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Colombie-référendum et élections: la gauche modérée gifle le président Uribe et la guérilla

Succès d'une gauche de type "Lula", hostile à la lutte armée

Lucho Garzon, nouveau maire de gauche de Bogota, est qualifié de Lula colombien
Photo Luchogarzon.com
BOGOTA, jeudi 30 octobre 2003 (LatinReporters.com) - L'échec, faute de participation, du premier référendum de l'histoire de la Colombie et l'élection de candidats de gauche et d'indépendants à la mairie des principales villes du pays ont constitué, le week-end dernier, le premier désaveu populaire infligé au président Alvaro Uribe. La guérilla marxiste colombienne est également prise à contre-pied par le succès électoral de candidats de gauche qui, comme le syndicaliste "Lucho" Garzon, élu maire de Bogota, estiment les votes plus efficaces que les balles pour faire progresser la justice sociale. La Colombie voit ainsi à son tour émerger une gauche de type "Lula" (surnom de l'actuel président du Brésil).

Chef d'Etat latino-américain très apprécié à Washington, défenseur (l'un des rares dans sa région) de l'intervention américaine en Irak, Alvaro Uribe avait remporté l'élection présidentielle du 26 mai 2002 pour sa fermeté à l'égard des mouvements de guérilla. Dissident du Parti libéral, qu'il jugeait trop conciliant à l'égard des rebelles, il jouissait encore d'une popularité record de plus de 70% au début de la semaine dernière. Alvaro Uribe l'a mise en jeu dans un référendum trop ambitieux et trop technique.

Les 25 millions d'électeurs Colombiens devaient répondre oui ou non, samedi, à 15 questions rédigées aussi froidement qu'un traité de droit constitutionnel. Elles portaient notamment sur la réduction des sièges au Congrès (de 268 à 218), le retrait des droits civiques aux coupables de détournements de fonds publics, le plafonnement de la pension des parlementaires et le gel, en 2004 et 2005, du salaire de la majorité des fonctionnaires, ceux gagnant plus du double du salaire minimum.

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Ce programme de lutte contre la corruption, de réduction de l'Etat et de contrôle des dépenses publiques aurait débouché sur une économie théorique de sept milliards de dollars en sept ans. Alvaro Uribe avait promis ces réformes et un référendum lors de sa campagne de 2002. La popularité que lui attribuaient les sondages l'ont incité à tenir ses promesses en ce mois d'octobre. Le oui, disait Uribe, évitera à la Colombie une débâcle économique de type argentin.

Faute de quorum, le président a échoué. Pour être validée, la réponse à chaque question du référendum devait être donnée par au moins 25% des électeurs inscrits, soit plus de six millions de Colombiens. Quoique les oui furent largement majoritaires en réponse à chacune des 15 questions, aucune d'elles n'a attiré le quart requis des votants.

Outre la complexité du référendum, cet échec a une autre explication technique : la participation à un référendum n'est pas obligatoire en Colombie, pays où l'abstention tourne régulièrement autour de 50% lors des élections, à participation obligatoire elles, que sont les présidentielles, les législatives, les régionales et les municipales.

Mais il y a aussi une explication politique. Tous les adversaires d'Alvaro Uribe, la guérilla bien sûr (à coups de bombes, d'assassinats et de menaces), les syndicats, les intellectuels de gauche, le parti libéral dont le président avait claqué la porte et de nombreux parlementaires, y compris des "uribistes" inquiets du projet de réduction des sièges du Congrès, cette vaste coalition informelle fit campagne pour l'abstention. Déjà naturellement élevée, elle dépassa samedi le taux record de 75%.

Alvaro Uribe ne pourra pas se représenter en 2006

Ce fiasco, Alvaro Uribe le paie déjà cher. Les sénateurs, que l'on croyait majoritairement ralliés à un président qui n'a toujours pas fondé son propre parti, ont torpillé mardi, par 44 voix contre 36, un projet de réforme constitutionnelle qui aurait autorisé le chef de l'Etat à briguer un second mandat, consécutif de surcroît. (Actuellement, un président colombien ne peut exercer qu'un seul et unique mandat de quatre ans). Alvaro Uribe ne pourra donc pas se représenter en 2006 comme ses partisans et lui-même le souhaitaient.

En outre, la plupart de ses ministres se sont déclarés prêts à renoncer à leur portefeuille si Alvaro Uribe en décidait ainsi. Même la sénatrice "uribiste" Claudia Blum estime nécessaire la démission du ministre de l'Intérieur Fernando Londoño pour favoriser le rétablissement du dialogue entre la présidence et le Congrès.

Méprisant la "politicaillerie" et les partis, le président Uribe sera néanmoins contraint de négocier avec eux pour tenter d'obtenir par la voie législative les économies de sept milliards de dollars qui ont sombré avec le référendum. Sans cette coupe budgétaire, le Fonds monétaire international risquerait de se montrer moins compréhensif envers la Colombie.

Le déclin d'Alvaro Uribe, qu'il aurait pu éviter en n'allant pas trop au-delà de son rôle apprécié de pourfendeur de la guérilla, est accentué par l'émergence d'une nouvelle gauche. Elle bouscule le système politique traditionnel, dominé par le Parti libéral (de centre droit, avec quelques velléités sociales-démocrates) et le Parti conservateur. Par rapport à ce système, Uribe n'est qu'une exception que l'échec du référendum fera rentrer dans le rang.

Lucho Garzon, ex-syndicaliste communiste et nouveau maire de la capitale

Convoqués à nouveau aux urnes dès le lendemain du référendum, les 25 millions d'électeurs colombiens s'y sont rendus dimanche dans la proportion habituelle d'environ 50% pour élire les maires et conseillers des 1094 municipalités du pays, ainsi que les gouverneurs et députés régionaux des 32 départements.

Le résultat de ce scrutin multiple est dévastateur pour les candidats d'Alvaro Uribe et des deux partis traditionnels. Ils sont devancés par des élus de gauche ou des indépendants progressistes dans les quatre premières villes de Colombie: Bogota, la capitale, Medellin, Cali et Barranquilla. En outre, 15 des 32 postes de gouverneurs échappent tant aux libéraux qu'aux conservateurs.

Le symbole de ce renouveau s'appelle Luis Eduardo Garzon, plus connu comme Lucho Garzon. Troisième à l'élection présidentielle de mai 2002, cet ex-dirigeant syndicaliste communiste de 52 ans portera dès le 2 janvier l'écharpe de maire de Bogota. C'est la première fois qu'un élu de gauche gérera cette métropole de huit millions d'habitants. Sous le slogan "Lucho por Bogota" (jeu de mots qui veut dire à la fois "Lucho pour Bogota" et "Je lutte pour Bogota"), l'ancien syndicaliste l'a emporté avec 46,59% des voix, contre 39,95% à son adversaire de droite. Un tremplin idéal s'il décidait de briguer à nouveau la présidence.

Fils d'une femme de chambre, tour à tour jeune caddie du Country Club de golf de Bogota, apprenti menuisier, aide d'un vendeur ambulant, porteur de valises, encaisseur d'annonces publicitaires, garçon de courses d'Ecopetrol, entreprise pétrolière dans laquelle il travaillera pendant 30 ans, et surtout leader de l'Union syndicale ouvrière (USO),  puis de la Centrale unitaire des travailleurs (CUT), Lucho Garzon a un parcours rappelant celui de Luiz Inacio Lula da Silva, l'ex-syndicaliste qui préside le Brésil depuis le 1er janvier dernier.

Même si le Pôle démocratique indépendant (PDI) de Lucho n'est pas aussi consolidé que le Parti des travailleurs (PT) de Lula, la doyenne de l'Université Javeriana de Bogota, Adriana Delgado, souligne "une confluence de facteurs". Selon elle, "les exemples du Brésil, de l'Argentine, du Chili, de la Bolivie montrent à l'évidence qu'il y a une gauche modérée qui comprend qu'elle peut être une alternative de pouvoir et de remise en question du modèle économique et social".

Comme Lula, Lucho a reconverti son marxisme en discours d'apparence sociale-démocrate. Il affirme qu'il ne misera pas sur la lutte des classes, qu'il ne montera pas "les riches contre les pauvres". Ses priorités sont la lutte contre la pauvreté et le chômage, ainsi que l'amélioration de l'éducation et de la santé.

Pour prendre Bogota, les votes ont été plus efficaces que les balles de la guérilla

Casse-tête pour le président Uribe, dont il critique la main dure en matière de sécurité, Lucho est plus enclin à une solution négociée avec la guérilla pour mettre fin à un conflit intérieur qui, en 39 ans, a fait plus de 200.000 morts et déplacé plus d'un million de Colombiens.

Mais la victoire de Lucho Garzon à Bogota et de plusieurs candidats de la gauche modérée dans d'autres grandes villes est peut-être aussi une dure défaite politique infligée à la guérilla marxiste des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie) et à sa petite soeur pro-cubaine, l'ELN (Armée de libération nationale).

"Des phénomènes comme celui de Garzon ou Navarro Wolf (sénateur et ex-guérillero du M-19, membre du PDI de Lucho Garzon) sont une preuve cinglante que l'expression disant que les votes peuvent davantage que les balles n'est pas que rhétorique" écrivait mercredi à Bogota l'éditorialiste d'El Tiempo, le quotidien colombien de référence. Le journal souligne aussi que les menaces de mort des FARC contre tous les candidats n'ont pas empêché, dimanche, l'afflux aux urnes de près de 12 millions d'électeurs Colombiens.

Le vice-président de la République, Francisco Santos, estime également que la preuve vient d'être faite de la possibilité d'un changement politique sans la violence prônée par la guérilla. Il note que "Tirofijo (surnom du chef des FARC, Manuel Marulanda) essaie depuis 40 ans de prendre Bogota, alors que Lucho y a réussi en trois mois" (de campagne électorale).

Et Lucho Garzon de déclarer lui-même: "Je ne crois ni à l'insurrection ni à la conquête du pouvoir par les armes. J'espère que la guérilla comprendra la nécessité de trouver des alternatives démocratiques".

Divers commentateurs estiment que même l'échec du référendum peut être utilisé contre la guérilla. Il prouverait en effet que les résultats électoraux ne sont pas manipulés, contrairement à ce qu'affirment en permanence les FARC et l'ELN pour justifier leur tentative de prendre le pouvoir par les armes.

Un dramatique précédent historique complique la reconversion démocratique de ces deux guérillas d'extrême gauche. A la fin des années 1980, trois mille militants de l'Union patriotique, parti légal créé par les FARC, furent assassinés.

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