|  | | Pérou - Amazonie : choc meurtrier entre néolibéralisme et ethnocentrisme 
 
 
LIMA, lundi 15 juin 2009 (LatinReporters.com) - Le choc entre l'outrance néolibérale du président Alan 
Garcia et l'outrance ethnocentriste d'Indiens de l'Amazonie a fait au moins 
34 morts début juin au nord du Pérou. Ce drame oblige le chef 
de l'Etat à suspendre et peut-être à réviser sa 
stratégie de développement.
Dans l'enchaînement d'une levée 
policière de blocus mal gérée et d'une réaction 
guerrière démesurée, 24 policiers et 10 manifestants 
autochtones ont été tués à Bagua selon le dernier 
bilan officiel. L'Association pour les droits de l'homme du Pérou (Aprodeh)
y ajoute 61 disparus et 189 blessés, tous Amérindiens, ainsi
que 133 détenus.
 Les rumeurs sur la dissimulation par la police de cadavres d'Indiens jetés 
dans des fosses communes ou dans la rivière Marañon n'ont pas 
été confirmées par les enquêtes sur place. Jouant
un rôle de médiatrice, la titulaire de la Défense du
Peuple, Beatriz Merino, croit que les "disparus" seraient des Indiens "non
localisés".
 
 L'accusation de génocide est lancée contre le président 
Alan Garcia par son homologue bolivien, Evo Morales, par une ministre du président
vénézuélien Hugo Chavez et par l'Association interethnique
de développement de la forêt péruvienne (AIDESEP), qui
dit représenter "les 1.350 communautés" dans lesquelles vivent
les "350.000 indigènes" de l'Amazonie péruvienne.
 
 Le génocide est défini par la Cour pénale internationale 
comme un acte commis "dans l'intention de détruire, en tout  ou en 
partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux". Destinée 
à libérer le transit routier et pétrolier après 
deux mois d'un blocus créant de graves pénuries régionales, 
la malheureuse intervention policière à Bagua ne semble pas 
correspondre à cette définition.
 
 Quant à l'outrance néolibérale,
un seul document officiel suffirait à l'attester. Il s'agit de la
carte 
des zones d'opérations pétrolières actualisée 
ce mois de juin 2009 par la direction générale des hydrocarbures 
du ministère péruvien de l'Energie et des Mines. Les zones de
prospection et/ou d'extraction y sont identifiées par des numéros 
et par les noms des multinationales qui en ont la concession. Elles couvrent 
les eaux de l'océan Pacifique bordant l'ouest du Pérou et, à
l'est, la quasi totalité de l'Amazonie péruvienne.
 
 Les 350.000 autochtones de la région n'ont pas été
consultés sur ce quadrillage énergétique qui les englobe.
Leur avis devait pourtant être requis en vertu de deux documents
internationaux approuvés par le Pérou, la 
Convention 
relative aux peuples indigènes et tribaux adoptée en 1989 par l'OIT (Organisation 
internationale du travail) et la 
Déclaration 
des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones de septembre 2007.
 
 Outre l'invasion pétrolière, c'est aussi l'exploitation minière, 
forestière et de ressources hydriques de l'Amazonie qui font l'objet 
de 11 décrets édictés en 2007 et 2008 par le président 
Alan Garcia pour "faciliter la mise en oeuvre de l'accord de promotion commercial 
Pérou / Etats-Unis", comme l'indique par exemple le 
décret 1064 
établissant le régime juridique des terres à usage agricole.
 
 C'est donc au nom du Traité de libre commerce unissant Washington 
et Lima que ce décret 1064, tout en garantissant apparemment la propriété 
territoriale des communautés autochtones, la grève à 
l'article 8 de "servitudes de libre passage d'oléoducs, de gazoducs, 
de minéroducs [sic], d'installations pour l'exploration et l'exploitation 
minière et pétrolière, d'installations pour le service 
public de télécommunications, de lignes de transport d'énergie,...".
 
 Des "servitudes" apparaissent aussi dans le décret 1090 appelé 
"Loi forestière et de la faune sylvestre". Ce décret et le 1064
étaient les plus contestés. Une majorité parlementaire
les a "suspendus indéfiniment" après le drame de Bagua. Mais
les Indiens, appuyés par l'opposition nationaliste de gauche, réclament
leur abrogation pure et simple et maintiennent leur mobilisation. Ils coupent
encore des routes et des rivières. L'aéroport de Huancabamba
a été occupé. La maintenance d'installations pétrolières
est incertaine.
 
 Appartenance ethnique et solidarité nationale
 
 Ce jusqu'au boutisme indigène est, comme l'accusation de génocide
après les affrontements du 5 juin à Bagua, l'une des composantes de l'outrance ethnocentriste, accréditée
par cette simple constatation: l'AIDESEP et ses 350.000 Amérindiens
représentent 1,25% des 28 millions de Péruviens, mais ils prétendent
à la primauté de droits ancestraux sur les 60% du territoire
national que constitue l'Amazonie péruvienne, où se concentre
la richesse pétrolière qu'ils méprisent.
 
 Dans un pays qui compte encore 36% de pauvres, comme le reconnaît le
président Garcia, cela revient à reléguer loin derrière
l'appartenance ethnique une solidarité nationale qu'invoquent pourtant
les autochtones lorsqu'ils dénoncent l'invasion de sociétés
"étrangères". En termes politiquement incorrects, le chef de
l'Etat a affirmé que "ces personnes [les Amérindiens de l'AIDESEP]
ne sont pas des citoyens de première classe qui pourraient dire à
28 millions de Péruviens qu'ils n'ont pas le droit de venir ici".
 C'est "le syndrome du chien couché sur la mangeoire", qui ne touche
pas lui-même au fourrage, mais ne laisse personne y toucher, écrivait
déjà en octobre 2007 Alan Garcia dans une tribune publiée
par le quotidien péruvien El Comercio.
 
 L'ethnocentrisme autochtone est favorisé par la globalisation de la
sensibilité écologiste et par les griefs de l'histoire. "Le
19e siècle [celui des indépendances latino-américaines;
ndlr] n'a signifié pour nous que la substitution de colonisateurs
par d'autres" estime Daysi Zapata, présidente en fonction de l'AIDESEP.
Elle remplace Alberto Pizango, poursuivi pour sédition et homicides,
qui s'est réfugié après le drame de Bagua à l'ambassade
du Nicaragua et a obtenu l'asile politique du pays sandiniste. Paradoxalement,
le Nicaragua du président Daniel Ortega a encore des comptes à
rendre à la Commission interaméricaine des droits de l'homme
pour massacre et déplacements d'Indiens Miskitos dans les années
1980 par l'armée populaire sandiniste.
 
 Le conflit avec l'Etat péruvien de 2009 "n'est pour les indigènes 
qu'une partie d'une lutte contre le même adversaire qui les menace depuis
des siècles", analyse Roger Rumrril, historien de l'Amazonie cité
par l'AFP. Le premier ministre péruvien, Yehude Simon, ne fait que
constater l'évidence en relevant que "les natifs ne comprennent pas
notre conception des choses, comme nous ne comprenons pas la leur. Nous sommes
de cultures différentes". A ce propos, le leader indien Alberto Pizango
expliquait récemment que les peuples amazoniens ne luttent pas seulement
pour l'abrogation de quelques décrets, mais aussi et surtout "pour
défendre un modèle de vie" et des coutumes millénaires
basées sur la symbiose entre l'homme et la nature.
 
 La solution passerait sans doute par la cohabitation progressive entre ce
modèle de vie et un développement économique humanisé 
et plus égalitaire. A Lima, le Conseil des ministres a annoncé
l'ouverture d'un dialogue pour "élaborer un Plan intégral de
développement durable pour les peuples de l'Amazonie dans les domaines
de l'éducation, la santé, la possession de terres et concernant
d'autres mesures additionnelles nécessaires". Cocamas, Candoshis et
autres Jivaros amazoniens restent sceptiques. Mais pourquoi la solidarité
amérindienne tant proclamée ne déboucherait-elle pas
sur leur cohabitation, dans une modernité difficile mais transformable,
avec des millions de frères andins quechuas, très présents
dans les structures du pouvoir au Pérou, en Equateur et en Bolivie?
 
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