont ils seraient les protagonistes privilégiés.

Les "modérés" sont les plus nombreux et ils entretiennent une meilleure relation avec le gouvernement. On estime que ce secteur a géré 70% ou plus des Planes Jefas y Jefes de Hogar (Plans Chefs de Ménage) attribués aux piqueteros. Les "radicaux" n'en auraient obtenu que le quart et leur relation avec le ministère du Travail n'est pas aussi fluide.

Combien y a-t-il de piqueteros et combien de plans sociaux leur ont-ils été attribués? On ne peut pas le savoir avec exactitude. Sous l'actuel gouvernement du président Eduardo Duhalde, particulièrement lors du deuxième et troisième trimestres de 2002, les piqueteros ont fonctionné comme une grande agence sociale parallèle. Les demandes de Plans Chefs de Ménage sont introduites dans des municipalités et des bureaux provinciaux , puis les listes de demandes sont remises au ministère du Travail, qui procède aux attributions après analyse. Les organisations de piqueteros présentent aussi des listes parallèles.

Ceux qui par le canal des organisations de piqueteros obtiennent des subsides de chômage ne sont pas tous piqueteros et ne participent pas nécessairement au blocage de routes. En comparant, d'une part, la quantité de plans attribués aux organisations de piqueteros -le chiffre estimé oscille entre 230.000 et 280.000- à, d'autre part, la capacité de mobilisation de ces organisations, on en déduit que seulement une petite partie de ces 230.000 à 280.000 bénéficiaires sont de "vrais" piqueteros. 

C'est grâce à un contexte politique qui leur était très favorable qu'un espace de pouvoir disproportionné fut obtenu en 2002 par les piqueteros, reconnus comme organisations formant partie de la politique sociale nationale. La politique de pacification sociale de l'administration déboucha sur l'octroi de subsides à ces organisations, incorporées au budget social. Mais ce contexte politique favorable s'est modifié et cette évolution actualise l'hypothèse d'une éventuelle radicalisation des piqueteros et du conflit social. On songe particulièrement au secteur radical formé par le Bloque Piquetero et les groupes qui en sont proches. Les facteurs à considérer sont les suivants:

  • La perte de l'appui de l'opinion publique. Les dernières enquêtes montrent que plus des trois quarts de la population considère que les blocages de routes ne sont pas des mécanismes acceptables de protestation (Gallup); les gouvernements national et de province ont commencé à durcir leurs positions face aux mobilisations de piqueteros.
  • La nouvelle pression pour les plans sociaux, qui distancie les piqueteros du gouvernement et les piqueteros entre eux. Une bonne partie des Plans Chefs de Ménage gérés par des piqueteros faisaient partie du Seguro de Emergencia Laboral (Assurance d'Urgence du Travail) et, à la différence des plans réguliers, ils ont une échéance prédéterminée. En conséquence, nombre de ces plans deviennent caducs depuis le début de l'année. La pression pour l'obtention de ces plans s'en est accrue entre modérés et radicaux, ces derniers s'estimant victimes d'une discrimination.
  • La campagne électorale (élection présidentielle le 27 avril prochain). C'est le troisième nouveau facteur de discorde. La politique sociale fortifiera inévitablement les appareils politiques traditionnels au détriment de l'espace qu'occupent aujourd'hui les piqueteros. Et le triomphe possible de candidats (Menem, López Murphy) qui promettent de durcir leur attitude à l'égard des piqueteros accroît les tensions au sein de ces mouvements.
En fonction de ces nouveaux facteurs qui pèsent sur les piqueteros -refroidissement de leurs relations avec le gouvernement, distanciation croissante entre "modérés" et "radicaux" et perspective d'un changement politique qui affecte leur continuité- les tensions sont plus grandes, comme le sont aussi les préoccupations à propos de la réaction des secteurs les plus radicalisés.

Alors que les "modérés" sont à la fois les plus nombreux et, d'une certaine façon, les fondateurs du mouvement sous le second gouvernement de Carlos Menem (président de 1989 à 1999), avec un projet politique et syndical à long terme, les groupes "radicalisés", minoritaires, furent, eux, créés pour une bonne part à la fin de la période gouvernementale de l'Alliance du président Fernando De la Rua (qui démissionna le 20 décembre 2001) par des partis d'extrême gauche à la recherche d'un plus grand impact et avec une très forte dose d'idéologie. .

Ainsi, le Polo Obrero (Pôle Ouvrier) répond au Partido Obrero (Parti Ouvrier), le Movimiento Territorial de Liberación (Mouvement Territorial de Libération) au Partido Comunista (Parti Communiste), Teresa Vive au Movimiento Socialista de Trabajadores (Mouvement Socialiste des Travailleurs), etc.

Il n'est pas exclu que la violence politique potentielle qu'ils représentent puisse s'éveiller suite aux changements du contexte politique, en particulier si Menem ou Lopez Murphy gagnaient les élections d'avril. Néanmoins, ces hypothèses doivent être perçues comme un risque d'augmentatioin du chaos et d'épisodes violents, mais non avec des métaphores de l'Argentine des années 70.

En dépit de l'idéologie de leaders - comme nous le disions, les meneurs d'une grande part des piqueteros du secteur radicalisé sont des cadres politiques de gauche et non des chômeurs-, il ne faut pas surestimer celle de ceux qui les suivent ni la réceptivité de la société argentine, qui n'est désormais plus la même que celle du début de 2002.

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