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L'Amérique du Sud doit relancer son intégration avant de négocier le libre-échange avec le "loup" américain

nous dit le ministre vénézuélien des Affaires étrangères, Roy Chaderton

Roy Chaderton, ministre vénézuélien des Affaires étrangères. A sa droite, un portrait de José de San Martín, l'un des "libertadores" historiques de l'Amérique du Sud.
Photo Norma Domínguez
Interview réalisée par Norma Domínguez

BUENOS AIRES, vendredi 1er août 2003 (LatinReporters.com) - Les pays d'Amérique du Sud devraient relancer leur propre intégration avant de négocier la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA ou ALCA) (1) face au "loup" américain qui conçoit l'intégration comme une victoire à remporter sur ses partenaires...

Exprimée avec une conviction feutrée dans l'interview que nous a accordée à Buenos Aires le ministre vénézuélien des Affaires étrangères, Roy Chaderton, cette résistance continentale à l'omnipotence des Etats-Unis reste le principal message diplomatique diffusé par le Venezuela du président pro-castriste Hugo Chavez.

Le président argentin Nestor Kirchner recevra successivement, au cours des prochains mois, les chefs d'Etat du Venezuela, du Chili, du Brésil et d'Uruguay afin de signer des accords bilatéraux et de consolider l'espace latino-américain. Dans cette optique, le président vénézuélien Hugo Chavez, satisfait des récents changements de présidence en Argentine et au Brésil, sera à Buenos Aires les 17 et 18 août. La coopération entre le Mercosur (2) et la Communauté andine de nations (CAN) (3) sera au menu de sa visite. Ces deux organisations étudient leur union au sein d'un accord de libre-échange qui renforcerait le poids de l'Amérique du Sud et en particulier du Brésil face aux Etats-Unis.

Préparant la rencontre Kirchner-Chavez, le ministre Roy Chaderton était reçu jeudi à Buenos Aires par son homologue argentin, Rafael Bielsa. Voici l'essentiel de l'entretien, le même jour, du chef de la diplomatie vénézuélienne avec notre journaliste Norma Domínguez.

(1) ZLEA ou ALCA: la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA), plus connue sous son sigle originel espagnol ALCA (Area de Libre Comercio de las Américas), devrait, en principe, devenir une réalité dès 2005. Avec 800 millions de consommateurs potentiels, elle constituerait, de l'Alaska à la Terre de Feu, la plus vaste zone de libre-échange de la planète. La ZLEA/ALCA est l'une des priorités à la fois politique et économique du président américain George W. Bush.

(2) Mercosur: Marché commun sud-américain lancé en 1991 par l'Argentine, le Brésil, le Paraguay et l'Uruguay. Le Chili et la Bolivie n'en sont que des membres associés. La crise argentine avait fait douter de l'avenir de ce processus d'intégration régionale.

(3) Communauté andine de nations (CAN): créée en 1969, elle regroupe la Bolivie, la Colombie, le Pérou, l'Equateur et le Venezuela, soit 113 millions d'habitants (chiffre de l'an 2000). Ses membres avaient notamment l'ambition de créer une union douanière qui n'a jamais vraiment pris corps.

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-Il y a, je crois, une perception généralisée d'un rapprochement marqué entre le Venezuela et l'Argentine et cela ne semblait pas se produire depuis un certain nombre d'années...

"Dans les relations entre les deux pays, il y a des marques indélébiles qui passent généralement inaperçues. Il existe des points de repère historiques: l'Argentine appuya le Venezuela quand les puissances navales européennes bloquèrent nos côtes pour exiger le paiement obligatoire de la dette externe. L'action argentine, dont découla la doctrine Drago, renforça alors la position vénézuélienne et on opposa un front international à cette tentative (de blocus). Malheureusement, cent ans après ce décembre 1902, en décembre 2002, ce furent les Vénézuéliens eux-mêmes qui bloquèrent les côtes du pays pendant le sabotage pétrolier. L'empreinte argentine n'en demeure pas moins.

Le temps passa et vint l'étape du péronisme, qui suscita beaucoup d'adhésion et de sympathie au Venezuela, et Peron s'exila ensuite dans notre pays où il trouva du soutien. Egalement à l'époque de la Guerre des Malouines, le Venezuela fut très solidaire de l'Argentine et livra une bataille diplomatique en son nom.

Mais indépendamment de tout cela, il y a toute l'empreinte de la vie culturelle argentine, si forte et étonnante qu'on se met à rappeler des noms, des faits ou des secteurs de la relation bilatérale et on trouve une présence argentine impressionnante au Venezuela, au point que je pourrais vous dire qu'elle se reflète dans ma propre culture personnelle. Et mon cas n'est pas particulier. Nous sommes nombreux les Vénézuéliens appartenant à la génération de Billiken, de Patouruzú et de la Mafalda de Quino.

Je vous raconte cela pour vous dire que ce moment est peut-être le meilleur dans les relations entre les deux pays. Dans l'euphorie néo-libérale, nous nous étions oubliés, éloignés. C'est lors des étapes de réflexion entre les deux pays que nous nous apprécions le plus et ce moment est opportun pour récupérer les idéaux, les imbriquer dans nos efforts communs, tout en recherchant un bénéfice très pragmatique. N'oublions pas que les bons négoces génèrent des richesses pour les chefs d'entreprise, mais aussi de la prospérité pour les pays, car ils multiplient les sources d'emploi. A l'heure actuelle, nous nous redécouvrons de manière idéaliste, enchanteresse, mais en même temps utilitaire, au meilleur sens du terme."

"Le loup pourrait nous dévorer"

-Ce week-end, à Montevideo, vous participerez à la réunion des ministres des Relations extérieures du Mercosur et de la Communauté andine de nations (CAN). Comment définissez-vous les relations entre le Mercosur et la CAN?

"Les relations entre le Mercosur et la CAN sont une nécessité. Nous ne pouvons pas, dans le monde, marcher dispersés et fragiles, car le loup pourrait nous dévorer. Et le loup est la conséquence des erreurs que nous pouvons commettre. Historiquement, nous nous sommes désagrégés après avoir été les précurseurs -spécialement l'Argentine et le Venezuela- de processus d'intégration.

De nos jours, à nouveau, commence à circuler un bon air sur le continent, à se réoxygéner l'atmosphère et, par conséquent, à renaître -ou naître, dans quelques cas- des espoirs de pouvoir travailler et combattre ensemble de la manière la plus pragmatique du monde. Parce qu'au-delà de tous les idéaux qui peuvent soutenir une action politique et une définition en termes de caractère économique, il existe un potentiel de bénéfices qui peuvent découler d'une union des deux schémas d'intégration: le nord andin et le sud Mercosur. Mieux vaut donc chercher cet espace commun à partir duquel nous pourrons négocier avec d'autres schémas d'intégration."

-A cette réunion en Uruguay du Mercosur et de la Communauté Andine, j'imagine qu'on parlera à nouveau de l'ALCA (Zone de libre-échange des Amériques). Quelle est la position du Venezuela à ce sujet ?

"Celle que nous maintenons depuis le début. D'abord nous ne pouvons pas aller négocier seuls ni dispersés avec un partenaire aussi fort (les Etats-Unis), qui n'a pas en outre une culture importante de l'intégration (sauf l'endogène) si l'on compare avec celle de l'Europe, où de grandes souffrances et des expériences historiques tragiques ont débouché sur la reconnaissance de la nécessité de l'intégration pour assurer la paix, la croissance et le bénéfice mutuel. Cela fait des négociateurs européens des gens plus flexibles, car ils comprennent les problèmes, les carences et les déséquilibres qu'affrontent les autres interlocuteurs. Par contre, selon mon critère personnel, les négociateurs américains agissent parfois avec ce concept de victoire sur l'autre partie au lieu de privilégier les bénéfices mutuels."

-Le Brésil est comme le géant du Mercosur et de l'Amérique du Sud. Les relations du Venezuela avec le Brésil sont-elles comme vous l'espériez à l'arrivée au pouvoir de Lula? (Luiz Inacio Lula da Silva est président du Brésil depuis le 1er janvier 2003).

"On spécule beaucoup à ce sujet, en faisant souvent jouer un élément de manière injuste. On considère souvent injustement l'extrême prudence et la précaution de la diplomatie brésilienne. Mais je vous confie que je ressens la diplomatie brésilienne comme très proche du Venezuela, spécialement en ce moment, avec les variations normales dans les réalités de deux pays qui peuvent parfois ne pas coïncider dans certaines affaires. Je pense que nous allons dans la même direction de renforcement de ces schémas d'intégration.

Il y a en outre quelque chose en commun entre nos pays (Venezuela, Argentine et Brésil), à savoir les engagements de progrès et d'avancée sociale pour nous rapprocher de la justice sociale, chacun dans ses propres réalités.

Il existe un secteur de conscience énorme sur le Continent. La justice sociale est désormais un engagement et une nécessité après les traumatismes que nous avons soufferts à cause des excès du néo-libéralisme dans nos pays et de l'insensibilité progressive des classes dirigeantes qui oublièrent ceux qu'elles représentaient."

-Vous êtes en quelque sorte le visage visible du Venezuela lorsque, en votre qualité de ministre des Affaires étrangères, vous visitez divers pays. Comment êtes-vous reçu? A travers vous, critique-t-on ou appuie-t-on le gouvernement de Hugo Chavez?

"Je reçois appuis et critiques et en outre de la désinformation. Comme le Venezuela souffre d'une dictature médiatique, il arrive que parfois quelques dirigeants ou médias d'autres pays ne prennent pas la peine de chercher une information alternative et ils se guident par ce que disent des médias (vénézuéliens) qui ont pratiquement remplacé les partis traditionnels. Ainsi, les médias qui, pour sûr, ne sont pas obligés à rendre des comptes comme les partis politiques ont occupé l'espace de l'opposition. Mais il y a aussi beaucoup de curiosité, ce qui nous permet de trouver un dialogue."

-Ce rôle de protagoniste des médias vénézuéliens, à quoi l'attribuez-vous?

"Depuis de nombreuses années, les médias suivent une stratégie de disqualification des partis politiques, dans le but de favoriser des initiatives qui répondent aux intérêts privés des grands seigneurs des médias. Matin, midi et soir, on a ainsi disqualifié progressivement les partis politiques. On acculait les politiciens dans des interviews, on les ridiculisait, on les disqualifiait... Je parle d'un processus développé pendant plus de vingt ans... Ces messieurs, qui rêvaient d'établir une espèce de "gérenciocratie", ont buté à mi-chemin sur une rébellion et une subversion de caractère militaire, d'un profond contenu social, qui leur changea le panorama politique..."

Les relations avec Washington sont "améliorables"

-Après la guerre des Etats-Unis et de leurs alliés en Irak, percevez-vous une mutation du sentiment des pays latino-américains à l'égard des Etats-Unis?

"Je crois que le sentiment de la région est étroitement lié au respect du droit international, de l'Organisation des Nations unies, des décisions du Conseil de la Sécurité, de la vision que le système international disposait des éléments pour assurer la paix et éviter la tragédie d'une guerre... Evidemment les actions entreprises (en Irak) ne peuvent pas inciter à l'estime et moins encore à l'appui de nos pays."

-Comment sont actuellement les relations du Venezuela avec les États Unis ?

"Améliorables. Je ne crois pas qu'il y ait à tous les niveaux une compréhension et une bonne volonté envers les efforts que nous faisons et je considère qu'il y a aussi une désinformation. Souvent il y a des réponses basées sur la politique interne des Etats-Unis ou sur les vieux liens de quelques autorités américaines avec la classe déplacée de dirigeants politiques (vénézuéliens). Mais d'autre part, il y a des réponses très pragmatiques et des leaders américains, au gouvernement comme dans l'opposition, ont une lecture plus réaliste du problème national."

-Jusqu'à quel point croyez-vous que la relation du président vénézuélien Hugo Chavez avec le président cubain Fidel Castro influe-t-elle sur le regard négatif que portent lers Etats-Unis sur le gouvernement vénézuélien?

"Si ce n'était pas cela, il faudrait inventer une autre excuse. Si aux Etats-Unis des secteurs (y compris des secteurs à l'origine non américains) s'opposent à cette politique, c'est parce qu'elle touche des intérêts. Mais nos relations commerciales et économiques avec les Etats-Unis sont bonnes, elles ont des perspectives excellentes, aussi une vision pragmatique ne peut-elle que favoriser l'amélioration de ces relations pour arriver à progresser dans le secteur politique, là précisément où il nous faut effectuer un travail supplémentaire."

-Croyez-vous qu'il y aura finalement, au Venezuela, un référendum révocatoire (contre le président Chavez)?

"Je le vois difficilement venir, car l'opposition utilise les voies putschistes au lieu de recourir à une norme telle que le référendum révocatoire, qui est en outre inscrit dans la Constitution. Ils (les opposants) prétendent même que ce référendum est l'une de leurs idées surgie à la table de négociations, ce qui est totalement faux puisque ce fut une initiative du gouvernement du Venezuela au moment de l'élaboration de la nouvelle Constitution. Comme ils ne parviennent pas à s'unir et comme d'une certaine manière ils sont irresponsables envers leurs propres intérêts, ils ne cessent de dénoncer le gouvernement comme saboteur potentiel du référendum révocatoire. Ils consacrent à cela beaucoup de temps, au lieu de se dédier à gagner la volonté populaire et à tenter d'arracher par des voies démocratiques l'appui populaire que peut avoir le Président Chavez."

-Comment évaluez-vous la réponse de la communauté internationale au putsch qui (en avril 2002) a éloigné brièvement le président Chavez du pouvoir?

"Dans quelques cas, la réaction fut ambiguë ou vacillante. Ce fut le produit de la désinformation et des liens traditionnels de certains pays avec les partis qui se sont répartis le pouvoir démocratique au Venezuela pendant de nombreuses années avant de gâcher leur oeuvre par leurs erreurs. Mais il y eut aussi d'autres pays qui se sont montrés plus clairs et plus directs dans l'appui à la démocratie vénézuélienne.

Nous devons reconnaître aussi que ce fut le produit des erreurs que nous avons commises pour faire connaître les modalités et les particularités du processus démocratique qu'a mené le Venezuela.

En ce sens nous nous sommes beaucoup améliorés, étant disposés -ce qui est très commode pour nous- à ouvrir nos portes à tous ceux qui veulent venir dans notre pays. Comme c'est une démocratie tellement ouverte, avec tant de liberté d'expression, nous pensons qu'il vaut mieux faire venir tous ceux qui pensent qu'il n'y a pas de liberté d'expression et que ce n'est pas une démocratie ouverte. Qu'ils viennent au pays et qu'ils le parcourent jusqu'où ils le veulent dans une plénitude de libertés pour aboutir à leurs propres conclusions. Je crois que nous avons récupéré et gagné de nouveaux terrains."

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