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Comme les Basques, les Catalans prétendent s'autodéterminer
Se voulant "nation", la Catalogne inquiète l'Espagne

Le socialiste José Luis Rodriguez Zapatero. Il doit beaucoup aux Catalans - Photo PSOE
par Christian Galloy
Analyste politique, directeur de LatinReporters.com

MADRID, lundi 3 octobre 2005 (LatinReporters.com) - La Catalogne, riche région de 6,5 millions d'habitants, est une "nation" dont les citoyens ont "le devoir de déterminer librement leur futur en tant que peuple". Ce bras d'honneur à l'Espagne sert de préambule au projet d'un nouveau statut d'autonomie catalane qui, paradoxe, doit beaucoup au président du gouvernement espagnol, le socialiste José Luis Rodriguez Zapatero.


Soulevant une tempête politico-médiatique, le projet, qui défie la Constitution espagnole, a été approuvé le 30 septembre à Barcelone par 120 des 135 députés du Parlement catalan. Parmi ces élus régionaux, seuls ceux du Parti populaire (PP, conservateur) s'y sont opposés.

L'hémicycle a vibré aux accents d'Els Segadors, l'hymne catalan, chanté en choeur par les députés. "Un pas de plus vers un Etat" catalan, "Vive la nation catalane libre!" s'était écrié à l'issue du vote Josep-Lluis Carod-Rovira, leader des indépendantistes de la Gauche républicaine catalane (ERC), l'un des trois partis qui gouvernent la région.

Dans le reste de l'Espagne, le coup d'éclat catalan inquiète non seulement le PP, mais aussi les milieux économiques et des personnalités du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) de M. Zapatero.

Le projet de statut doit encore être soumis à Madrid au Parlement national. "Il présente des aspects d'une douteuse constitutionnalité" prévient l'influent secrétaire à l'Organisation du PSOE, José Blanco. Le texte sera nécessairement amendé, ce qui soulèvera dans la classe politique catalane une crispation pouvant menacer la stabilité gouvernementale.

"Seconde transition"

Le rétablissement d'un pouvoir régional au Pays basque et en Catalogne fut l'une des clés du succès apparent de ce qu'on a appelé la "transition" vers la démocratie après la mort, en novembre 1975, du général-dictateur Francisco Franco. Les deux régions avaient connu l'autonomie avant que Franco n'écrase la République, en 1939, à l'issue de trois ans de guerre civile. Rendre aux Basques et aux Catalans ce qui leur fut arraché facilita la cohabitation des "deux Espagne", la post-franquiste de droite et la républicaine de gauche, sous la monarchie restaurée en la personne de l'actuel roi Juan Carlos Ier.

Trente ans après l'ouverture de la "transition", dix-sept régions dites autonomes, chacune avec son Parlement, couvrent l'ensemble du territoire espagnol. Concernant notamment et partiellement la santé, l'enseignement, l'ordre public et la fiscalité, cette vaste décentralisation ne satisfait pas les nationalistes basques et catalans. Elle ne leur aura servi que de tremplin pour réclamer aujourd'hui "une seconde transition", qui déboucherait au moins sur un fédéralisme de fait avant de préparer un saut définitif.

Malgré son rejet, le 2 février dernier par le Congrès national des députés, un plan de "libre association" du Pays basque avec l'Espagne continue à sous-tendre la politique du Parti national basque (PNV), en recul aux élections régionales du 18 avril, mais au pouvoir depuis 25 ans dans sa région.

Ce plan du président basque Juan José Ibarretxe trace le chemin vers une République basque indépendante, prévoyant une nationalité basque, des relations directes du Pays basque avec l'Europe et un droit permanent à l'autodétermination pour maintenir ou non des liens politiques avec l'Espagne. L'ambition souverainiste conduit le PNV à dialoguer désormais ouvertement avec le parti hors-la-loi Batasuna, vitrine politique des terroristes indépendantistes de l'ETA.

Le projet de nouveau statut plébiscité par 88% des députés du Parlement de la Catalogne prévoit lui, on l'a dit, d'ériger cette région en "nation" dont le peuple "doit déterminer librement son futur".

Assurant la prééminence de la langue catalane dans tous les domaines, les 227 articles du projet ont l'allure d'une Constitution, allant jusqu'à énumérer les droits fondamentaux des Catalans. La justice, le droit civil, la fiscalité, l'éducation, l'immigration, l'agriculture, l'eau, le sport et d'autres secteurs, dont les routes, ports et aéroports, sont définis comme relevant de la compétence exclusive de la Catalogne.

Un Tribunal supérieur de justice de la Catalogne coifferait la pyramide des recours juridiques. Tous les impôts seraient récoltés et gérés par les institutions catalanes. Celles-ci céderaient au pouvoir central un quota annuel au titre des services rendus par l'Etat espagnol en Catalogne et au titre de la solidarité avec d'autres régions. Le Pays basque et la Navarre jouissent déjà d'une autonomie fiscale aussi large.

"Plus dangereux que le plan Ibarretxe"

Globalement, ce projet de statut catalan est proche de la libre association avec l'Espagne proposée dans le plan du président basque Juan José Ibarretxe.

Mais "il est beaucoup plus dangereux et grave que le plan Ibarretxe car, entre autres raisons, au moins 50% des ses droits d'auteur reviennent au président du gouvernement en personne [José Luis Rodriguez Zapatero]" écrit le directeur du journal centriste El Mundo, Pedro J. Ramirez. M. Zapatero "en est le père irresponsable" dit-on plus crûment chez les conservateurs du Parti populaire.

Vainqueur à la majorité relative des élections législatives du 14 mars 2004 (une victoire inattendue favorisée par les attentats islamistes du 11 mars à Madrid), M. Zapatero a utilisé le levier catalan dans sa course au pouvoir et doit encore le faire aujourd'hui pour éviter d'être mis en minorité au Parlement.

Voulant consolider des ancrages régionaux alors qu'aucun sondage ne lui permettait d'espérer la fin du règne national du PP, au pouvoir depuis 1996, José Luis Rodriguez Zapatero appuyait en novembre 2003 la dérive nationaliste des socialistes catalans, qui brandissaient la menace d'un nouveau statut d'autonomie pour contrer l'espagnolisme patriotard du gouvernement conservateur de José Maria Aznar, entêté dans son appui à la guerre en Irak.

"J'appuierai la réforme du statut qu'approuvera le Parlement de la Catalogne" affirmait sans réserve M. Zapatero en s'adressant publiquement à l'époque au leader des socialistes catalans, l'ex-maire de Barcelone Pasqual Maragall. Celui-ci allait être élu président -il l'est encore- de la Catalogne, le premier de gauche depuis la guerre civile, grâce à une alliance de députés régionaux socialistes, écolo-communistes et indépendantistes de la Gauche républicaine catalane.

La même alliance idéologique tripartite élargie au niveau national assure aujourd'hui la majorité parlementaire de M. Zapatero et la stabilité de son gouvernement. D'où la délicate position du chef de l'exécutif, pris entre l'extrémisme de Catalans auxquels il doit beaucoup, peut-être trop, et la stupeur que provoque en Espagne cet extrémisme que l'on croyait propre aux seuls Basques.

"Difficile de concrétiser une promesse [d'accepter tel quel un nouveau statut d'autonomie catalane] faite lorsqu'on ne croyait pas pouvoir accéder au pouvoir" ironise, en visant M. Zapatero, son coreligionnaire historique Alfonso Guerra, vice-président des premiers gouvernements socialistes de l'après-franquisme et actuel président de la stratégique Commission constitutionnelle du Congrès des députés. M. Guerra prévient en outre que la revendication d'un Etat risquerait logiquement de suivre la reconnaissance d'une "nation" catalane.

"Espagne plurielle"

José Luis Rodriguez Zapatero prétend néanmoins que le projet de nouveau statut catalan est une "opportunité" pour une Espagne qu'il voudrait plurielle. "Pas de rejet frontal [du projet], dit-il, ni d'acceptation pure et simple. Il faut le canaliser [lors de son prochain examen au Parlement national] pour rendre compatibles la reconnaissance de la forte identité catalane et l'article 2 de la Constitution". Cet article proclame "l'unité indissoluble de la nation espagnole, patrie commune et indivisible de tous les Espagnols".

Selon le journal El Pais, proche du gouvernement socialiste, le chef de l'exécutif souhaiterait que le projet soit amendé pour qu'il respecte l'égalité de droits entre tous les Espagnols et l'unité de marché. A ce propos, précise El Pais, des dirigeants de banques, de caisses d'épargne et de compagnies d'assurances ont averti le ministère de l'Economie des risques d'une fragmentation régionale du système financier espagnol.

Manuel Chaves, président de la région d'Andalousie et président du PSOE dont M. Zapatero est le secrétaire général, clame clairement: "Je ne suis pas d'accord [avec le projet catalan]". Un autre poids lourd socialiste, le ministre de la défense José Bono, a dit depuis longtemps qu'à ses yeux "le nationalisme n'est qu'une nostalgie de la tribu".

Le président du PP et chef de l'opposition conservatrice, Mariano Rajoy, réclame des élections anticipées si le projet catalan n'est pas traité au Parlement national comme une proposition de révision constitutionnelle, que le projet serait en réalité. Une révision de la Charte suprême nécessite une majorité des deux tiers, introuvable sans le PP.

Le roi Juan Carlos laisse lui aussi pointer son inquiétude, mettant à profit, samedi, une cérémonie militaire pour en appeler au respect de "l'unité indissoluble de la nation".

Soutenus dans leur région par une presse et des institutions sociales, sportives et même religieuses soudain gagnées par l'ivresse nationaliste, les dirigeants catalans avertissent que leur foi en "l'Espagne plurielle", une Espagne qu'ils accepteraient peut-être si elle devenait une "nation de nations", dépendra du sort que réservera le Parlement national à leur projet de nouveau statut.

Un prévisible élagage en profondeur du projet par les députés et sénateurs espagnols frustrerait les Catalans et crisperait leur revendication nationaliste, mettant peut-être en péril la stabilité du gouvernement de M. Zapatero si la gauche catalane ne le soutenait plus. Par contre, tenter d'approuver le projet aux dépens de la légalité constitutionnelle mettrait en crise les institutions démocratiques espagnoles et diviserait profondément les socialistes.

Quelle que soit l'issue du débat, le mal serait donc déjà fait. Légère compensation optimiste: sans doute sans le vouloir, les Catalans démontrent aux Basques qu'on peut pousser très loin la revendication nationaliste sans sombrer dans le terrorisme.

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