BUENOS AIRES, vendredi 13 janvier 2012 (LatinReporters.com) - Les États-Unis,
le Brésil et les pays de la gauche radicale inspirés par le
Venezuela développent trois doctrines militaires distinctes qui coexistent
en Amérique latine, certains pays en assumant au moins partiellement plus d'une, relève
Rosendo Fraga, directeur du think tank argentin Centro de Estudios Nueva Mayoría.
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L'implication de l'armée dans la lutte contre la criminalité et les cartels de la drogue
est devenue un dénominateur commun.
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L'armée mexicaine engagée dans la lutte contre
le narcotrafic dans l'État du Michoacan (Archives - Photo Diego Fernandez,
16.08.2007) |
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Narcotrafic, crime organisé et terrorisme visés par
Washington
Les États-Unis continuent d'impulser comme axe de leur doctrine militaire
en Amérique latine la coopération militaro-policière
contre le narcotrafic, le crime organisé et le terrorisme. Il s'agit,
estime Rosendo Fraga, des nouvelles menaces par lesquelles les USA ont cherché
dans les années 1990 à remplacer le système de contre-insurrection
établi depuis les années 1950 comme version régionale
de la Guerre froide. Le Comando Sur, dont le quartier général
est en Floride, demeure l'instrument de la politique de sécurité
régionale de Washington et lesdites nouvelles menaces sont au centre
de la formation de responsables militaires et policiers dans les académies
du Salvador et du Pérou.
Dans ce contexte, le Mexique est la priorité numéro un, car
le problème de la violence générée par les cartels
de drogue est une menace dont la pénétration aux États-Unis
est facilitée par la proximité géographique et l'immigration.
A cet égard, l'analyste argentin relève que l'instrument privilégié
de la coopération entre Washington et Mexico est l'Initiative de Mérida,
dont l'antécédent est le Plan Colombie contre le narcotrafic
et le terrorisme imputés aux guérillas, aux paramilitaires et
aux barons de la drogue colombiens.
Le Mexique, la Colombie et les pays d'Amérique centrale, à
l'exception du Nicaragua, assument cette doctrine militaire américaine.
Hugo Chavez redoute le schéma libyen
La doctrine antagoniste, poursuit Rosendo Fraga, est celle suivie, moyennant
quelques nuances, par le Venezuela, Cuba, le Nicaragua, la Bolivie et
l'Équateur, soit les principaux pays de l'ALBA (Alliance bolivarienne
pour les peuples de notre Amérique). Ralliés au socialisme radical,
ils considèrent les États-Unis comme la principale menace pour
leur sécurité nationale et régionale. Leur doctrine
vise à se préparer et à résister, dans le cadre d'une guerre
dite asymétrique, à une éventuelle invasion, ainsi qu'à prévenir
ou faire échouer des plans de déstabilisation
de leur régime attribués à Washington.
Le président vénézuélien Hugo Chavez redoute
que ces plans supposés n'excluent pas l'utilisation de la puissance
militaire, si nécessaire, ou la création de dissidences armées
justifiant une intervention internationale. Lors de la récente guerre
civile en Libye, Caracas et La Havane appuyèrent bruyamment Mouammar
Kadhafi, craignant que le schéma d'intervention de l'OTAN en faveur
des insurgés libyens ne puisse se répéter dans d'autres
régions du monde, y compris en Amérique latine. L'appui actuel de l'ALBA au dictateur syrien Bachar
al-Assad, menacé par une insurrection croissante, répond à
la même logique.
Rosendo Fraga note que l'ambition de Caracas de créer des structures
militaires régionales communes aux pays de l'ALBA ne s'est pas concrétisée
et que la coopération nouée avec l'Iran par le Venezuela et
ses alliés a élargi l'antagonisme avec les États-Unis.
La perception au sein de l'ALBA que la Colombie puisse être utilisée
comme base opérationnelle pour déstabiliser d'autres pays subsiste,
mais elle s'est réduite depuis l'investiture, en août 2010, du
président colombien Juan Manuel Santos.
Au Venezuela et en Bolivie, l'armée a été appelée
à participer à la lutte contre la criminalité. Cela établit
un point commun objectif avec la doctrine militaire américaine, vivement
rejetée à Caracas et à La Paz.
Brasilia se prépare aux conflits pour les ressources naturelles
Enfin, toujours selon M. Fraga, la troisième doctrine militaire,
située entre les deux autres, est promue dans la région par
le Brésil et se développe au sein de l'UNASUR (Union des nations
sud-américaines, constituée par les 12 pays de l'Amérique
du Sud), dont le Conseil de Défense a son Centre d'études
à Buenos Aires. L'idée centrale de cette doctrine désigne
les menaces sur le contrôle des ressources naturelles comme la cause
principale des guerres du futur. La plus grande menace pour la région
découlerait donc de la valeur de ses ressources naturelles, clé des
progrès économiques et sociaux de l'Amérique latine
au cours de la première décennie de ce 21ème siècle.
La possibilité que la lutte pour ces ressources conduise à
des conflits avec les forces du monde développé est l'une des
hypothèses de base de cette doctrine, qui se concentre sur la prévention
ou la neutralisation d'éventuelles agressions extracontinentales non
précisées, quoique venant hypothétiquement de l'hémisphère
nord. Le Brésil et les États-Unis n'en signèrent pas moins, en avril 2010, un
accord
bilatéral de coopération militaire.
L'Argentine, le Pérou, le Paraguay, l'Uruguay et dans une certaine
mesure le Chili assument la doctrine impulsée par Brasilia. Dans la
pratique, précise Rosendo Fraga, il s'agit d'une doctrine flexible
qui n'empêche pas le Brésil, lorsqu'il organise l'occupation
militaro-policière des favelas dominées par les cartels de la
drogue, d'assumer les mêmes menaces que celles invoquées par
les États-Unis.
Illustrant lui aussi la coexistence de doctrines distinctes,
le Venezuela, tout en assurant le leadership de la doctrine explicitement
antiétasunienne, assume également, en fonction de ses richesses
pétrolières, celle que le Brésil développe au
sein de l'UNASUR.
(*) Observant l'évolution socio-politique et les programmes
de défense en Amérique latine, le Centro de Estudios Nueva Mayoría
(CENM) conseille forces politiques et organisations sociales. Certaines de
ses analyses, dont l'article "
Las doctrinas
militares en América Latina", sont diffusées sur le site NuevaMayoria.com. Directeur du CENM et
membre du Conseil argentin des relations internationales, Rosendo Fraga est un chroniqueur
habituel des principaux quotidiens argentins (Clarín, La Nación,
Ambito Financiero, Página 12, etc.)