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Les députés argentins ont annulé les lois d'amnistie des militaires de la dictature

Argentine-crimes contre l'humanité: le président Kirchner et le juge espagnol Garzon brisent l'impunité

29 août 2003: l'Espagne suspend la demande d'extradition d'ex-militaires argentins de la dictature


Le juge Garzon et la compétence universelle de la justice espagnole

MADRID, vendredi 15 août 2003 (latinreporters.com) - Pour exercer une juridiction universelle sur d'ex-officiers de la dictature argentine, dont il réclame l'extradition, le juge madrilène Baltasar Garzon s'appuie sur la "Ley Orgánica 6/1985 del Poder Judicial" (Loi organique 6/1985 du Pouvoir judiciaire), publiée par le Bulletin officiel de l'Etat espagnol le 2 juillet 1985, alors que l'Espagne était gouvernée par le socialiste Felipe Gonzalez.

Cette loi définit aux points a, b et g du paragraphe 4 de son article 23 la compétence universelle actuelle de la justice espagnole en matière de certains crimes contre l'humanité, notamment celui de génocide. Les notions de génocide et de terrorisme soulèvent néanmoins une polémique au sein du monde juridique en Espagne.

Voici la traduction du paragraphe 4 susmentionné, qui prévoit des poursuites même contre des étrangers pour des faits commis hors du territoire espagnol:

"La juridiction espagnole sera également compétente pour connaître des faits commis par des Espagnols ou par des étrangers hors du territoire national susceptibles d'être considérés, selon la loi pénale espagnole, comme certains des délits suivants:
a) Génocide.
b) Terrorisme.
c) Piraterie et prise de possession illicite d'aéronefs.
d) Falsification de monnaie étrangère.
e) Les délits relatifs à la prostitution et ceux de corruption de mineurs ou d'incapables.
f) Trafic illégal de drogues psychotropes, toxiques et stupéfiants.
g) Et tout autre qui, selon les traités et conventions internationales, doit être poursuivi en Espagne."

(Le point g peut couvrir diverses atteintes aux droits de l'homme, dont la torture.)

Polémique: génocide ou non en Argentine?

La juridiction universelle invoquée par le juge Garzon, qui sollicite l'extradition d'ex-responsables de la dictature argentine pour génocide, terrorisme d'Etat et tortures, est qualifiée d'inappropriée dans ce cas concret par Pedro Rubira, procureur de l'Audience nationale, instance judiciaire à laquelle appartient Baltasar Garzon.

Le procureur Rubira estime que les demandes d'extradition doivent être annulées. Il réfute l'accusation de génocide, notant que les conventions internationales et l'article 6 du Statut de la nouvelle Cour pénale internationale de La Haye définissent le génocide comme "des actes commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux". Or, affirme le procureur Rubira, la répression sous la dictature militaire argentine frappa des personnes "de toutes les couches sociales" et "d'idéologies très diverses".

Le procureur conteste aussi le crime de "terrorisme d'Etat" invoqué par le juge Garzon. Selon le contestataire, "ni l'Etat ni aucune de ses institutions ne peuvent pratiquer le terrorisme, car ferait toujours défaut l'élément de volonté de subversion de la paix sociale ou de l'ordre constitutionnel".

Enfin, toujours selon le procureur Rubira, les cas de torture en Argentine dénoncés par le juge Garzon ne relèveraient pas de la justice espagnole, car ils sont antérieurs à juillet 1978, date de l'introduction du délit de torture dans le Code pénal espagnol.

L'évolution politique actuelle de l'Argentine contre l'impunité, notamment la procédure d'annulation des lois d'amnistie protégeant les tortionnaires, est elle-même invoquée par le procureur Rovira pour estimer inappropriée la procédure d'extradition ouverte par le juge Garzon.

Ce type de polémique avait déjà surgi lors des poursuites lancées dès 1998 par Baltasar Garzon contre l'ex-dictateur chilien Augusto Pinochet. Si une perception "actualisée" de la notion de génocide, moins figée que celle définie par les conventions internationales, prévaut actuellement au sein de la justice espagnole, il n'est pas exclu que cette tendance se retrouve un jour minoritaire.

Le juge Garzon et Amnesty International s'inquiètent par ailleurs d'un projet de loi du gouvernement de Madrid qui, disent-ils, risque de restreindre l'actuelle compétence universelle de la justice espagnole sous prétexte de coopération avec la Cour pénale internationale de La Haye.

Chr. G.

par Christian Galloy

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MADRID, vendredi 15 août 2003 (latinreporters.com) - Les chefs de la dictature argentine (1976-1983) encore en vie seront soit enfin confrontés sans complaisance à la justice de leur pays, soit extradés vers Madrid à la requête du juge Baltasar Garzon afin d'y répondre de "terrorisme d'Etat, génocide et tortures" devant la justice espagnole, qui revendique sa compétence universelle en matière de crimes contre l'humanité.

La première hypothèse est la plus vraisemblable après plusieurs décisions du président péroniste argentin Nestor Kirchner et l'annulation, mardi par les députés à Buenos Aires, des lois d'amnistie protégeant les anciens tortionnaires. Entre 10.000 et 30.000 personnes ont péri sous la dictature en Argentine.

Le sénat argentin doit encore entériner, peut-être dès la semaine prochaine, le vote historique des députés. La Cour suprême pourrait avoir le dernier mot, puisqu'on attend précisément qu'elle se prononce sur la constitutionnalité des lois d'amnistie, contestées récemment par plusieurs juges fédéraux.

Les lois du "Point final" (1986) et du "Devoir d'obéissance" (1987) avaient été approuvées par le gouvernement radical de Raul Alfonsin, l'un des vice-présidents de l'Internationale socialiste. Plus de deux mille militaires argentins échappèrent ainsi à la justice. Raul Alfonsin insinuait récemment qu'à l'époque la pression de l'armée ne lui laissait pas le choix. Les députés de l'Union civique radicale (UCR), le parti d'Alfonsin, ont néanmoins voté, mardi, contre l'abrogation de ces lois d'amnistie. L'UCR, ex-grand parti de l'histoire politique argentine et le seul à avoir pu faire de l'ombre au péronisme, est aujourd'hui menacé de disparition. Son candidat à l'élection présidentielle d'avril dernier, Leopoldo Moreau, n'avait recueilli que 2,34% des suffrages.

Les chefs de la dictature emprisonnés en 1983 et condamnés avant l'amnistie, en 1985, furent graciés en 1990 par le président péroniste Carlos Menem. Plusieurs d'entre eux sont toutefois retombés sous le coup de la justice pour vol de bébés, délit que l'Argentine considère imprescriptible et pour lequel ils n'avaient pas été jugés.

Lundi, le président Kirchner avait déjà donné instruction à son ministre des Relations extérieures, Rafael Bielsa, de prendre les mesures nécessaires pour concrétiser l'adhésion de l'Argentine à la Convention des Nations unies sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité.

Les députés approuvaient mardi, à l'unanimité cette fois, un projet de loi octroyant un rang constitutionnel à cette convention. Les experts juridiques estiment que dès qu'elle sera effectivement coulée dans la Charte suprême, les lois d'amnistie s'en trouveront constitutionnellement abolies.

La première mesure spectaculaire de Nestor Kirchner contre l'impunité fut l'abrogation, le 25 juillet dernier, du décret interdisant l'extradition des criminels de la dictature.

La veille, 45 ex-officiers -dont plusieurs furent généraux- et un civil tombaient en Argentine sous le coup d'un mandat d'arrêt à la demande de la justice espagnole, qui sollicite leur extradition afin de les juger pour terrorisme d'Etat, génocide et tortures.

Parmi les prévenus figurent deux ex-membres de la junte militaire qui gouverna l'Argentine pendant la dictature, l'ex-général Jorge Rafael Videla et l'ex-amiral Emilio Eduardo Massera. Ce dernier fut aussi responsable de la tristement célèbre Ecole mécanique de la marine, transformée à l'époque en centre de torture d'opposants. C'est là que sévit aussi le capitaine de corvette Alfredo Astiz, surnommé médiatiquement "l'ange blond de la mort", dont l'Espagne réclame également l'extradition, ainsi que la France, où il fut condamné par contumace en 1990 à la prison à vie pour l'assassinat de deux religieuses françaises.

Les 46 demandes d'extradition émanent du juge espagnol Baltasar Garzon, célèbre pour avoir lancé les premières poursuites internationales contre le général Augusto Pinochet. Retenu lors d'un voyage à Londres et à la demande de Garzon pendant 503 jours à partir du 16 octobre 1998 par les autorités de Sa Gracieuse Majesté, l'ex-dictateur chilien ne dut qu'à la diplomatie britannique de n'être pas extradé vers l'Espagne où il aurait été jugé. Le Royaume-Uni avait apprécié les facilités offertes par Pinochet lors de la guerre menée par les Britanniques en 1982 contre l'Argentine pour reconquérir les Iles Malouines.

En juin dernier, le juge Garzon remportait sa première victoire effective -et non seulement symbolique comme dans le cas Pinochet- au nom de la compétence universelle définie par l'article 23 de la Loi organique du Pouvoir judiciaire espagnol en matière de crimes contre l'humanité. Le 29 juin atterrissait en effet à Madrid, entre deux policiers et en provenance du Mexique, l'ex-officier argentin Ricardo Miguel Cavallo, accusé par des victimes présumées d'avoir été l'un des tortionnaires de l'Ecole mécanique de la marine de Buenos Aires. Cette extradition octroyée par le Mexique, livrant un citoyen d'un autre pays à un pays tiers, est considérée comme une première dans la juridiction universelle.

Après la récente révision -équivalant à un abandon- par la Belgique, sous la pression de Washington, de la compétence universelle de sa justice pour poursuivre les crimes contre l'humanité, l'Espagne est désormais le seul pays à exercer ouvertement ce type de compétence.

Les défenseurs des droits de l'homme en soulignent l'importance pour éviter l'impunité de violations de droits de l'homme commises dans le passé, vu que la nouvelle Cour pénale internationale de La Haye n'est pas habilitée, elle, à connaître de crimes commis avant juillet 2002, date de son installation.

Si la croisade contre l'impunité entamée par le président Nector Kirchner débouchait effectivement sur la comparution devant la justice argentine des anciens tortionnaires, leur extradition vers l'Espagne n'aurait plus d'objet. Il n'empêche que le juge Baltasar Garzon aura déclenché en Argentine un effet domino de mesures qui récupèrent la mémoire historique et rendent leur dignité aux victimes de la dictature et à leurs proches.


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