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Diffuser des images d'abus policiers, une "infraction grave" ?
Espagne : "loi bâillon" au service de l'austérité néolibérale
 

  

 
Madrid - Protestation d'élus de la Gauche plurielle lors du vote, le 11 décembre 2014 au Congrès des députés, de la polémique "Loi organique de protection de la sécurité citoyenne". (Photo Luis Sevillano / El País)

par Christian GALLOY
 

MADRID, 14 décembre 2014 (LatinReporters.com) - Qualifiée de "Ley mordaza" ("Loi bâillon") par tous les partis d'opposition, qui y voient une atteinte aux droits fondamentaux d'expression, de réunion et de manifestation, la "Loi organique de protection de la sécurité citoyenne" promue par Mariano Rajoy et son Parti populaire (PP, droite gouvernementale) devrait entrer en vigueur en Espagne dans les premiers mois de 2015.

Elle a passé le 11 décembre le cap du Congrès des députés et attend désormais le feu vert du Sénat. Dans les deux chambres, le PP dispose de la majorité absolue.

Mais, en chute libre dans les sondages, le parti gouvernemental est actuellement surpassé par les socialistes et par Podemos, formation issue de la mouvance des indignés. La future nouvelle loi risque donc d'avoir la vie courte, l'opposition étant unanime à promettre son abrogation en cas, très probable, de disparition de la suprématie parlementaire du PP aux élections législatives de l'automne 2015.

Rejetée partiellement ou dans son son intégralité par 82 pour cent des Espagnols selon un sondage de Metroscopia, la "Loi organique de protection de la sécurité citoyenne" contribuera à la défaite électorale prévisible de la droite.

Son existence, si brève puisse-t-elle se révéler, aura au moins confirmé que l'imposition de l'austérité idéologique néolibérale, au nom d'une crise utilisée souvent comme alibi, est appelée à déboucher tôt ou tard sur une dérive autoritaire et antidémocratique.

En l'occurrence, en Espagne, il sera périlleux sous la nouvelle loi de manifester contre la corruption et contre cette austérité qui a raboté les droits des travailleurs, liquidé le caractère universel de la santé publique, atrophié le budget de l'éducation et écrasé de nouveaux impôts les citoyens auxquels le PP avait promis, à la veille des dernières législatives, une baisse de la fiscalité.

Effacement du contrôle judiciaire

"C'est un retour à l'État policier" et "sous prétexte de sécurité, ils veulent rogner les droits des citoyens, imposant le droit administratif et éliminant le contrôle judiciaire" affirme le député socialiste Antonio Trevin.

La loi soumet en effet à la sanction administrative des infractions relevant jusqu'à présent du Code pénal, lequel garantit le contrôle judiciaire. L'administration, soit essentiellement le ministère de l'Intérieur, deviendra ainsi juge et partie, décidant souverainement de l'imposition de sanctions aux auteurs d'infractions "très graves", "graves" ou "légères" sur la base d'attestations policières considérées d'office comme preuves.

Au chapitre des infractions "très graves", assorties d'une amende allant de 30.001 à 600.000 euros, la "Loi organique de protection de la sécurité citoyenne" mentionne notamment "les réunions ou manifestations non communiquées ou interdites dans ou à proximité d'infrastructures ou installations dans lesquelles sont procurés des services de base". Ou encore "la célébration de spectacles publics ou d'activités récréatives rompant l'interdiction ou la suspension ordonnée par l'autorité correspondante pour raisons de sécurité publique".

De nombreuses manifestations contre l'austérité et la corruption qui ont secoué l'Espagne depuis mai 2011 auraient pu entrer dans ces deux catégories.

Parmi les infractions "graves", dont la sanction va de 601 à 30.000 euros, la loi cite "la perturbation grave de la sécurité citoyenne produite à l'occasion de réunions ou manifestations devant le Congrès des députés, le Sénat et les assemblées législatives des communautés autonomes, même s'ils ne sont pas en session". Les sièges du pouvoir politique cités ici ont précisément été souvent les cibles de manifestations d'indignés.

Sont aussi mentionnés "les actes d'obstruction qui prétendent empêcher toute autorité, employé public ou corporation officielle d'exercer légitimement leurs fonctions, l'accomplissement ou l'exécution d'accords ou résolutions administratives ou judiciaires". Les actions citoyennes contre les expulsions de logement, qui se poursuivent au rythme moyen de plus de cent quarante-cinq par jour, sont là implicitement visées.

Madrid - Intervention musclée de la police lors d'une manifestation d'indignés, le 25 septembre 2012 à proximité du Congrès des députés. (Photo Sergio Perez / Reuters)
Il sera risqué de photographier des policiers

Autres infractions "graves" : "La désobéissance ou la résistance à l'autorité ou à ses agents dans l'exercice de leurs fonctions" et, attention, "l'usage non autorisé d'images ou de données personnelles ou professionnelles d'autorités ou de membres des forces et corps de sécurité pouvant mettre en danger la sécurité personnelle ou familiale des agents".

Cette dernière infraction "grave", la plus polémique, a justifié l'expression "Loi bâillon". Même si la loi dit vouloir "respecter le droit fondamental à l'information", l'opposition et la majorité des éditorialistes y décèlent la prétention d'empêcher ou de compliquer la réalisation de photos et de vidéos pouvant attester de brutalités policières lors de manifestations.

Quant aux infractions "légères", avec amende de 100 à 600 euros, elles comprennent, entre autres, "les injures ou manques de respect visant, lors d'une réunion ou d'un rassemblement, un membre des forces et corps de sécurité dans l'exercice de ses fonctions", "l'escalade d'édifices ou de monuments sans autorisation" (forme de protestation qu'utilisent parfois Greenpeace et Amnesty International) ou "le déplacement de barrières, rubans ou autres éléments fixes ou mobiles placés par les forces et corps de sécurité pour délimiter des périmètres de sécurité, fût-ce de manière préventive".

Au Congrès des députés, Miguel Angel Heredia, porte-parole du groupe parlementaire socialiste, assimilait le 7 octobre dernier le projet polémique de loi à "la défense d'un ordre social déterminé, avec une ingérence repoussante des pouvoirs publics dans les droits des citoyens, sous prétexte d'une prétendue efficacité se superposant aux droits et libertés".

"Ceux qui sacrifient la liberté pour la sécurité ou la tranquillité ne méritent ni l'une ni l'autre" poursuivait Miguel Angel Heredia en paraphrasant Benjamin Franklin.

Expulsion immédiate d'immigrants

Enfin, provoquant l'émoi d'une centaine d'ONG et d'institutions espagnoles et européennes, la "Loi organique de protection de la sécurité citoyenne" prétend aussi légaliser, en introduisant subrepticement une réforme de la Loi sur les étrangers, l'expulsion immédiate, sans chercher à savoir s'ils ont droit au statut de réfugié, des immigrants qui franchissent les clôtures de sécurité séparant du Maroc les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla.

"C'est une violation des lois fondamentales internationales concernant les droits de l'homme et j'ajouterais que c'est aussi une violation de la décence humaine élémentaire" a déclaré à l'édition espagnole du Huffington Post le rapporteur spécial des Nations unies pour les droits de l'homme des migrants, François Crépeau.

Pablo Iglesias, secrétaire général de Podemos et député européen, et plus de quarante autres eurodéputés prient, eux, le Conseil de l'Europe de se prononcer sur la légalité de la "Loi bâillon".



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