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Espagne - Gibraltar : le Traité d'Utrecht est-il encore légitime?

  • Le tricentenaire de la conquête britannique du rocher a relancé la polémique
  • Texte de l'article X du Traité d'Utrecht cédant Gibraltar à la Grande-Bretagne
  • Le rocher la nuit - Photo Government of Gibraltar
    Par Christian Galloy

    MADRID, jeudi 5 août 2004 (LatinReporters.com) - La célébration solennelle, le 4 août à Gibraltar, du tricentenaire de la conquête britannique de ce rocher revendiqué par l'Espagne a été vivement critiquée par le gouvernement socialiste espagnol de José Luis Rodriguez Zapatero. L'Espagne voit en Gibraltar la dernière colonie en Europe. Se réclamant du Traité d'Utrecht de 1713, qui officialisait -mais conditionnait aussi- la cession du rocher conquis en 1704, Madrid affirme que sa décolonisation doit répondre au principe d'intégrité territoriale et non à celui de l'autodétermination des peuples.

    L'article X du Traité d'Utrecht, relatif à la cession de Gibraltar, est-il encore légitime? En voici le texte, précédé d'éléments d'analyse.

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    Clôturant la guerre de succession d'Espagne menée par les grandes puissances de l'époque, le Traité d'Utrecht fut le Yalta du 18e siècle. Principale bénéficiaire, la Grande-Bretagne voyait s'étendre son emprise sur le Canada aux dépens de la France. Le Portugal, allié des Britanniques, recevait le contrôle de l'Amazone, berceau de l'actuel Brésil. L'Espagne et la France s'engageaient par ce traité à ne pas se fondre en un Etat commun, le roi Philippe V d'Espagne étant petit-fils de Louis XIV. (Une "Franspagne" ou "Hispafrance" aurait sans doute été la première puissance européenne).

    L'Espagne perdait alors notamment ses possessions en Italie et aux Pays-Bas, l'île de Minorque (récupérée depuis) et Gibraltar. Il est paradoxal que trois siècles plus tard, aujourd'hui, la cession du rocher et de son minuscule territoire de 6 km2 soit devenue le chapitre le plus célèbre d'un traité aux conséquences planétaires. Il est vrai que le contrôle de cette double porte méditerranéo-atlantique et européo-africaine au cours des deux guerres mondiales fut aussi d'une portée internationale majeure, contribuant aux deux défaites de l'Allemagne.

    Par l'article X du Traité d'Utrecht, l'Espagne cède à la Grande-Bretagne, à perpétuité ("pour toujours"), la propriété de Gibraltar, mais "sans aucune juridiction territoriale". Cette particularité est l'un des fondements de la revendication espagnole sur le rocher.

    Mais l'essentiel réside dans le dernier paragraphe de cet article X. Il indique clairement que si la Grande-Bretagne décidait d'abandonner Gibraltar, le sort du rocher dépendrait de l'Espagne, désignée comme prioritaire pour "racheter" le territoire.

    Aujourd'hui, alors que les droits de l'homme et les droits des peuples sont codifiés, peut-on "racheter" 30.000 Gibraltariens? A deux reprises, par référendum, ils ont dit non (à près de 99% en novembre 2002) à toute souveraineté espagnole.

    Une volonté populaire si claire et massive a fait avorter en 2002 une négociation hispano-britannique visant à soumettre Gibraltar à un condominium, étape préalable, croyait l'Espagne, à la récupération de sa souveraineté sur le rocher. Depuis, Londres dit à nouveau devoir tenir compte de l'opinion des Gibraltariens.

    Débat aux Nations Unies sur la décolonisation

    Le dossier est débattu aux Nations Unies, au sein du Comité des 24, chargé de l'application de la Déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux.

    Reconnaissant qu'il s'agit d'un problème de décolonisation, le Premier ministre de Gibraltar, le social-démocrate Peter Caruana, a revendiqué devant le Comité des 24 le droit à l'autodétermination des Gibraltariens (actuellement, ils veulent rester britanniques), ce droit étant jusqu'à présent le principe de base de tout processus de décolonisation.

    Pour l'Espagne, néanmoins, chaque situation coloniale serait différente et il ne pourrait y avoir de recette unique. Selon Madrid, Gibraltar devrait être décolonisé en respectant "le principe d'intégrité territoriale" et non pas celui de l'autodétermination. En d'autres termes, les Gibraltariens n'auraient pas droit à la parole. Ancienne place-forte maure, le rocher a pourtant été moins longtemps espagnol (242 ans, de 1462 à 1704) que britannique. Plusieurs sièges militaires et blocus imposés en vain par l'Espagne contribuèrent à forger l'identité des Gibraltariens, descendants pour la plupart de Britanniques, de Maltais, d'Indo-Pakistanais, mais aussi ... d'Espagnols.

    Peter Caruana souhaite que le litige sur le droit ou non des Gibraltariens à l'autodétermination soit soumis à la Cour internationale de Justice. En cette époque d'humanisation apparente du discours politique mondial, l'Espagne devrait tôt au tard accepter de négocier avec les Gibraltariens, jusqu'à présent exclus des pourparlers entre Londres et Madrid.

    Les dernières déclarations du président du gouvernement espagnol, José Luis Rodriguez Zapatero, et de son ministre des Affaires extérieures, Miguel Angel Moratinos, semblent entrouvrir cette voie. Le socialiste Zapatero s'est montré jusqu'ici moins généreux envers Gibraltar qu'à l'égard d'indépendantistes catalans, au pouvoir en coalition dans leur région et nettement plus menaçants pour l'Espagne que les Gibraltariens.

    En conclusion, il n'est pas sûr que la crédibilité internationale de l'Espagne soit favorisée par une argumentation appuyée sur certaines clauses de ce vieux Traité d'Utrecht, qui méprise l'être humain au point d'interdire "aux juifs et aux Maures" le droit de résider à Gibraltar.


    Traité d'Utrecht  (13 juillet  1713)  -  Article X
    La traduction française, son espacement en paragraphes et la mise en gras de certains mots sont de LatinReporters.com
    "El Rey Católico, por sí y por sus herederos y sucesores, cede por este Tratado a la Corona de la Gran Bretaña la plena y entera propiedad de la ciudad y castillos de Gibraltar, juntamente con su puerto, defensas y fortalezas que le pertenecen, dando la dicha propiedad absolutamente para que la tenga y goce con entero derecho y para siempre, sin excepción ni impedimento alguno. Pero, para evitar cualquiera abusos y fraudes en la introducción de las mercaderías, quiere el Rey Católico, y supone que así se ha de entender, que la dicha propiedad se ceda a la Gran Bretaña sin jurisdicción alguna territorial y sin comunicación alguna abierta con el país circunvecino por parte de tierra. Y como la comunicación por mar con la costa de España no puede estar abierta y segura en todos los tiempos, y de aquí puede resultar que los soldados de la guarnición de Gibraltar y los vecinos de aquella ciudad se ven reducidos a grandes angustias, siendo la mente del Rey Católico sólo impedir, como queda dicho más arriba, la introducción fraudulenta de mercaderías por la vía de tierra, se ha acordado que en estos casos se pueda comprar a dinero de contado en tierra de España circunvencina la provisión y demás cosas necesarias para el uso de las tropas del presidio, de los vecinos u de las naves surtas en el puerto.

    Pero si se aprehendieran algunas mercaderías introducidas por Gibraltar, ya para permuta de víveres o ya para otro fin, se adjudicarán al fisco y presentada queja de esta contravención del presente Tratado serán castigados severamente los culpados.
    Y su Majestad Británica, a instancia del Rey Católico consiente y conviene en que no se permita por motivo alguno que judíos ni moros habiten ni tengan domicilio en la dicha ciudad de Gibraltar, ni se dé entrada ni acogida a las naves de guerra moras en el puerto de aquella Ciudad, con lo que se puede cortar la comunicación de España a Ceuta, o ser infestadas las costas españolas por el corso de los moros. Y como hay tratados de amistad, libertad y frecuencia de comercio entre los ingleses y algunas regiones de la costa de Africa, ha de entederse siempre que no se puede negar la entrada en el puerto de Gibraltar a los moros y sus naves que sólo vienen a comerciar.
    Promete también Su Majestad la Reina de Gran Bretaña que a los habitadores de la dicha Ciudad de Gibraltar se les concederá el uso libre de la Religión Católica Romana. Si en algún tiempo a la Corona de la Gran Bretaña le pareciere conveniente dar, vender, enajenar de cualquier modo la propiedad de la dicha Ciudad de Gibraltar, se ha convenido y concordado por este Tratado que se dará a la Corona de España la primera acción antes que a otros para redimirla."

    "Le Roi Catholique, en son nom et celui de ses héritiers et successeurs, cède par ce Traité à la Couronne de Grande-Bretagne la pleine et entière propriété de la ville et des châteaux de Gibraltar, conjointement à son port, défenses et forteresses qui lui appartiennent, donnant ladite propriété de manière absolue afin qu'elle l'ait et en jouisse de plein droit et pour toujours, sans exception ni aucun empêchement.

    Mais, pour éviter de quelconques abus ou fraudes quant à l'introduction des marchandises, le Roi Catholique veut, et suppose qu'il faut le comprendre ainsi, que ladite propriété est cédée à la Grande-Bretagne sans aucune juridiction territoriale et sans aucune communication ouverte par terre avec le pays circonvoisin.

    Et comme la communication par mer avec la côte d'Espagne ne peut être ouverte ni sûre en tout temps, pouvant en résulter que les soldats de la garnison de Gibraltar et les habitants de cette ville se voient soumis à de grandes angoisses, la pensée du Roi Catholique étant seulement d'empêcher, comme dit plus haut, l'introduction frauduleuse de marchandises par voie de terre, il est accordé qu'en ces cas on puisse acheter en argent comptant sur la terre d'Espagne circonvoisine les provisions et autres nécessités servant aux troupes du préside, aux habitants ou aux navires mouillant dans le port.

    Mais si l'on appréhende des marchandises introduites par Gibraltar, pour l'échange de vivres ou à une autre fin, elles seront adjugées au fisc et, une plainte étant présentée pour cette infraction au présent Traité, les coupables seront sévèrement châtiés.

    Et sa Majesté britannique, sur instance du Roi Catholique, consent et convient qu'il n'est permis pour aucun motif que des juifs ou des Maures habitent ou aient un domicile dans ladite ville de Gibraltar ni qu'on laisse entrer ou qu'on accueille les navires de guerre maures dans le port de ladite Ville, la communication entre l'Espagne et Ceuta pouvant en être coupée ou les côtes espagnoles être infestées de corsaires maures. Et des traités d'amitié, de liberté et de fréquence commerciale existant entre les Anglais et quelques régions de la côte d'Afrique, il faut toujours comprendre qu'on ne peut pas refuser l'entrée dans le port de Gibraltar aux Maures et à leurs navires qui viennent seulement commercer.

    Sa Majesté la Reine de Grande-Bretagne promet aussi que sera concédée aux habitants de ladite Ville de Gibraltar la libre pratique de la Religion Catholique Romaine.

    S'il paraissait un jour utile à la Couronne de Grande-Bretagne de donner, vendre, aliéner d'une quelconque manière la propriété de ladite Ville de Gibraltar, il est convenu et accordé par ce Traité qu'on donnera à la Couronne d'Espagne la priorité sur d'autres pour la racheter."


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