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Espagne - Crimes du franquisme: parquet contre juge Garzon, accusé d'inquisition anticonstitutionnelle

MADRID, mardi 21 octobre 2008 (LatinReporters.com) - En termes exceptionnellement durs, dénonçant "une inquisition générale prohibée dans notre Constitution", le parquet a fait appel, le 20 octobre à Madrid, de la décision du juge Baltasar Garzon de faire le procès du franquisme en ouvrant l'instruction de 114.266 disparitions forcées pendant la guerre civile d'Espagne (1936-1939) et sous la dictature franquiste (1939-1975).

"Franco et ses généraux accusés de crimes contre l'humanité" titrait le quotidien de gauche Público pour saluer l'instruction contestée du juge Garzon.
Inexistence avant 1945 du concept juridique de crimes contre l'humanité, non rétroactivité des lois, prescription des délits de droit commun, Amnistie générale de 1977 et actuelle Constitution espagnole sont invoquées par le parquet, en l'occurrence le procureur Javier Zaragoza, contre la prétention de Baltasar Garzon de s'ériger en gendarme de l'histoire. Et ce, accuse le procureur, "en adaptant l'application et l'interprétation des normes [légales] à l'obtention d'un résultat prédéterminé".

Procureur en chef du tribunal de l'Audience nationale, haute instance pénale à laquelle appartient le juge Garzon, Javier Zaragoza est membre de l'Union progressiste des procureurs, une mouvance de gauche au sein de la justice. Ses reproches strictement juridiques visant Garzon, par ailleurs jusqu'à présent considéré comme son ami, en sont d'autant plus significatifs dans le dossier émotionnel et généralement politisé des disparus du franquisme. Les adversaires de Garzon, nombreux à droite, boivent du petit-lait. Ils reprocheront davantage encore au magistrat de se préoccuper moins du droit que de peaufiner, persiflent-ils, sa rentable image médiatique (50.000 dollars ou plus par conférence) de justicier universel acquise il y a dix ans en poursuivant l'ex-dictateur chilien Augusto Pinochet.

Dans son recours de 41 pages, Javier Zaragoza ne s'oppose pas à l'ouverture de fosses communes de victimes républicaines du franquisme. En lançant le 16 octobre son instruction aujourd'hui contestée, le juge Garzon ordonnait l'ouverture de 19 fosses, dont celle où, croit-on, a été jeté le poète Federico Garcia Lorca, fusillé le 18 août 1936 près de Grenade. Mais le procureur rappelle qu'aux termes de la loi dite de la Mémoire historique, votée en 2007 par le Parlement espagnol, les pouvoirs publics [paresseux, il est vrai - ndlr] sont déjà censés collaborer à la recherche des fosses communes, ainsi qu'à l'identification de ceux qui y sont enterrés.

Tant qu'il ne sera pas tranché par une salle supérieure, l'appel interjeté par Javier Zaragoza ne paralysera toutefois pas l'instruction du juge Garzon ni les exhumations qu'il a ordonnées.

Dans son arrêt du 16 octobre, le juge estimait que les disparitions forcées constituent, "dans un contexte de crimes contre l'humanité", de possibles délits de "détention illégale permanente", donc non prescrits jusqu'à l'apparition des restes des disparus. Il affirmait aussi que "toute loi d'amnistie qui cherche à blanchir un crime contre l'humanité (...) sera nulle de plein droit".

Le procureur Zaragoza souligne, lui, qu'à l'époque de la guerre civile ni le droit international ni le droit espagnol n'avaient codifié le concept de crimes contre l'humanité, appliqué pour la première fois par un tribunal en 1945, au procès de Nuremberg contre des dirigeants de l'Allemagne nazie, et inséré plusieurs décennies plus tard dans la législation espagnole.

Le principe de non rétroactivité des lois [respecté par la Cour pénale internationale de La Haye, non habilitée à connaître de crimes contre l'humanité commis avant son installation, en juillet 2002 - ndlr] interdirait donc à Baltasar Garzon, argumente le procureur Zaragoza, d'appliquer à un passé lointain des concepts juridiques plus récents. Quant au caractère "permanent" des disparitions forcées, le procureur n'y voit qu'un artifice insoutenable dans la mesure où, selon le bon sens, les disparus sont hélas morts depuis longtemps.

Ayant ainsi écarté l'imputation de crimes contre l'humanité, Javier Zaragoza en déduit nécessairement que les crimes du franquisme sont juridiquement, compte tenu des législations en vigueur à l'époque où ils ont été commis, des crimes de droit commun, amnistiables, prescriptibles et relevant de juridictions régionales, mais non de l'Audience nationale où officie le juge Garzon. Dans son optique juridique imperméable à l'émotion et à la politique, le procureur considère ces crimes prescrits ou effacés par l'Amnistie générale d'octobre 1977, promulguée quasi deux ans après la mort de Franco.

Contrairement au juge Garzon, Javier Zaragoza rejette l'assimilation de l'amnistie espagnole de 1977 à celles, souvent annulées, qui couvraient en Amérique latine les responsables d'anciennes dictatures. En Espagne, rappelle le procureur, l'amnistie n'était pas réclamée par les héritiers du franquisme, mais par les forces démocratiques. Elle fut votée par le Parlement issu des premières élections législatives libres de l'après-franquisme, celles du 15 juin 1977, et elle profita même à des terroristes d'extrême gauche [militants de l'ETA et des GRAPO - ndlr].

En affirmant que "les doutes légitimes d'un juge ou d'un tribunal sur la constitutionnalité d'une loi ne peuvent jamais se résoudre par l'inapplication de la loi, mais bien en présentant un recours d'inconstitutionnalité", le procureur Zaragoza signifie clairement que le juge Garzon n'a pas le pouvoir juridique de déclarer nulle la loi d'amnistie de 1977.

Prêtant à Baltasar Garzon "la prétention de connaître de tout et de tous dans une seule procédure" [l'instruction contestée sur les crimes du franquisme; ndlr], Javier Zaragoza y voit "une rupture des règles les plus élémentaires de la procédure pénale, débouchant inévitablement sur une inquisition générale prohibée dans notre Constitution". [Référence probable à l'article 117 de la Charte suprême espagnole. Il indique notamment que "Les juges et les tribunaux n'exerceront pas d'autres fonctions que celles expressément attribuées par la loi"- ndlr].


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LA JUSTICE PARALYSE
LES EXHUMATIONS
ORDONNÉES PAR
LE JUGE GARZON

MADRID, vendredi 7 novembre 2008 (LatinReporters) - L'ouverture de fosses communes ordonnée par le juge Baltasar Garzon dans le cadre de son instruction sur la disparition de républicains pendant la guerre civile et sous le franquisme a été paralysée "par précaution" le 7 novembre par la justice espagnole à la demande du procureur Javier Zaragoza.

La décision a été prise par 10 voix contre 5 en séance plénière extraordinaire des juges du tribunal de l'Audience nationale, instance à laquelle appartient le juge Garzon. Les exhumations resteront suspendues tant que ne sera pas tranché l'appel par lequel le procureur Zaragoza conteste tant la compétence du juge Garzon que le bien fondé juridique de son instruction, la première jamais ouverte en Espagne sur les crimes du franquisme.

La principale association de familles de victimes républicaines de la guerre civile et de la dictature du général Franco y voit une "décision politique" contre laquelle elle envisage de recourir. Par contre, la famille du célèbre poète Federico Garcia Lorca, fusillé en 1936 près de Grenade par les franquistes, dit "respecter" les décisions de la justice. Ainsi, elle ne s'était pas opposée à la prochaine ouverture, ordonnée par le juge Garzon et maintenant paralysée, de la fosse commune dans laquelle aurait été jeté Lorca. Sa famille rappelle néanmoins aujourd'hui qu'elle n'a jamais souhaité l'ouverture de cette fosse.

Le cas particulier des Lorca a probablement inspiré la décision collégiale de l'Audience nationale lorsqu'elle dit vouloir éviter des "dommages irréparables" en suspendant les exhumations "par précaution".

Fin octobre, appuyant le juge Garzon et rappelant que les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles, le Comité des droits de l'homme de l'ONU invitait l'Espagne à abroger l'amnistie de 1977 invoquée par le procureur Zaragoza pour contester l'instruction désormais suspendue. Selon le procureur, ni le droit international ni le droit espagnol n'avaient codifié le concept de crimes contre l'humanité à l'époque de la guerre civile d'Espagne (1936-1939).
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