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Difficultés de l'intégration économique et politique en Amérique du Sud

Le gaz pollue les relations du Chili avec l'Argentine et la Bolivie

Pérou, Uruguay, Brésil et Venezuela impliqués à titres divers

Buenos Aires, 21 avril: le président argentin Nestor Kirchner (à gauche) et le bolivien Carlos Mesa signent l'accord qui exclut le Chili.
Photo Presidencia de la Nación
BUENOS AIRES, vendredi 30 avril 2004 (LatinReporters.com) - En proie à une crise énergétique, l'Argentine réduit ses exportations de gaz naturel vitales pour le Chili. L'abondant gaz bolivien soulagera les Argentins, à la condition, imposée par La Paz, qu'ils ne revendent pas aux Chiliens un éventuel surplus. Ennemi historique de la Bolivie, le Chili est ainsi la victime d'une relation triangulaire polluée par le gaz. Le Pérou, l'Uruguay, le Brésil et le Venezuela sont impliqués à titres divers dans ce dossier révélateur des difficultés de l'intégration économique et politique en Amérique du Sud.

Une sécheresse prolongée, le froid précoce de l'automne austral, la reprise économique provoquant une demande accrue d'énergie difficile à satisfaire à cause d'investissements insuffisants pendant plusieurs années de dépression: ces facteurs conjugués expliquent l'actuelle crise énergétique en Argentine.

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Pour assurer l'approvisionnement interne, le gouvernement péroniste de Nestor Kirchner réduisait début avril de 3,3 millions de mètres cubes par jour ses exportations de gaz vers le Chili. Le 24 avril, 950.000 mètres cubes quotidiens supplémentaires dramatisaient ce rationnement. Le quart des exportations argentines de gaz vers son voisin occidental est ainsi suspendu. Or, le Chili importe d'Argentine 90% du gaz naturel qu'il consomme et 35% de l'électricité chilienne dépend de ce combustible importé.

Le Chili accuse l'Argentine de bafouer l'accord d'approvisionnement signé en 1995. A Santiago, le malaise devenait colère lorsque, le 21 avril, le président argentin Nestor Kirchner et son homologue bolivien Carlos Mesa signaient à Buenos Aires l'achat par l'Argentine à la Bolivie de quatre millions de mètres cubes quotidiens de gaz naturel pendant six mois, sous la condition que ce gaz ne soit pas revendu ensuite à "des pays tiers", une allusion à peine voilée au Chili. Réaction immédiate du gouvernement chilien du président Ricardo Lagos: suspension de toutes les négociations commerciales avec la Bolivie et menace d'une plainte auprès de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Confiance rompue et insécurité juridique

Quelques jours plus tôt, le président Lagos, un socialiste pourtant politiquement proche de l'Argentin Nestor Kirchner, déclarait que "la confiance est rompue" entre le Chili et l'Argentine. Un voyage éclair à Buenos Aires de la ministre chilienne des Relations extérieures, Soledad Alvear, a débouché sur la mise en place d'une commission bilatérale de négociation. Si elle échouait, le Chili en appellerait sans doute effectivement à l'arbitrage international.

Nestor Kirchner et le chef du cabinet de ses ministres, Alberto Fernandez, estiment n'avoir violé aucun traité, la loi argentine établissant la priorité des nécessités intérieures. Ils prétendent en outre que ce n'est pas l'Argentine en tant que telle qui est habilitée à vendre du gaz, mais des sociétés pétrolières qui ont trop peu investi ces dernières années pour pouvoir tenir aujourd'hui leurs engagements. La chilienne Soledad Alvear réplique qu'un accord international, en l'occurrence celui de 1995, prévaut contre les lois nationales. Pas vraiment, estime en substance le gouvernement argentin, car "notre Parlement n'a jamais ratifié cet accord".

Donc un accord non ratifié était tout de même appliqué jusqu'à sa suspension actuelle, justifiée par sa non ratification...! Difficile d'imaginer une meilleure illustration de l'insécurité juridique, qui est l'une des causes du retard économique et social de l'Amérique latine.

Le 11 mai, le président argentin Nestor Kirchner présentera un "plan d'infrastructures" visant à assurer l'approvisionnement énergétique. Dans ce cadre, le gouvernement de Buenos Aires étudie la création d'une compagnie pétrolière publique. Elle marquerait le retour de l'Etat dans le secteur après la privatisation, en 1992, d'YPF (Yacimientos Petrolíferos Fiscales).

Quant au président de la Bolivie, Carlos Mesa, il ne cache pas sa satisfaction d'avoir contribué à acculer le Chili. Les Boliviens nourrissent une haine historique contre les Chiliens, qui leur enlevèrent 400 km de façade maritime lors de la Guerre du Pacifique (1879-1883), privant depuis la Bolivie de tout accès à la mer. La restitution d'une fenêtre sur le Pacifique est une revendication constante adressée au Chili par tout gouvernement bolivien.

Les réserves de gaz naturel de la Bolivie sont les plus importantes d'Amérique du Sud après celles du Venezuela. Les projets de son exportation vers le Mexique et les Etats-Unis furent le détonateur essentiel, en septembre et octobre derniers en Bolivie, d'une violente convulsion sociale appelée "guerre du gaz". Elle fit plus de 80 morts et provoqua la chute et l'exil aux Etats-Unis du président Gonzalo Sanchez de Lozada, auquel succéda constitutionnellement son vice-président Carlos Mesa.

Cette "guerre du gaz" était avivée par la conviction des communautés indiennes et des syndicats boliviens que le gaz allait être exporté vers l'Amérique du Nord via le Chili. Le Pérou, également candidat à abriter le terminal d'exportation, est préféré par la majorité des Boliviens, mais les multinationales concernées prétendent que la voie péruvienne ne serait pas rentable. Le 18 juillet prochain, un référendum annoncé par Carlos Mesa devrait trancher la question.

Dans l'immédiat, le Chili, meilleur élève de la classe économique en Amérique latine, doit remplacer le gaz argentin par des hydrocarbures importés pour faire tourner les centrales électriques de ses régions septentrionales. Les tarifs de l'électricité en seront relevés de 2 à 3%.

La presse de Santiago n'hésite pas à affirmer que pour des motifs moins substantiels le Chili et l'Argentine furent au bord de la guerre lors de la crise frontalière du canal de Beagle, réglée in extremis en 1984 par une médiation du Pape. Et le sénateur démocrate-chrétien chilien Gabriel Valdés, membre de la coalition parlementaire qui soutient le président Lagos, avertit pour sa part la Bolivie que son attitude l'éloigne davantage d'un accès au Pacifique...

Ni la ZLEA ni le Mercosur n'en seront renforcés

Sur le versant atlantique, l'Uruguay, également frappé par une sécheresse qui a réduit sa production hydroélectrique, ressent aussi les effets de la crise énergétique argentine. Depuis la mi-mars, Buenos Aires a suspendu deux de ses trois contrats de fourniture d'électricité à son petit voisin. L'Uruguay doit réactiver des centrales thermiques et les alimenter, comme le Chili dans ses provinces du Nord, par des hydrocarbures importés qui renchérissent l'électricité.

Le Brésil envoie à l'Argentine une aide d'urgence de 500 mégawatts par heure d'énergie électrique, mais à un prix plus de deux fois supérieur à celui des mégawatts thermiques des centrales argentines. N'important que peu de gaz argentin, le Brésil est néanmoins touché aussi, ponctuellement seulement, par les restrictions à l'exportation décidées à Buenos Aires.

Enfin, le Venezuela, 3e producteur mondial de pétrole, saisit l'occasion d'étendre l'influence continentale de son régime pro-cubain. Le président vénézuélien Hugo Chavez enverra 5,5 millions de barils de fuel pour alimenter les centrales thermiques argentines en échange de bétail et d'équipements argentins. Le gouvernement de Caracas estime que ce troc commercial "favorise le progrès économique mutuel dans le cadre de l'intégration de l'Amérique latine". Le président Chavez soutient par ailleurs la revendication bolivienne d'un accès à la mer.

Vieux conflits historiques, frein à la libéralisation économique et vapeurs idéologiques se mêlent donc dans le dossier continental du gaz naturel. Ni la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) prévue pour 2005 ni son alternative régionale que pourrait constituer le Mercosur, le marché commun sud-américain, n'en seront renforcés.

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