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Globalisation non coupable, selon l'écrivain et historien mexicain Enrique Krauze

Sous-développement en Amérique latine: les 4 cavaliers de l'Apocalypse

"Militarisme, marxisme révolutionnaire, caudillisme populiste et économie étatisée"...

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MADRID, mardi 20 janvier 2004 (LatinReporters.com) - Pauvreté et sous-développement ont des causes externes et endogènes. A Bombay, les altermondialistes du 4e Forum social mondial peuvent aujourd'hui constater que le système ancestral des castes, antérieur à la notion de globalisation, contribue avec ses millions d'intouchables à la misère et à l'injustice sociale en Inde. Célébrées en Amérique latine, à Porto Alegre (Brésil), les trois éditions précédentes du Forum social mondial n'avaient pour cibles que le libéralisme économique et la globalisation. Elles ignorèrent les causes endogènes du sous-développement latino-américain, "les 4 cavaliers de l'Apocalypse" décrits par l'écrivain et historien mexicain Enrique Krauze.

Un "dissident" écouté

Attribuer le retard économique et social de l'Amérique latine à des causes endogènes plutôt qu'à la globalisation donne à Enrique Krauze l'allure d'un dissident dans un monde médiatique à l'écoute permanente de l'altermondialisme.

Cet écrivain mexicain a pourtant ses entrées régulières dans les colonnes du Monde, d'El Pais et du Washington Post, journaux de l'intelligentsia dite progressiste de leur pays respectif, la France, l'Espagne et les Etats-Unis.

Membre de l'Académie mexicaine de l'histoire, né à Mexico en 1947, ingénieur industriel et docteur en histoire, Enrique Krauze dirige la revue Letras Libres (Lettres libres). La passion démocratique de cet écrivain se reflète dans divers ouvrages critiques du pouvoir, tels que "Por una democracia sin adjetivos" (Pour une démocratie sans adjectifs, 1986), "Textos heréticos" (Textes hérétiques, 1992) "Tiempo contado" (Temps compté, 1996) ou "Tarea politica" (Tâche politique, 2000).

Il est aussi l'auteur de séries documentaires télévisées sur l'histoire mexicaine.

A l'exception de Cuba, tous les Etats latino-américains ont rejoint au cours des années 80 et 90 du siècle dernier le camp de la démocratie, appliquée avec plus ou moins de conviction selon les pays. "Le militarisme, le marxisme révolutionnaire, le caudillisme populiste et l'économie étatisée", soit, selon Enrique Krauze, "les 4 cavaliers de notre Apocalypse", battirent alors en retraite.

Mais même si la démocratie demeure aujourd'hui l'unique voie légitime vers le pouvoir en Amérique latine, "les 4 cavaliers chevauchent à nouveau" avertit l'écrivain mexicain. Il soutient cette thèse notamment dans une tribune libre publiée récemment par l'influent quotidien madrilène El Pais, journal de référence de l'intelligentsia espagnole de centre gauche.

Enrique Krauze ne dit mot du 5e cavalier que pourrait être la corruption, galopante en Amérique latine et épinglée, plus prudemment que ne le souhaitait Washington, par le Sommet extraordinaire des Amériques réuni la semaine dernière à Monterrey (Mexique).

"Le militarisme demeure dans la pénombre non parce que les militaires, dans divers pays, manquent de force, mais parce qu'ils n'ont plus de prestige politique ni un projet alternatif. En outre, la nouvelle universalité des droits de l'homme compliquerait leur retour au pouvoir" écrit Enrique Krauze. "Néanmoins, poursuit-il, comme on l'a vu dans le cas vénézuélien, les militaires peuvent revêtir la peau d'agneau de l'uniforme civil, arriver au pouvoir grâce à des élections et ensuite, à la manière d'Hitler, utiliser la démocratie pour en finir avec la démocratie. Le militarisme est un paradigme latent".

A propos des racines du militarisme latino-américain, Enrique Krauze ne rappelle pas qu'elles avaient été fortifiées par le soutien des Etats-Unis, jusqu'aux années 80, à des dictatures militaires d'extrême droite.

Quant au "marxisme révolutionnaire", Enrique Krauze l'estime "en baisse". Il croit que "la guérilla colombienne -mélange d'idéologie, de terrorisme et de drogue- l'a discrédité davantage".

"Mais, enchaîne l'écrivain mexicain, aujourd'hui les révolutions n'ont plus besoin des idées marxistes, car elles ont à leur disposition la bannière puissante de l'indigénisme", qui peut prendre la forme d'un "fondamentalisme doux, antioccidental et révolutionnaire". Et de citer les risques que présenteraient à ce propos la Bolivie, l'Equateur -deux pays à forte communauté amérindienne-, ainsi que "le néozapatisme mexicain", surgi dans "l'unique zone historique" du Mexique qui échappa au métissage.

A propos du populisme, qui provoqua dans les années 70 la débâcle économique du Mexique, du Pérou et d'autres pays, Enrique Krauze estime que "son secret est de troubler le discernement de la société en promettant un paradis terrestre qui, évidemment, ne se matérialise jamais. Et au lieu de reconnaître son échec, il l'impute toujours aux oligarchies internes et à l'impérialisme."

L'écrivain mexicain vise à nouveau ici le Venezuela et son président, Hugo Chavez. "Malheureusement, dit-il, le populisme s'est enorgueilli au Venezuela. Chavez a adultéré l'essence de la démocratie, réduisant les libertés et semant parmi son peuple la mauvaise herbe de la rancoeur sociale. Sa seule vocation est de demeurer au pouvoir".

Enrique Krauze prétend que "Chavez bénéficie du désenchantement à l'égard des politiques économiques de libre marché appliquées depuis la fin des années 80. La prospérité qu'on nous avait promise ne vint pas et la région -à l'exception manifeste du Chili et dans une certaine mesure du Mexique et de certaines économies centraméricaines- a stagné et parfois reculé, le cas argentin étant le plus évident".

Estimant que "le débat est ouvert" sur le plan économique, Enrique Krauze n'en croit pas moins que "à la différence des schémas populistes et étatiques, qui disposèrent de longues décades pour ruiner nos économies, les politiques libérales n'ont pas été orchestrées avec l'amplitude et la profondeur satisfaisantes et elles ont pas joui d'un temps suffisant pour montrer leurs bienfaits".

Sur ce point, l'intellectuel mexicain appelle les Etats-Unis et l'Europe à mettre fin à un protectionnisme, en faveur notamment de leurs agriculteurs, qui "non seulement contredit, mais aussi discrédite le projet de la globalisation". Ce protectionnisme, qui frappe durement les économies latino-américaines, Enrique Krauze le qualifie "d'injustice, d'erreur de proportions historiques".

Il accuse par ailleurs l'intelligentsia latino-américaine d'avoir été "un facteur clef du sous-développement". Et cela pour être "plus doctrinaire que critique", pour adopter "une attitude antilibérale qui favorise et renforce les quatre paradigmes de la stagnation".

A la plupart des intellectuels, certes ennemis des dictatures de droite, il leur reproche de "ne pas voir d'un mauvais oeil certains militaires dits de gauche: Fidel Castro, les sandinistes et maintenant Hugo Chavez". Enrique Krauze croit qu'après l'échec du socialisme réel, une telle intelligentsia mise actuellement sur "le populisme politique et économique".

"L'Amérique latine n'est ni l'Afrique ni le monde islamique. C'est un pôle excentrique de l'Occident, mais c'est l'Occident. Pour continuer à l'être, elle a besoin de tourner les yeux vers l'Espagne moderne, non vers le passé indigène ou celui des vice-rois. Elle a besoin de jeter à la poubelle de l'histoire les quatre paradigmes de notre retard ancestral" conclut Enrique Krauze.

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